Couvrir Gaza, sous les insultes : journaliste, je ne me tairai pas
Caroline Bourgeret | Journaliste
(De Gaza) Le cessez-le-feu est effectif depuis plus de trois jours. Les derniers journalistes sont partis ce matin, jai tout lhôtel pour moi. Cest un peu glauque. Lactualité sest déplacée. Les regards se tournent ailleurs. Gaza retourne à son quotidien et le côté « coupé du monde » se fait soudainement sentir.
Je me retrouve seule sur mon lit, avec Twitter et Facebook où pleuvent les messages dencouragement mais aussi dinsultes. Jentends la mer, les vagues frappent fort ce matin. Il ne fait pas chaud et je reste sous ma couette car ma fenêtre a explosé dans le bombardement de la rue devant lhôtel mardi dernier. Ils ont mis de la cellophane mais ce nest pas très efficace contre le froid.
Les critiques sont variées. Ça commence par « manque dimpartialité » parce que jai posté la photo dune salle de classe où une des petites chaises est restée vide hier matin. Et ça va jusquaux accusations de gens qui me traitent de « porte-parole du Hamas ».
Il faudrait que ça me fasse rire. Mais je suis épuisée, et ça ne me fait pas rire.
Des ravages dans les murs, sur les corps...
Je suis là depuis une semaine, et je rêve tout simplement dune douche deau douce. Mais je suis à Gaza, et dans cette partie de la ville, leau du robinet est très salée. Cest un truc sympa ça. Il ny a de lélectricité que par intermittence.
Je traîne dans le centre aujourdhui. La vie a repris. Régulièrement on croise un champ de ruines. Des cratères parfois tellement profonds que tout limmeuble a disparu dedans. Le point commun entre Gaza et lInde, cest le nombre destropiés qui font la manche.
En retirant de largent à la banque, je vois un homme assis par terre, amputé des deux jambes. Un vieux. Blessé dans un bombardement israélien il y a longtemps déjà, daprès ce quil baragouine. Il y en a des dizaines dans les rues. Les ravages des offensives israéliennes sont visibles partout. Dans les murs, sur les corps, dans les esprits et dans les curs.
Je prends un café et une claque
Je prends un café avec un jeune rappeur dont on mavait donné le contact à Beyrouth (Liban). Il me raconte à quel point ça rend fou de ne pas pouvoir se déplacer :
« Tu conduis au maximum vingt minutes vers le Nord, une demi-heure vers le Sud, et un gros quart dheure vers lEst si tu as la chance quil y ait des embouteillages. »
Le road trip qui vide la tête, ça nexiste pas à Gaza. Antara a voyagé un peu, en Europe, pour des concerts. Mais ça ne lintéresse plus vraiment. Cest aux Arabes quil veut sadresser avec sa musique.
« Ce sont eux qui doivent nous soutenir en priorité. »
Comment peuvent-ils vouloir rester ici ? Lui et les autres musiciens font partie de la catégorie des Gazaouis qui nauraient pas trop de mal à obtenir des visas démigration. Mais ce jeune mec, comme la petite cyberactiviste rencontrée une heure après, disent la même chose :
« Ma place est ici, avec les miens. Cest mon devoir dapporter une pierre à lédifice de la lutte de notre peuple. »
Je prends une claque. Jamais, nulle part, je nai vu autant de courage. Les vieux, les jeunes, les femmes, les hommes, les enfants. Tout le monde est courageux.
suite:
http://www.rue89.com/2012/12/03/couvrir-gaza-sous-les-insultes-je-ne-me-tairai-pas-237525
Caroline Bourgeret | Journaliste
(De Gaza) Le cessez-le-feu est effectif depuis plus de trois jours. Les derniers journalistes sont partis ce matin, jai tout lhôtel pour moi. Cest un peu glauque. Lactualité sest déplacée. Les regards se tournent ailleurs. Gaza retourne à son quotidien et le côté « coupé du monde » se fait soudainement sentir.
Je me retrouve seule sur mon lit, avec Twitter et Facebook où pleuvent les messages dencouragement mais aussi dinsultes. Jentends la mer, les vagues frappent fort ce matin. Il ne fait pas chaud et je reste sous ma couette car ma fenêtre a explosé dans le bombardement de la rue devant lhôtel mardi dernier. Ils ont mis de la cellophane mais ce nest pas très efficace contre le froid.
Les critiques sont variées. Ça commence par « manque dimpartialité » parce que jai posté la photo dune salle de classe où une des petites chaises est restée vide hier matin. Et ça va jusquaux accusations de gens qui me traitent de « porte-parole du Hamas ».
Il faudrait que ça me fasse rire. Mais je suis épuisée, et ça ne me fait pas rire.
Des ravages dans les murs, sur les corps...
Je suis là depuis une semaine, et je rêve tout simplement dune douche deau douce. Mais je suis à Gaza, et dans cette partie de la ville, leau du robinet est très salée. Cest un truc sympa ça. Il ny a de lélectricité que par intermittence.
Je traîne dans le centre aujourdhui. La vie a repris. Régulièrement on croise un champ de ruines. Des cratères parfois tellement profonds que tout limmeuble a disparu dedans. Le point commun entre Gaza et lInde, cest le nombre destropiés qui font la manche.
En retirant de largent à la banque, je vois un homme assis par terre, amputé des deux jambes. Un vieux. Blessé dans un bombardement israélien il y a longtemps déjà, daprès ce quil baragouine. Il y en a des dizaines dans les rues. Les ravages des offensives israéliennes sont visibles partout. Dans les murs, sur les corps, dans les esprits et dans les curs.
Je prends un café et une claque
Je prends un café avec un jeune rappeur dont on mavait donné le contact à Beyrouth (Liban). Il me raconte à quel point ça rend fou de ne pas pouvoir se déplacer :
« Tu conduis au maximum vingt minutes vers le Nord, une demi-heure vers le Sud, et un gros quart dheure vers lEst si tu as la chance quil y ait des embouteillages. »
Le road trip qui vide la tête, ça nexiste pas à Gaza. Antara a voyagé un peu, en Europe, pour des concerts. Mais ça ne lintéresse plus vraiment. Cest aux Arabes quil veut sadresser avec sa musique.
« Ce sont eux qui doivent nous soutenir en priorité. »
Comment peuvent-ils vouloir rester ici ? Lui et les autres musiciens font partie de la catégorie des Gazaouis qui nauraient pas trop de mal à obtenir des visas démigration. Mais ce jeune mec, comme la petite cyberactiviste rencontrée une heure après, disent la même chose :
« Ma place est ici, avec les miens. Cest mon devoir dapporter une pierre à lédifice de la lutte de notre peuple. »
Je prends une claque. Jamais, nulle part, je nai vu autant de courage. Les vieux, les jeunes, les femmes, les hommes, les enfants. Tout le monde est courageux.
suite:
http://www.rue89.com/2012/12/03/couvrir-gaza-sous-les-insultes-je-ne-me-tairai-pas-237525