Diego, 18 ans, un français bléssé en palestine.

RADIO2

on air
Diego, étudiant français, s’est trouvé plongé au cœur des tensions entre Israël et Palestine, où il a été blessé par une balle en caoutchouc.
http://rue89.nouvelobs.com/sites/ne..._half/public/assets/image/2014/08/balle_0.png
Ce 24 juillet, après la prière du soir, de nombreuses grenades assourdissantes sont tirées par les unités israéliennes, venues en force à Ras al-Amoud pour bloquer tout accès à la vieille ville de Jérusalem. La riposte israélienne aux jets de pierres est immédiate, foudroyante, d’une disproportion effrayante.

Aux pierres arabes, les militaires répondent à la balle éclairante, provoquant des éclats dignes des plus somptueux feux d’artifices. Le problème, c’est que ces éclats sont dirigés vers les Palestiniens. Sans distinction. Des enfants aux vieillards, tous sont pris dans la tourmente des feux israéliens. Tsahal va jusqu’à lancer des projectiles au sein de l’enceinte de la mosquée, provoquant des mouvements de foule incontrôlables.

Tout proche de la maison d’Abraham, et stupéfait par la violence des affrontements, je me réfugie derrière une voiture. J’ai la mauvaise idée de me relever une seconde, pour mesurer le niveau d’avancement des forces israéliennes sur le carrefour. Mauvais choix.

Une balle en caoutchouc au-dessus des yeux

Diego Filiu peu de temps après sa blessures par une balle en caoutchouc (DR)

Un instant plus tard, je m’entends crier de douleur. Touché au front par une balle en « caoutchouc », juste au-dessus des yeux. Mon T-shirt blanc est déjà rouge de sang. En fait, ce sont mes oreilles qui ont réagi en premier. J’ai entendu un sifflement atroce, qui m’a vrillé les tympans avant de me clouer sur place.

Et là, comme dans un rêve, je me sens soulever par les deux Palestiniens qui m’entourent derrière cette voiture. C’est presque irréel. Une scène que je n’avais vue que par écran interposé, à Homs où à Gaza. Mais non, c’est à Jérusalem. Et le blessé en sang, hurlant, c’est moi. Je n’ose imaginer ce qui serait advenu si j’étais resté seul derrière cette voiture, sans personne pour m’emmener à l’abri. Je me retrouve sur la terrasse des voisins, aspergé d’eau glacé et entouré par de nombreuses personnes, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, résidents, voisins et manifestants. A coup de prières et de questions incessantes, ils m’empêchent de perdre conscience. Et appellent les secours médicaux.

Nous attendrons néanmoins longtemps l’arrivée de l’ambulancier. Et pour cause : à aucun moment, les forces israéliennes ne réduisent l’intensité des tirs, empêchant les professionnels de santé – pourtant bien visibles avec leur gilet fluorescent – d’accomplir leur mission. Une fois l’ambulancier arrivé, tout s’enchaîne très vite. Un fil m’est cousu dans le front, à la lumière de la terrasse et des téléphones portables. L’ambulancier me soulève, nous remontons dans la rue.

Ici, tout devient flou. Nous traversons le carrefour attenant à la mosquée, passant à quelques mètres des mêmes forces spéciales qui viennent de me tirer dessus. Nous fendons la masse compacte des manifestants. J’entends l’ambulancier prêcher en arabe le calme indispensable à l’évacuation des blessés. Nous sommes à quelques mètres de l’ambulance, protégés par la foule palestinienne des balles des hommes en noir. C’est à ce moment, à notre gauche, qu’un homme s’écroule. Touché à l’arrière du crâne alors qu’il courait vers l’intérieur de Ras al-Amoud, en direction opposée à l’armée israélienne. Le doute n’est donc plus permis : Tsahal vise les visages, et peu importe que les individus fuient la confrontation.
 

RADIO2

on air
Au cours de mes déplacements en Cisjordanie, j’ai ressenti l’importance essentielle de Jérusalem, inaccessible à la plupart des habitants de ce territoire « autonome » en raison des restrictions israéliennes.

De Hébron à Bethléem, de Jéricho à Ramallah, tous les Palestiniens rencontrés m’ont demandé de prier en leur nom à al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam. On comprend alors mieux la colère des Arabes qui, refoulés aux portes de Jérusalem par les soldats de Tsahal, en viennent à leur jeter des pierres. Pierres auxquelles les soldats répondent à la grenade assourdissante et à la balle en caoutchouc (en fait, une balle d’acier, recouverte de caoutchouc).

J’ai en effet assisté aux manifestations du vendredi, fréquentes à Ras al-Amoud où je vis, car la mosquée du quartier est le site de repli en cas d’interdiction d’accès à al-Aqsa. C’est souvent là que les fidèles refoulés défient le barrage israélien. Ces troubles restent limités, même après le meurtre sauvage d’un Palestinien de 16 ans, brûlé vif par des extrémistes juifs, le 2 juillet à Jérusalem-Est.


