La Conversion de Zarathoustra

Difkoum

Anti sioniste et khawa khawa.
À tous mes ex-élèves de Boulemane, du Collège Mixte ou du Lycée Tichoukt, qui sont de grandes femmes et de grands hommes, toujours en exercice de leur fonction ou qui, comme moi, sont partis à la retraite.
Vous m'aviez beaucoup appris, mes enfants, moi qui avais presque le même âge que mes élèves.
Du fond du coeur, je vous remercie et vous souhaite tout le bien-être auquel vous aspirez.
Votre prof qui vous aime.❤

( Titre : La Conversion de Zarathoustra. - Mohammed Talbi -)

Le village d'où j'étais descendu, Boulemane, dans le Moyen-Atlas, était enserré entre quatre énormes montagnes,
Dont l'une, le Tichoukt, de tout le pays est le deuxième plus haut sommet,
La froidure y était très rude, tellement rude que les étrangers affectés là le comparait à un bagne,
Où la vie, pour nous autres habitués à l'aisance urbaine, était une peine quotidienne, car Dieu y plumait ses oies de novembre en mai ;

Nous n'avions ni électricité, à l'époque, ni eau potable, allions en rapporter tous les jours à la source, à la nuit tombante,
Quand nous avions déjà coupé le bois nécessaire pour que le feu tînt jusqu'au matin, pour que notre soirée fût plus clémente,
Et lorsque, poussant chacun notre brouette surchargée, nous remontions la pente vers les hauteurs rampante,
Les glissades, les roulades, les chutes libres dans les bouches d'égoûts transformées par la neige en vrais pièges, étaient monnaie courante ;

Tout était acheminé des villes les plus proches, les légumes, les fruits, les produits de première nécessité,
Mais quand la route était coupée, pendant des semaines, nous nous nourrissions de patience, de solidarité, et d'austérité,
Les villageois, quoique de condition modeste, partageaient généreusement ce qu'ils pouvaient, nous aidaient de leur mieux,
Sur notre bien-être veillaient, en attendant que la neige fondït, qu'enfin le soleil sourît dans les cieux ;

Mais dans la joie, nous travaillions, et de notre noble tâche, nous étions tout à fait conscients,
Et si les fils à papa, les privilégiés, les protégés du ministère de l'éducation,
Avaient été choyés, placés dans leurs mirifiques cités natales, auprès de leur maman, à bon escient,
Notre affectation à nous autres, brebis gâleuses ou égarées, était disciplinaire, paraît-il, une piètre arbitraire punition ;

C'était sans compter avec notre loyauté, notre témérité,
Vite, entre nos aimables hôtes et nous, se tissèrent des relations d'amitié, de fraternité,
Eux comprenaient que nous étions différents, que nous avions besoin d'un peu plus d'espace, d'une plus ample liberté,
Nous avions pour mission d'éduquer les enfants, de les former, d'en faire des hommes cultivés, malgré les mauvaises conditions, malgré une alarmante précarité ;

Avez-vous déjà vu de pauvres gamins chausser des sandales en plastique dans la neige,
Marcher contre le vent glacial qui leur lacérait le visage pendant des kilomètres et des kilomètres,
Venir tôt le matin au village, tout contents, tout joyeux, pour assister aux cours, et en fin d'après-midi, harassés par la faim, le froid, la peur, repartir en cortège,
En scandant en choeur, pour se réchauffer le coeur, la table de conjugaison que le lendemain, ils réciteraient devant leur maître ?

Est-il espoir plus fort, ambition plus grande, plus noble,
Que de vouloir à tout prix arracher à la misère ses parents, ses frères, ses soeurs ?
Est-il injustice plus cruelle, discrimination plus lâche, plus ignoble,
Que d'abandonner, livrées à elles-mêmes, des populations autochtones qui, en principe, pour leurs incommensurables sacrifices, mériteraient tous les honneurs ?

J'étais descendu d'un hameau, perché quelque part sur les cimes du néant,
Voir ce que dans les villes somptueuses faisaient les habitants de céans,
Autant mes montagnards étaient bons, humbles, polis, sincères, honnêtes, magnanimes, tolérants, vaillants,
Autant dans la plaine les gens étaient méchants, présomptueux, vulgaires, hypocrites, malhonnêtes, lâches, vicieux, égoïstes, malveillants...
- Mohammed Talbi -
 
Haut