Trop de confiance en soi nuit à notre jugement

madalena

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« Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement », pointait le duc de La Rochefoucauld (Réflexions ou sentences et maximes morales, 1665). La formule n’a pas faibli, mais les neurosciences l’éclairent d’un jour paradoxal. Elles montrent l’importance d’une région du cerveau qui traite nos jugements ainsi qu’une forme de mémoire.

Deux recherches révèlent en sus que nos jugements sont modulables, voire manipulables. Ils sont influencés par le contexte où nous nous trouvons : par exemple, si nous écoutons une musique agréable ou déplaisante. C’est ce que dévoile la première étude, publiée dans le Journal of Neuroscience le 4 février. Mais nos jugements dépendent aussi du degré de confiance que nous plaçons en eux, nous apprend la seconde étude, publiée le 20 juillet dans Nature Neuroscience. Ainsi, ce que les publicitaires savent si bien exploiter trouve une confirmation biologique.

« Nous avons aussi découvert qu’une même région du cerveau code nos jugements de valeur et la confiance que nous leur portons. C’est un résultat qui nous a surpris », admet Jean Daunizeau, chercheur Inserm à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM, hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris), coauteur de cette publication.

En confiance, des opinions tranchées
Cette région aux dons multiples, c’est notre cortex préfrontal ventro-médian, qui siège au-dessus et entre les deux yeux. « Depuis une dizaine d’années, nous savons que cette région joue un rôle central dans les valeurs que nous attribuons aux objets. Son activité augmente quand quelque chose nous plaît, relève Mathias Pessiglione, de l’ICM, principal auteur de ce travail. En 2009, nous avons montré qu’elle code automatiquement la valeur des objets que nous regardons, même si nous sommes occupés à une autre tâche. » Cette région assigne un « prix » à n’importe quel type « d’objet » : visage, musique, nourriture, projet de vacances… Car notre propension à évaluer est incessante !

Les chercheurs ont demandé à quelques dizaines de volontaires d’évaluer, sur une échelle de – 10 à + 10, leur attrait pour un stimulus visuel (photos de visages, de maisons ou de tableaux). Ils devaient aussi estimer leur degré de confiance dans leur jugement. Résultat : une très belle courbe en U lie nos jugements de valeur à notre confiance. Quand nous n’avons pas confiance en nos choix, nos notes sont moyennes. Mais quand nous sommes en confiance, nos jugements sont plus extrêmes. En clair, plus on est sûr de soi, plus on s’autorise des opinions tranchées.

En parallèle, l’équipe parisienne a montré, par IRM, que l’activité du cortex préfrontal ventro-médian est proportionnelle à la valeur attribuée aux objets, mais aussi au degré de confiance. « Quand nous jugeons quelque chose, nous essayons d’être le plus précis possible : c’est pourquoi cette aire du cerveau mesure aussi notre certitude. Elle traite la confiance comme une valeur en soi qu’il faut maximiser », résume Jean Daunizeau.

Ce codage commun expliquerait le caractère parfois irrationnel de nos comportements. « De même que nous sommes soumis à des illusions perceptives, nous pourrions être victimes d’illusions de jugement, indique Raphaël Gaillard, professeur de psychiatrie à l’université Paris-Descartes et à Sainte-Anne. La confiance pourrait “contaminer” la détermination des valeurs, ou inversement. Par exemple, quelqu’un qui serait artificiellement en grande confiance pourrait surestimer la valeur de ce qui lui est présenté. »

Maladies psychiatriques
« Nos résultats offrent une explication au “biais d’optimisme”. Ainsi, 95 % des gens s’estiment meilleurs conducteurs que la moyenne », s’amuse Mathias Pessiglione. Certaines maladies psychiatriques pourraient aussi modifier la confiance, donc les valeurs. « L’état maniaque est marqué par une expansion de la confiance, qui pourrait hypertrophier les valeurs. Ainsi, certains patients maniaques se mettent en danger par des achats déraisonnables », explique Raphaël Gaillard. Quant aux prémices de la schizophrénie, ils semblent marqués par une perturbation de la capacité à utiliser la confiance pour pondérer les choix. C’est ce que suggère une étude publiée le 9 juin dans Molecular Psychiatry par Fabien Vinckier et Raphaël Gaillard. Ces résultats ouvrent des perspectives en neuroéconomie, pour comprendre les mécanismes cérébraux qui sous-tendent nos choix. « Il faudra sans doute prendre en compte la confiance avec laquelle nous effectuons nos jugements », note Jean Daunizeau.

« L’élégance extraordinaire » de cette étude est saluée par le professeur Bruno Falissard, psychiatre et directeur de l’unité santé mentale et santé publique de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. Mais « elle livre une loi statistique qui ne permet pas de prédire le comportement d’une personne à un instant donné. Le fonctionnement biologique du cerveau ne remet pas en cause la liberté ou le déterminisme des humains », tempère-t-il.

Il en va de même dans le contrôle de la peur : la commande cérébrale se trouve juste entre nos yeux ! Car la mémoire de la peur est aussi traitée dans cette même région du cerveau. C’est ce que montre une étude américaine, publiée le 31 juillet dans Science Advances par l’équipe d’Olena Bukalo, des Instituts nationaux de la santé américains (NIH, Bethesda). Les auteurs y révèlent l’importance d’un circuit cérébral critique pour « éteindre » la mémoire de la peur chez la souris. Par une technique d’optogénétique, ils ont sélectivement activé les neurones du cortex préfrontal qui se projettent dans l’amygdale. Résultats : des souris soumises à des traumatismes répétés (un son associé à un choc électrique, par exemple) oublient plus facilement leur anxiété. « Ce très beau travail ouvre la perspective de vérifier si ce circuit est aussi affecté dans les syndromes de stress post-traumatique chez l’homme, dans l’espoir de développer des traitements plus spécifiques », estime Alexander Fleischmann, chercheur Inserm au Collège de France (Paris).


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