Corniche oranaise: concession des plages ou privatisation?

Même l’ultime plaisir d’aller faire trempette dans une des belles plages de la Corniche oranaise devient un luxe pour le citoyen lambda obligé de passer sous les fourches caudines des concessionnaires.

Famille d’estivants cherche désespérément un petit mètre de sable libre pour s’asseoir !” Annonce farfelue peut-on penser, pourtant, c’est la réalité de ce début de saison estivale sur les plages de la Corniche oranaise. Chaque été, le problème de la concession des plages, débordant plus que de mesure, resurgit avec acuité et avec le même constat : un fait accompli de privatisation des plages et du domaine public et l’exclusion de milliers d’estivants aux revenus modestes.

Cette saison 2011, qui n’en est qu’à ses débuts, voit la situation prendre une ampleur agressive sur l’ensemble des plages les plus prisées de la corniche et donc les plus fréquentées comme Saint-Rock, les Dunes, Bousfer, l’Étoile, les Andalouses, Madagh. Alors que 19 plages ont été officiellement cédées en concession, des prises de bec entre exploitants, ou entre ces derniers et des vacanciers, sont déjà signalées çà et là. L’état des lieux que nous avons trouvé est effarant : un alignement de solariums occupant les 3/4 de la superficie des plages.

Les tables, les chaises et les parasols sont collés les uns aux autres ne laissant aucun centimètre d’intimité “aux clients” comme c’est le cas sur la plage des Andalouses juste avant d’accéder au complexe touristique. À cet endroit, l’occupation a été faite de telle façon que les familles ne pouvant s’offrir les services d’un concessionnaire n’ont qu’une partie incongrue de sable “gratuit”, pas plus large d’un mètre, juste au bord de l’eau devant les solariums. Et encore, si une famille ose planter à cet endroit son parasol, elle se fera immanquablement éjecter et remballer derrière le solarium sans aucune visibilité pour surveiller les enfants et sans accès à l’eau du fait des cordages entourant la concession. Car bien souvent les exploitants toujours plus avides de bénéfices ne s’embarrassent même plus de laisser une zone-tampon entre chaque parcelle.
 
Le summum est atteint sur les plages l’Étoile 1 et 2 totalement accaparées par les concessionnaires qui n’ont laissé aucun m2 de libre. Seuls les deux extrémités sont accessibles et pour cause, la présence de rochers ne permettant même pas d’y étendre une serviette de plage. “À l’eau” ! Le beau principe de la gratuité des plages évoqué par les pouvoirs publics, les concessionnaires, non contents de fonctionner comme si les plages relevaient de leurs propriétés exclusives, pratiquent en plus des “tarifs très libres” : une table, un parasol et 4 chaises sont fixés à 500 DA et plus, pour chaque chaise supplémentaire, il en coûtera 70 DA, d’autres proposent la chaise à 200 DA ! Sur l’une des plages de Aïn El-Turck, nous avons rencontré trois jeunes concessionnaires, chômeurs durant l’année, ils n’ont, disent-ils, que cette activité pour se faire de l’argent. “Avec seulement le bac, je n’ai jamais trouvé de travail sauf pour faire le videur dans un cabaret, la nuit, je ne veux pas de ce type de boulot alors l’APC nous a cédé des concessions, elle nous aide en même temps et on verse 20 000 DA pour la saison…” Ces jeunes jureront, mordicus, respecter l’ensemble du cahier des charges, mettant en avant un argument de taille : “On n’accepte que les familles ici !” Un cahier des charges strict qui prévoit que seuls 30% de la superficie de la plage peuvent être donnés en concession par les APC, de laisser des passages et des zones d’accès libre, les parcelles ne devant pas dépasser les 10 m2.

Face à ces dépassements constatés, entre rapport de force et complicité, administration et collectivités locales, sont totalement absentes. Nous avons sollicité par téléphone le directeur du tourisme pour un entretien qui ne nous sera jamais accordé, et aucun autre interlocuteur ne daignera nous recevoir. Un refus de communiquer qui en dit long sur l’incapacité de l’administration à réglementer l’activité des solariums et d’éviter de répondre aux questions qui pourraient s’avérer dérangeantes. Ainsi pour goûter au plaisir de la mer, nombres de familles oranaises subiront un racket bien organisé et juteux.

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