Au commencement était le conflit israélo-arabe. Puis vint la révolution iranienne en 1979. Depuis, le visage du Moyen-Orient a profondément changé.
Tel un habile joueur d’échecs, le régime des mollahs a su profiter d’une succession d’événements pour avancer patiemment ses pions afin d’imposer son hégémonie sur le Proche-Orient. L’Iran post-révolutionnaire s’est engouffré dans toutes les brèches des politiques régionales, face à des régimes arabes apathiques et au déclin du nationalisme arabe dans la région, soutenu par la hausse des prix du pétrole et profitant d’une politique américaine chaotique, notamment l’invasion de l’Irak en 2003 et la signature de l’accord nucléaire en 2015.
Les Iraniens chiites ont surfé avec brio sur la surenchère religieuse pour s’imposer face aux Arabes, à majorité sunnites. En se positionnant en concurrents farouches pour défendre d’abord la cause palestinienne face à Israël, les Iraniens ont transformé et remodelé les combats anticolonialistes et anti-impérialistes en devenant les pionniers des actions terroristes et en radicalisant l’islamisme politique. Leurs politiques ont créé une exacerbation des tensions communautaires entre les deux branches de l’islam, entraînant une déstabilisation presque généralisée des pays du Proche-Orient.
Radicalisation de l’islam politique
L’avènement de la République islamique a fait émerger « une force concurrente chiite particulièrement puissante au sein du processus d’islamisation du Moyen-Orient, initié six ans auparavant par le royaume saoudien à l’occasion de la guerre d’Octobre et du quadruplement du prix du brut. L’antagonisme entre ces deux entités sera le principal moteur des crises et guerres dans la région durant les quatre décennies suivantes, et il se propagera en dehors de celle-ci, touchant en particulier l’Europe avec l’exportation récurrente du terrorisme islamiste sur son sol (…). Sa dynamique se nourrira d’une permanente surenchère », explique ainsi Gilles Kepel dans son dernier ouvrage Sortir du chaos (Gallimard, 2018). Selon l’auteur, « les années 1980 virent à la fois une progression constante de l’islamisation de l’ordre politique au Moyen-Orient et l’exacerbation des antagonismes entre les camps chiite et sunnite pour s’en arroger le contrôle ».
Pour contrer l’exportation de la révolution et de l’idéologie khomeyniste, l’Arabie saoudite a de son côté multiplié son soutien financier aux groupes salafistes, en construisant notamment des écoles coraniques et des mosquées, non seulement dans les pays arabes, mais aussi en Occident et en Europe, pour propager le wahhabisme.
L’un des épisodes les plus marquants dans cette surenchère est la fatwa de Khomeyni pour blasphème, le 14 février 1989, contre l’écrivain indien Salman Rushdie, auteur du roman polémique Les Versets sataniques. Cette fatwa – qui appelait à tuer Rushdie – a créé un précédent dangereux au niveau mondial : elle fit de la planète le domaine de l’islam, en ce sens que la charia devrait s’appliquer non seulement dans les pays musulmans, mais partout dans le monde.
Cet épisode montre non seulement la surenchère chiite pour se positionner en défenseur du prophète Mohammad et de l’islam, mais elle montre aussi comment le radicalisme sunnite s’en inspira par la suite : l’assassinat du vidéaste hollandais Theo Van Ghogh, à cause de son film Soumission, le tollé mondial suite à la publication des caricatures du Prophète par un quotidien danois, et l’attaque contre le magazine satirique français Charlie Hebdo en sont la preuve.
Le croissant chiite
Les attentats du 11 septembre 2001 et la réponse américaine d’envahir d’abord l’Afghanistan et ensuite l’Irak en 2003 ont donné des ailes aux ambitions iraniennes d’étendre son hégémonie sur le Proche-Orient, face à un monde arabo-musulman affaibli et divisé. Et la politique de désengagement de l’ancien président américain Barack Obama du Proche-Orient, conjuguée à l’accord sur le nucléaire iranien en 2015, semble parachever le tableau, octroyant à Téhéran plus de moyens, et laissant les Arabes dans le désarroi.
Les Iraniens se sont infiltrés dans les pays arabes où la présence d’une population chiite a permis la création de réseaux transnationaux, notamment des milices, offrant à Téhéran un retour en force sur la scène moyen-orientale. L’idée de base est de soutenir le combat d’émancipation d’une frange de la population, minoritaire dans le monde arabe, longtemps réprimée, remettant en selle une querelle communautaire millénaire.
Dans une interview au Washington Post, en décembre 2004, le jeune roi Abdallah II de Jordanie avait mis en garde contre la création d’un « croissant chiite » allant de l’Iran au Liban. À cette époque, ses craintes frôlaient le délire, le surréalisme.
