critiquent tous les pouvoirs autoritaires… sauf le marocain

Leïla Slimani, Tahar Ben Jelloun, Rachid Benzine · À la Une du Nouveau Magazine littéraire de mai 2018 affichée sur les kiosques parisiens, on pouvait lire : « Libres. Leïla Slimani-Esli Erdoğan : contre toutes les tyrannies. » Toutes les tyrannies ? Pas sûr. Qu’ils s’appellent Tahar Ben Jelloun, Rachid Benzine ou Leïla Slimani, pour ces intellectuels franco-marocains, l’aspiration à la démocratie s’arrête, brusquement, aux portes du palais royal.



2 mai 2016. Réception à l’Élysée. À droite de François Hollande, Tahar Ben Jelloun et Leila Slimani ; derrière, Rachid Benzine.

Présidence de la République française
Ce n’est pas la première fois qu’une publication française met ainsi en avant l’écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani, lauréate du prix Goncourt 2016. Elle a été adoubée par le président Emmanuel Macron qui l’a nommée sa représentante personnelle pour la francophonie. Elle est désormais la coqueluche des médias de la métropole toutes tendances confondues, et décrite comme la nouvelle égérie mondiale de la lutte « contre toutes les tyrannies », notamment dans le monde arabo-musulman. Toutes les tyrannies ? Presque, car chez Leïla Slimani, le souffle de la révolte s’estompe dès qu’il est question du régime politique marocain, et plus particulièrement de la monarchie chérifienne.
Ce constat s’inscrit dans un processus plus large qui caractérise aussi bien le règne de Mohammed VI que celui de son père, le roi Hassan II (1929-1999) : la cooptation des célébrités franco-marocaines, un exercice pour lequel le palais dispose d’un véritable savoir-faire.


« LES INTELLECTUELS DE SA MAJESTÉ »
Lorsqu’en 1987, l’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun reçoit le Goncourt pour La Nuit sacrée,Hassan II lui adresse un message de « haute sollicitude » et de « félicitations paternelles ». Depuis, l’auteur du Racisme expliqué à ma fille évite tout commentaire critique sur l’ancien règne et il a fallu attendre la mort d’Hassan II en 1999 — les langues commençant peu à peu à se délier — pour que le romancier publie un premier livre sur le bagne de Tazmamart en s’appuyant sur le récit d’un rescapé, Aziz Binebine. Il vient de sortir un autre ouvrage sur le même thème, La Punition (Gallimard, 2018), dans lequel il décrit une expérience qu’il a vécue au Maroc pendant une période limitée, avant de partir en France pour s’y installer définitivement en 1971. Il y raconte notamment, avec un brin de narcissisme, son service militaire en le présentant comme « dix-neuf mois de détention » en mars 1965. Il est alors âgé de 21 ans, pleure sa « belle »chevelure rasée et « ce que furent ces longs mois qui marquèrent à jamais ses vingt-ans », mais qui ont fait naître secrètement, dit-il, l’écrivain qu’il est devenu. Sur le régime d’Hassan II, ses « jardins secrets » et ses abus ? Pas un traître mot.
Avec l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI, le phénomène de cooptation a non seulement continué, mais il s’est renforcé : à l’exemple de Leïla Slimani, la nouvelle vague des « intellectuels de Sa Majesté » est incarnée aujourd’hui par de jeunes auteurs franco-marocains qui ont un accès facile aux médias français, où ils dénoncent à peu près les mêmes phénomènes : le conservatisme de la société marocaine d’une part, et les travers de l’islam politique de l’autre. Mais dès qu’il s’agit du régime politique, motus et bouche cousue.

 
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Il faut dire que pour les promoteurs de l’image du roi, le profil de Leïla Slimani est plus qu’intéressant : tout en s’insurgeant contre l’islamisme, le conservatisme religieux et la culture « misogyne » de la société marocaine (qu’elle a quittée depuis 16 ans), elle épargne soigneusement l’absolutisme du pouvoir politique marocain. Le titre de commandeur des croyants de Mohammed VI qui lui permet de justifier l’excès de pouvoir par la religion ? Les atteintes à la liberté d’expression, de réunion et de manifestation devenues quasi quotidiennes au Maroc ? La concentration du pouvoir et ses retombées en termes de démocratie ? La répression des manifestations pacifiques du Rif et de Jerada, l’emprisonnement et la torture des jeunes de ces régions qui font partie du « Maroc inutile » ? Tout cela ne figure pas dans la liste des « tyrannies » que Leïla Slimani dénonce dans les colonnes des journaux français.
 
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