Une conscience religieuse cloisonnée par le déni

Difkoum

Anti sioniste et khawa khawa.
Attendant que le feu ne « passe » au vert, dans la banlieue oranaise, j’ai remarqué une affiche collée sur un poteau : « Profite de ces quelques minutes pour demander pardon à Allah ». Elle avait été collée, un peu partout, par des zélés religieux.

Cela m’avait offusqué au plus haut point : voilà que sous le même feu rouge où attend une femme subsaharienneavec un bébé, cette conscience religieuse cloisonnée par le déni trouve le moyen de m’interpeller sur ma culpabilité supposée envers un dieu, et pas envers un être humain. Je veux parler, le reste de mes années de vie, de ce déni. Je suis, là aussi, Jonas.

Je rêve d’une éthique de la responsabilité qui ne soit pas conditionnée par le postcolonial, la jérémiade, le refus de lucidité, le confort, l’Orient ou l’Occident, une religion ou son contraire.
Et il est si difficile de défendre cette position qui veut comprendre la peur de l’un et admettre le droit de vivre de l’autre. Je rêve d’une sorte de Jonas qui ne perd pas son temps à fuir, à se noyer, à revenir sur la terre, à pleurer pour un arbre. Je plaide pour la responsabilité.

À la fin, je veux conclure sur le droit de se battre pour avoir des hôpitaux dignes et humains dans mon pays et sur le devoir de chacun de sauver la vie de ses enfants. C’est la loi fondamentale de notre histoire : voyager, espérer, dépasser et se battre. Mourir et faire vivre.

Ma vision est celle d’un Sud responsable et d’un Nord qui assume. Le migrant n’arrive pas sans sa culture et, cette culture, il peut décider d’en faire un partage et non une réclusion ou un repli sur soi.
Le pays qui l’accueille fera de sa culture une valeur humaine et non un prétexte de repli sur les siens. La terre est ronde et non plate malgré ce que disent les complotistes. C’est à dire que lorsqu’on en fait le tour, on revient à soi. Par n’importe quel chemin.

L’orientalisme est un peu mort. Presque mort depuis un demi-siècle. On y a vu l’apogée des malentendus alors qu’il était la possibilité paisible, désordonnée ou limitée de se comprendre.

Aujourd’hui, il n’en reste rien. On se récuse.

Là aussi, j’ai une sorte de rêve de métier : celui de me faire « occidentaliste ». De penser l’Occident, décortiquer mes fantasmes sur cette géographie, mes contradictions, mes désordres. Raconter mes voyages aux miens et confronter mes différences.

Le discours sur soi est revendiqué par la différence radicale et raciale, et le discours sur l’Autre est de l’ordre de la phobie, pas de la curiosité

L’Occident est l’espace imaginaire des ambiguïtés du Sud. On rêve d’y aller mais aussi de le détruire. D’y vivre et de le faire mourir. De le convertir mais d’y jouir de la possibilité de la liberté. L’Occident est un sexe, un corps, une liberté, une histoire mais aussi une mémoire de violence, un lieu de nos contradictions, une limite et un lieu de déni.
lieu de déni.

Le migrant rêve de venir y vivre tout en rêvant d’y maintenir sa différence. L’islamiste soumis à la répression des régimes vient s’y refugier et pourtant, c’est cet Occident qui est l’objet de son rejet.

Le Régime s’aide de la mémoire coloniale pour « travailler » sa légitimité face à des populations désenchantées – le populisme du postcolonial – et pourtant, c’est en Occident qu’il envoie ses enfants, achète ses biens et se replie en cas de chaos et de révolution.

L’Occident sert à tout et surtout à ne pas être responsable de son propre monde.
 

Difkoum

Anti sioniste et khawa khawa.
Le fameux « que faire ? »

Espace des contradictions, cet Occident piège du coup l’intellectuel libre du Sud. Nous voilà accusés, du Maroc à Oman, de tous les maux parce que nous défendons des valeurs humaines comme la liberté, l’orgasme, le corps, la démocratie ou l’égalité, qui ne sont pas étendards de l’occidentalité, mais des valeurs salutaires pour tous.

Parce que ces valeurs sont aussi occidentales, celui qui en fait la cause de sa vie se retrouve frappé d’exclusion, occidentalisé, donc traître. Les conservateurs comme les religieux se sont octroyé ce rôle de dépositaires de la valeur de l’authenticité dans le monde dit « arabe », de la tradition et du patriotisme en nous repoussant vers les marges et la mort.
L’intellectuel du Sud qui se révolte contre les religieux et les Régimes est confronté au dilemme de Jonas : rester et se sacrifier pour le salut des siens, pour la possibilité de salut même dans deux ou trois générations ? Ou partir, sauver sa vie, son corps, ses enfants ? S’engager au profit d’une population qui peut être indifférente à votre argument, vos livres et vos articles, ou partir ?

Jonas a refusé de sauver une ville d’inconnus, d’étrangers. Il est parti puis il est revenu. L’une des leçons de sa fable est l’extension du domaine de la responsabilité intellectuelle au périmètre de l’Autre inconnu, étranger.

C’est une réponse longue à la question « Que faire pour l’Autre ? ». Lorsque l’Occident nous aide, il nous condamne. Mais lorsqu’il reste indifférent à nos engagements, il se condamne lui-même à la solitude et à la défaite.
Le meilleur sentier pour cette solidarité reste, pour moi, la culture. Ce vaste champ du sens, de l’œuvre et de l’effort, et de prétention à l’éternité. La culture est ce à quoi s’attaquent, en premier, les fascismes et les radicalismes, les folies cycliques.

Car la culture affirme l’essentiel : la différence. Elle relativise les croyances, rappelle la valeur de l’individu au-delà de l’utopie de la cité, offre le voyage et la rencontre à celui qui n’en a pas les moyens, ouvre l’Autre à l’intime en soi et réduit la distance au bénéfice de la curiosité.
C’est donc la circulation de la culture qu’il faut aider. Dans les deux sens, dans tous les sens possibles. J’aime plaider pour les traductions, le voyage des livres, des œuvres, l’échange des langues et des récits. J’y vois une possibilité de sauver le monde par la traduction.
par la traduction.

La littérature peut-elle sauver le monde ? Un livre peut-il faire vivre ? Je réponds souvent par oui : puisqu’on peut tuer au nom d’un livre, j’aime imaginer que l’on peut sauver par d'autres livres.

J’ai un rapport de foi vis-à-vis de la littérature. Lire m’a offert le monde, cette intimité universelle avec les époques et les géographies, alors que je vivais dans un village sans lien avec le reste du monde.
 

h_meo

lien France Palestine
VIB
Extraits d'un formidable article intitulé
Tous les livres sont sacrés : un texte inédit de Kamel Daoud

Pour celles et ceux souhaitant le lire dans son intégralité :
https://www.middleeasteye.net/opinions/dit-tous-les-livres-sont-sacr-s-1508296758

Bonne lecture.
J'apprécie les idées et le parcours.. Mais je reste sur une petite réserve sur le style... Comme beaucoup d'écrivains francophones ou arabophone du Maghreb il est en recherche de performance linguistique et de paraboles de style pour développer des idées simples. Les idées politiques et les revendications sont simples et directes. Les développer comme des concepts d'une profondeur philosophique dessert leur compréhension et surtout s'isole pa élitisme linguistique des bases auxquelles elles sont destinées.
100 fois Oui pour le fond mais grosse réserve sur la forme..
 
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