Cardiologie : digoxine, une méta-analyse confirme que ce médicament vestige tue

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la rose et le réséda
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Vincent Bargoin
12 mai 2015

Une méta-analyse de 19 études publiées ces 20 dernières années sur la digoxine aboutit à la notion d’un sur-risque significatif de mortalité, chiffré à 1,21, toutes indications confondues [1]. Pour mémoire, l’étude TREAT-AF , publiée l’an dernier, montrait une surmortalité de 20% dans la FA, de même qu’une analyse post-hoc de ROCKET-AF (22%). Et s’agissant de l’insuffisance cardiaque, l’autre indication de la digoxine, on a vu publier des chiffres de surmortalité allant jusqu’à 72%… Excessif, sans doute – le Pr Yves Juillières (Nancy), mettait d’ailleurs en garde dans Medscape France vis-à-vis de ces derniers résultats. Reste qu’une surmortalité associée à la digoxine n’est pas vraiment une surprise.
Ce médicament est un vestige. Employé depuis plus de deux siècles, il n’a jamais fait l’objet que d’un seul grand essai contrôlé, l’étude DIG (Digitalis Intervention Group) qui montrait une réduction de 30 % des hospitalisations dans l’insuffisance cardiaque, sans toutefois réduire la mortalité. Quant à la FA, c’est une indication où l’on ne dispose simplement d’aucune donnée contrôlée. On note d’ailleurs que les sujets en FA avaient été exclus du recrutement de DIG.

Ces recommandations reflètent les bases très insatisfaisantes sur lesquelles on juge du bénéfice supposé de la digoxine – les auteurs
Et un vestige qui jouit d’un statut curieux puisqu’il est recommandé en Europe (IIb, B) et aux Etats-Unis (IIa, B) pour réduire les hospitalisations chez les insuffisants cardiaques en rythme sinusal, et en Europe dans la FA, pour le contrôle de la fréquence en cas de dysfonction VG (IIa, C).

Les résultats publiés dans l’European Heart Journal fragilisent naturellement encore un peu plus ces recommandations, lesquelles « reflètent les bases très insatisfaisantes sur lesquelles on juge du bénéfice supposé de la digoxine », estiment les auteurs.

Digoxine délétère quel que soit le contexte

Les études analysées sont issues des bases de données Medline et Cochrane. Sur les 19 études finalement retenues, 9 ne concernaient que des patients en FA, 7 des patients insuffisants cardiaques, et 3 couvraient les deux indications.

Sur un total de 326 426 sujets, la digoxine apparait associée à un risque de mortalité de 1,21 (IC95%[1,07-1,38]).

Sachant que la fenêtre thérapeutique de la digoxine est étroite, six études rapportaient les doses quotidiennes de digoxine, et/ou les taux plasmatiques moyens. Dans ces six études, le risque relatif (1,26) ne change pas par rapport à ce qui est observé au travers de 19 études.

Dans les études ne comportant que des sujets en FA (n=235 047), le sur-risque ressort à 1,29 [1,21-1,39]

Dans les études ne comportant que des insuffisants cardiaques en rythme sinusal (n=91379), le risque relatif se monte à 1,14 [1,06-1,22].

Enfin, ce sur-risque majoré en cas de FA est confirmé dans les 3 études comportant des patients insuffisants cardiaques et/ou en FA. Le risque relatif de mortalité associé à la digoxine était en effet de 1,28 [1,12-1,46] dans les sous-groupes de patients en FA exclusivement, contre 1,05 [0,91-1,20] chez les patients insuffisants cardiaques sans FA.

Quand la digoxine impacte la dronédarone

Hypothèse soulevée l’an dernier par une analyse post-hoc de l’étude PALLAS , et rappelée par le papier de l’European Heart Journal, le spectaculaire échec de la dronédarone après plusieurs essais favorables, pourrait avoir été dû…. à la digoxine [2].

On se souvient que PALLAS a été stoppé prématurément pour cause d’excès de mortalité dans le groupe dronédarone. Or, sur 13 décès par arythmie dans ce groupe, 11 sont survenus chez des sujets par ailleurs traités par digoxine.

« L’explication la plus probable est une interaction entre dronédarone et digoxine au niveau du système de la glycoprotéine de transport P », indiquent les auteurs de la méta-analyse. De la double interaction de la digoxine et de la dronédarone avec la glycoprotéine P auraient résulté « des taux sériques trop élevés de digoxine chez les patients décédés ».

(Parmi les autres médicaments importants absorbés via la glycoprotéine P, on compte les anticalciques, la cyclosporine, le dabigatran, l’érythromycine, le lopéramide, les inhibiteurs de protéase, le tacrolimus,…).
Pour expliquer l’effet délétère de la digoxine, les auteurs évoquent en premier lieu la fenêtre thérapeutique très étroite, mais surtout, les effets pro-arythmiques des glycosides digitaliques. La liste est longue : accroissement du tonus vagal, conduction du nœud AV réduite, raccourcissement de la période réfractaire auriculaire. « Tous ces effets peuvent rendre l’oreillette plus susceptible à la FA », écrivent les auteurs.

A cela s’ajoutent des tachycardies auriculaire, mais aussi ventriculaires, des torsades de pointe, des bradyarythmies, y inclus des blocs AV, en particulier lorsque des troubles électrolytiques sont présents.

Enfin, ces effets proarythmiques peuvent être amplifiés par des interactions entre traitements, notamment avec des traitements antiarythmiques comme l’amiodarone ou la quinidine.

Dans leur conclusion, les auteurs demandent la réalisation d’essais randomisés de la digoxine à dose ajustée, « au moins dans l’insuffisance cardiaque ».

« Tant que de tels essais randomisés et contrôlés n’auront pas été menés, la digoxine devra être utilisée avec une grande prudence (en surveillant les taux plasmatiques), en particulier lorsqu’elle est indiquée pour le contrôle du rythme dans la FA ».

Mate Vamos rapporte des soutiens non financiers et sans rapports avec le sujet de Twinmed Kft./ Boston Scientific et Medtronic-Hongrie.

Julia W. Erath rapporte n’avoir aucun lien d’intérêt.

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