Cinq questions sur l'affaire de fichage qui mine le syndicat force ouvrière

L'affaire a fait l'effet d'une bombe au sein de Force ouvrière. Le Canard enchaîné a dévoilé, mercredi 10 octobre, l'existence d'un document interne fichant les cadres du syndicat en les affublant de qualificatifs peu amènes. Moins de six mois après son arrivée à la tête de FO, le secrétaire général, Pascal Pavageau, est déjà sur la sellette. Franceinfo revient en détail sur cette affaire qui pourrait connaître des rebondissements cette semaine.

Que contient ce fichier ?
"Bête", "ordure", "pas fiable". Voici quelques-unes des observations qui apparaissent dans ce fichier dévoilé par Le Canard enchaîné. Le document, que France 2 a pu consulter, recense 126 personnes, cadres du syndicat, pour la plupart responsables des fédérations professionnelles et des fédérations départementales. Il comporte trois colonnes : dans la première figure le nom de la fédération, la deuxième contient le nom et la photo du responsable. Et, dans la troisième colonne, on retrouve les commentaires déplacés à l'encontre de certains cadres.

Au fil des pages, certains responsables sont qualifiés de "niais", de "peu courageux" ou d'"influençable". L'un d'eux est même soupçonné d'être un "voleur dans les portefeuilles". Un autre est jugé "trop intelligent pour entrer au bureau confédéral". Les préférences politiques ("PS", "plutôt de droite", "anarchiste") de certains cadres sont renseignées et parfois même leur orientation sexuelle.

Qui est à l'origine du fichage ?
Le fichier a été constitué par des proches de Pascal Pavageau en octobre 2016, à une époque où ce dernier se positionnait pour remplacer Jean-Claude Mailly à la tête du syndicat. Le document recense d'ailleurs aussi la proximité des personnes fichées avec Pascal Pavageau ou son prédécesseur. "Redevable à PP", "soutien de PP", "déteste JCM", peut-on lire.
 
"On se préparait pour le congrès, j'avais demandé à mes collaboratrices de former deux personnes que j'envisageais de nommer, en interne, en charge de l'organisation. Mais c'était un document de travail qui ne devait pas circuler, a assuré Pascal Pavageau au Canard enchaîné. Pour moi, c'était un mémo, de l'ordre de la prise de notes, mais je n'avais jamais vu ni avalisé le résultat, qui est truffé d'âneries, de raccourcis."

Pourquoi l'affaire fait scandale ?
Interrogé sur l'existence de ce fichier par Le Canard enchaîné, Pascal Pavageau lui-même a reconnu qu'il s'agissait d'une "belle connerie" et d'une "grave erreur". Et pour cause : l'existence d'un fichier contenant de telles informations est interdite par la loi. Selon Le Monde, la Commission informatique et liberté a d'ailleurs effectué un contrôle vendredi dans les locaux de FO, bien qu'elle n'ait été saisie d'aucune plainte pour le moment. "Il s'agit d'un contrôle sur place et sur pièces", a confirmé la Cnil au Monde.

Au sein et en dehors du syndicat, les réactions sont particulièrement virulentes. "Pour nous, c'est impensable et impardonnable", a affirmé Frédéric Homez, le patron de la fédération FO de la métallurgie, qui a l'"impression d'être dans un système stalinien".

"C'est surréaliste, ça me fait mal pour l'organisation, je tombe du placard !", a confié Jean-Claude Mailly sur franceinfo, assurant avoir appris l'affaire en lisant Le Canard enchaîné. "Je ne comprends pas pourquoi on fait ça, le principe même d'avoir un fichier, ça me fait mal." Même la ministre du Travail, Muriel Penicaud, s'est dit "choquée et scandalisée par cette histoire indigne de fichiers". "Je n'ai jamais vu ça dans un syndicat et cela ne correspond pas à Force ouvrière qui est un des trois plus grands syndicats en France", sur France inter.

Pascal Pavageau peut-il être poussé vers la sortie ?
Depuis que l'affaire a éclaté, de nombreuses voix s'élèvent pour réclamer la démission de Pascal Pavageau. Pour Frédéric Homez, le numéro un de FO devrait prendre "lui-même la décision de démissionner". De manière tout à fait inhabituelle, le patron d'un syndicat concurrent, la CFDT, est sorti de sa réserve. "Je crois qu'il y a un malaise avec le secrétaire général de FO mais ça lui appartient. Lorsqu'on n'est pas conforme à l'éthique qu'on s'est fixée, il faut partir", a taclé Laurent Berger lundi matin sur franceinfo.
Deux réunions à hauts risques pour Pascal Pavageau étaient programmés cette semaine. D'abord ce lundi, avec un bureau regroupant les 14 secrétaires confédéraux du syndicats. Mais surtout mercredi, avec une commission exécutive, une instance de 35 membres. Parmi eux, certains sont susceptibles d'avoir été visés dans le fichier controversé et pourraient demander des comptes.

Mais lundi matin, nouveau coup de théâtre : des mails internes à FO indiquent que Pascal Pavageau est en arrêt maladie et que la réunion du bureau est annulée. L'autre réunion, celle de mercredi, serait quant à elle reportée au 29 octobre. Mais plusieurs membres de la commission exécutive ont tout de même prévu de s'y rendre "sans Pavageau s'il le faut", pour demander le départ du secrétaire général ou de certains de ses collaborateurs.

Que cache ce grand déballage ?
Derrière cette affaire se trame aussi une lutte sur la ligne politique du syndicat. En avril, Pascal Pavageau avait été élu sur une approche plus dure que son prédécesseur, Jean-Claude Mailly. Depuis son arrivée, il s'est illustré par un rapprochement avec la CGT et un positionnement plus radical vis-à-vis de la politique gouvernementale.

Au sein du syndicat, les deux camps sont très remontés l'un envers l'autre. "Derrière cette histoire de caniveau, un bras de fer se joue sur la ligne politique de FO, entre les partisans de Pavageau et ceux qui veulent que FO se couche sur la réforme des retraites", indique une source anonyme citée par l'AFP. Si Pascal Pavageau venait à démissionner, les réformistes, humiliés depuis plusieurs mois, pourraient prendre leur revanche.
 
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