Après le colonialisme. les conséquences culturelles de la globalisation

Drianke

اللهم إفتح لنا أبواب الخير وأرزقنا من حيت لا نحتسب
Contributeur
1-Bien que ce livre ait été publié il y a aujourd’hui une vingtaine d’années, il reste d’une grande pertinence pour penser notre monde contemporain. Les concepts et les études de cas qu’y présente Appadurai visent en effet à rendre toute sa complexité à la globalisation. Plutôt que de présenter ce phénomène comme un processus essentiellement économique et de concevoir ses conséquences dans les termes d’une acculturation mondialisée, notre auteur cherche à multiplier les facteurs causaux et complexifie les rapports de cause à effet.

2-Dans la première partie de l’ouvrage, Appadurai commence par brosser un tableau de la globalisation dans lequel les migrations de masses et les nouvelles technologies de l’information occupent le premier plan. Notre auteur explique que ces deux phénomènes rebattent, à eux seuls, les cartes du monde : ils contraignent à repenser la stabilité des localités, les identités nationales et les frontières des États. Pour « faire prise » sur ce monde en flux et en recomposition permanente, Appadurai propose deux grands concepts. D’abord sa notion de scape ou de « paysage » qu’il décline en ethnoscapes, médiascapes, technoscapes, financescapes et idéoscapes. Plus qu’un concept parfaitement balisé, il s’agit d’un outil heuristique : les scapes permettent de réfléchir à la disjonction des flux mondiaux, ainsi qu’à leurs multiples interactions, sans accorder à aucun d’entre eux une prééminence fondamentale sur les autres. Le terme de scape suggère l’idée de flux en mouvement et en construction permanente qui varient en fonction du point de vue à partir duquel on les considère. Dans cette perspective, le concept de scape appelle des études de cas. C’est en contexte, c’est dans des histoires singulières, qu’il s’agit de mettre au jour la façon dont différents scapes se déploient.

3-Appadurai souligne ensuite le rôle crucial que joue aujourd’hui l’imagination. Dans un monde où les médias et les migrations démultiplient considérablement le nombre des modèles d’action et de consommation, ainsi que les formes d’allégeance envisageables, c’est à l’imagination qu’il revient de considérer ces possibles, de les sélectionner et de les combiner entre eux. Avec l’imagination, Appadurai rend compte de l’invention quotidienne et de l’hybridité de nos mondes contemporains. La notion d’imagination permet en outre de considérer la force des grands modèles culturels sans négliger l’agentivité des individus, sans minimiser les résistances à petites échelles. Même si Appadurai ne le dit pas explicitement, l’imagination semble faire pendant au concept de scape. En effet, alors que les scapes permettent de réfléchir au déploiement des flux mondiaux, à leurs disjonctions et imbrications, l’imagination fait office de lieu où ces flux se rejoignent et s’expriment.

4-Conformément à ce qu’exige son couple de concepts, Appadurai présente dans la deuxième partie de son ouvrage deux études de cas. En l’occurrence, il montre comment deux institutions coloniales britanniques, de prime abord secondaires, ont donné forme de façon étonnante aux « communautés » et à la nation indiennes. Bien que ces deux études soient profondément ancrées dans l’histoire coloniale et postcoloniale de l’Inde, elles s’avèrent très suggestives. Elles nous invitent à interroger la façon dont les identités se sont construites dans d’autres contextes. Appadurai se penche d’abord sur l’histoire du cricket en Inde. Il s’interroge : comment ce sport si intimement lié, à l’origine, aux vertus victoriennes (fair play, droiture, respect des règles...), s’est-il indigénisé, au point d’incarner aujourd’hui la nation indienne elle-même ? Notre auteur présente une histoire complexe et, à certains égards, paradoxale. Contentons-nous ici de citer un extrait résumant les différentes strates de cette histoire : « [L’indigénisation de ce sport] dépend notamment de la façon dont il est géré, financé et porté à la connaissance du public ; de l’origine de classe des joueurs indiens et, partant, de leur capacité à imiter les valeurs de l’élite victorienne ; de la dialectique entre esprit d’équipe et sentiment national, qui est inhérente à ce sport tout en étant implicitement corrosive pour l’Empire ; de la création et du maintien d’un réservoir de talents en dehors des élites urbaines, permettant à ce sport de survivre sur un mode autarcique ; des diverses façons dont les médias et le langage contribuent à séparer le cricket de son anglitude ; et enfin de la constitution d’un public postcolonial de spectateurs masculins qui peuvent charger le cricket des fonctions de la compétition corporelle et du nationalisme viril » (p. 145)...................................


 
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