Tel un habile joueur d’échecs, le régime des mollahs a su profiter d’une succession d’événements pour avancer patiemment ses pions afin d’imposer son hégémonie sur le Proche-Orient. L’Iran post-révolutionnaire s’est engouffré dans toutes les brèches des politiques régionales, face à des régimes arabes apathiques et au déclin du nationalisme arabe dans la région, soutenu par la hausse des prix du pétrole et profitant d’une politique américaine chaotique, notamment l’invasion de l’Irak en 2003 et la signature de l’accord nucléaire en 2015.
Les Iraniens chiites ont surfé avec brio sur la surenchère religieuse pour s’imposer face aux Arabes, à majorité sunnites. En se positionnant en concurrents farouches pour défendre d’abord la cause palestinienne face à Israël, les Iraniens ont transformé et remodelé les combats anticolonialistes et anti-impérialistes en devenant les pionniers des actions terroristes et en radicalisant l’islamisme politique. Leurs politiques ont créé une exacerbation des tensions communautaires entre les deux branches de l’islam, entraînant une déstabilisation presque généralisée des pays du Proche-Orient.
Radicalisation de l’islam politique
L’avènement de la République islamique a fait émerger « une force concurrente chiite particulièrement puissante au sein du processus d’islamisation du Moyen-Orient, initié six ans auparavant par le royaume saoudien à l’occasion de la guerre d’Octobre et du quadruplement du prix du brut. L’antagonisme entre ces deux entités sera le principal moteur des crises et guerres dans la région durant les quatre décennies suivantes, et il se propagera en dehors de celle-ci, touchant en particulier l’Europe avec l’exportation récurrente du terrorisme islamiste sur son sol (…). Sa dynamique se nourrira d’une permanente surenchère », explique ainsi Gilles Kepel dans son dernier ouvrage Sortir du chaos (Gallimard, 2018). Selon l’auteur, « les années 1980 virent à la fois une progression constante de l’islamisation de l’ordre politique au Moyen-Orient et l’exacerbation des antagonismes entre les camps chiite et sunnite pour s’en arroger le contrôle ».
Pour contrer l’exportation de la révolution et de l’idéologie khomeyniste, l’Arabie saoudite a de son côté multiplié son soutien financier aux groupes salafistes, en construisant notamment des écoles coraniques et des mosquées, non seulement dans les pays arabes, mais aussi en Occident et en Europe, pour propager le wahhabisme.
L’un des épisodes les plus marquants dans cette surenchère est la fatwa de Khomeyni pour blasphème, le 14 février 1989, contre l’écrivain indien Salman Rushdie, auteur du roman polémique Les Versets sataniques. Cette fatwa – qui appelait à tuer Rushdie – a créé un précédent dangereux au niveau mondial : elle fit de la planète le domaine de l’islam, en ce sens que la charia devrait s’appliquer non seulement dans les pays musulmans, mais partout dans le monde.
Cet épisode montre non seulement la surenchère chiite pour se positionner en défenseur du prophète Mohammad et de l’islam, mais elle montre aussi comment le radicalisme sunnite s’en inspira par la suite : l’assassinat du vidéaste hollandais Theo Van Ghogh, à cause de son film Soumission, le tollé mondial suite à la publication des caricatures du Prophète par un quotidien danois, et l’attaque contre le magazine satirique français Charlie Hebdo en sont la preuve.
Le croissant chiite
Les attentats du 11 septembre 2001 et la réponse américaine d’envahir d’abord l’Afghanistan et ensuite l’Irak en 2003 ont donné des ailes aux ambitions iraniennes d’étendre son hégémonie sur le Proche-Orient, face à un monde arabo-musulman affaibli et divisé. Et la politique de désengagement de l’ancien président américain Barack Obama du Proche-Orient, conjuguée à l’accord sur le nucléaire iranien en 2015, semble parachever le tableau, octroyant à Téhéran plus de moyens, et laissant les Arabes dans le désarroi.
Les Iraniens se sont infiltrés dans les pays arabes où la présence d’une population chiite a permis la création de réseaux transnationaux, notamment des milices, offrant à Téhéran un retour en force sur la scène moyen-orientale. L’idée de base est de soutenir le combat d’émancipation d’une frange de la population, minoritaire dans le monde arabe, longtemps réprimée, remettant en selle une querelle communautaire millénaire.
Dans une interview au Washington Post, en décembre 2004, le jeune roi Abdallah II de Jordanie avait mis en garde contre la création d’un « croissant chiite » allant de l’Iran au Liban. À cette époque, ses craintes frôlaient le délire, le surréalisme.