Jésus progressiste
. Cette figure révolutionnaire a été promue par la « théologie de la libération » dans les années 1970. Selon son chef de file, le théologien péruvien Gustavo Gutiérrez, la foi chrétienne ne peut rester enfermée dans la sphère privée : elle doit se traduire par une participation à la vie publique.
Jusque-là, pas de désaccord avec Pie XI. Sauf que l'engagement politique souhaité par Gutiérrez diverge radicalement du conservatisme prôné par l'encyclique papale de 1925. Selon Gutiérrez, Jésus était progressiste ; du coup, « l'évangile non seulement n'est pas opposé à la révolution, mais il l'exige bien plutôt ». Les chrétiens doivent soutenir les luttes d'émancipation en faveur de « ceux d'en bas » et combattre les injustices de ce monde.
Óscar Romero, archevêque de San Salvador, incarne cette tendance sociale du christianisme. Alors qu'une junte militaire faisait régner la terreur dans son pays, il dénonce les exactions de la dictature. Rejoignant les théories de Gutiérrez, il affirme que la foi en Jésus se concrétise par un engagement en faveur des victimes. Il meurt, en mars 1980, abattu d'une balle en pleine poitrine. En mai 2015, le pape François soutient sa béatification. Chantre d'une église des pauvres, François s'inscrit lui aussi dans cette filiation du christianisme social.
Hugo Chávez, bouillant président vénézuélien, représente la synthèse du Christ social et du Che, à travers son courant politique dit « bolivarien », car Simón Bolívar, héros de la libération de l'Amérique du Sud, en est la figure centrale. Mais, dans l'imagerie du parti, la figure de Jésus n'est jamais bien loin. Dans les quartiers pauvres et les campagnes, des peintures de propagande affichent une étonnante trinité politico-religieuse : Jésus, Bolívar, Chávez. Trois figures, trois époques, mais un seul et même combat politique.
En Espagne, Pablo Iglesias, chef du parti Podemos créé en 2014, entretient sciemment une étroite ressemblance physique avec Jésus : des cheveux longs et une petite barbe. Il proclame dans la presse : « Jésus Christ aurait fait partie de Podemos. » Ainsi, depuis 2 000 ans, Jésus est une figure aux multiples visages, très contradictoires, aujourd'hui « de droite » comme « de gauche ». Il a servi à justifier l'autorité comme à la contester ; et les leaders des pays chrétiens ont souvent exploité à leur avantage l'image du Christ qui leur semblait la plus utile politiquement.
Où se serait situé le Christ sur l'échiquier politique actuel ? La question, polémique à souhait, inspire à un historien de l'Antiquité la tribune suivante.
www.lepoint.fr