Jour de prière à Ras al-Amoud (Diego Filiu)

L’affrontement prend une tout autre ampleur le soir du 24 juillet, nuit du Destin pour les musulmans (la plus importante du mois de jeûne de Ramadan) – et seizième jour de l’opération Bordure protectrice à Gaza.

Ce 24 juillet, après la prière du soir, de nombreuses grenades assourdissantes sont tirées par les unités israéliennes, venues en force à Ras al-Amoud pour bloquer tout accès à la vieille ville de Jérusalem. La riposte israélienne aux jets de pierres est immédiate, foudroyante, d’une disproportion effrayante.

Aux pierres arabes, les militaires répondent à la balle éclairante, provoquant des éclats dignes des plus somptueux feux d’artifices. Le problème, c’est que ces éclats sont dirigés vers les Palestiniens. Sans distinction. Des enfants aux vieillards, tous sont pris dans la tourmente des feux israéliens. Tsahal va jusqu’à lancer des projectiles au sein de l’enceinte de la mosquée, provoquant des mouvements de foule incontrôlables.

Tout proche de la maison d’Abraham, et stupéfait par la violence des affrontements, je me réfugie derrière une voiture. J’ai la mauvaise idée de me relever une seconde, pour mesurer le niveau d’avancement des forces israéliennes sur le carrefour. Mauvais choix.
 

RADIO2

on air
Je décide néanmoins de poursuivre mon dialogue avec les Israéliens, à Jérusalem comme à Tel Aviv. Je mesure mieux l’angoisse profonde de la population israélienne.

Saturés d’informations sur la guerre en permanence, toujours proches d’un abri antibombes, les Israéliens se sentent véritablement menacés. Et peu importe que les roquettes du Hamas n’aient tué que deux civils israéliens, alors que les morts palestiniens se comptent à présent par centaines. Non, Israël a peur.

Du côté palestinien, chaque roquette qui tombe sur Israël est une délivrance. Je me trouvais dans la vieille ville de Jérusalem au moment où trois roquettes touchèrent le secteur occidental et israélien. Je me rappellerai toute ma vie la clameur qui s’éleva de la foule à ce moment-là. Même les plus modérés me l’affirment : les roquettes sont devenues le seul moyen de faire entendre le peuple palestinien, face à un Israël inflexible et une communauté internationale passive. J’en suis profondément choqué.


« Donnez pour nos troupes qui combattent à Gaza » (Diego Filiu)

Mon voyage ne fut pourtant pas qu’une succession de désillusions, loin de là. J’ai tenté de découvrir la réalité du conflit, bien conscient que cela serait éprouvant. Mais des moments de grâce, de recueillement et de paix parsemèrent également mon séjour.

Comme cet instant fragile où, devant un écran géant de la vieille ville de Jérusalem, les soldats israéliens se sont mêlés aux spectateurs arabes pour profiter ensemble d’un match de la Coupe du monde, oubliant leurs haines et leurs peurs.

Comme cette rencontre, dans le bus ralliant de nuit Tel Aviv à Jérusalem. Une Israélienne me recommanda de ne pas me rendre à Jérusalem-Ouest avec le T-shirt que je portais ce jour-là, arborant le mot paix écrit à la fois en arabe et en hébreu. Je lui ai demandé si cela tenait au fait de l’écriture bilingue, alors que les extrémistes de chaque camp prétendent écrire la paix à leur manière, dans leur seule langue.

Mais non, c’est le concept même de paix qui m’aurait valu, selon elle, d’être tabassé à l’Ouest. J’en restai sans voix, réalisant en même temps la force de conviction de certains Israéliens pacifistes.
 

RADIO2

on air
Comme cet échange avec Samir, un ami palestinien. Alors qu’il m’emmenait à l’hôpital, afin de donner notre sang pour les victimes de Gaza, nous passâmes par plusieurs rues à l’odeur intolérable.

Samir m’expliqua que cela était dû aux produits dont Tsahal asperge les manifestants, mélanges d’eaux usées et de liquides chimiques. Cela permet ainsi aux militaires de repérer les Palestiniens suspects, puisque l’odeur persiste plusieurs jours en dépit des efforts. « Nous sommes des souris », me dit-il en riant. Des souris de laboratoire pour l’armée israélienne, mais avec un sourire imperturbable.

Ce rire, ce visage rayonnant de force et de vie, c’est ce que je veux retenir de ce voyage. Cette persévérance, cette amitié en dépit des souffrances, c’est la Palestine que j’ai vécue tout au long de cet été. Je n’en reviens pas détruit, écrasé de l’oppression que j’y ai vue, que j’ai même vécue dans mon corps. J’en reviens grandi, plein d’espoir. L’aube se lèvera sur la Palestine. Et ce sera la meilleure des nouvelles pour Israël.
 
Haut