Le chercheur Farad Khosrokhavar est directeur de l'Observatoire des radicalisations de la Maison des Sciences de l'Homme-Paris. Dans un ouvrage dirigé par le sociologue Manuel Boucher qui vient de paraître (Radicalités identitaires. La démocratie face à la radicalisation islamiste, indigiéniste et nationaliste), il analyse le lien entre djihadisme et question sociale, de par la discrimination et la radicalisation frappant les musulmans dans les quartiers populaires européens.
Ce chapitre a donné lieu à une note de la Chaire citoyenneté de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye dont nous publions ici des extraits remaniés.
Le djihadisme repose la question passionnément débattue en Europe de l'intégration des musulmans. La vraie question est celle de la qualité du vivre-ensemble: d'un côté, on observe un sentiment d'aliénation de la part des musulmans (discrimination, racisme antimusulman, stigmatisation), de l'autre, de la part des autres citoyens, le sentiment que les musulmans font «bande à part» et ne reconnaissent point les traits fondamentaux du vivre-ensemble démocratique.
La discrimination sociale des musulmans
De nombreuses études en France, en Angleterre, en Allemagne et dans d'autres pays européens ont montré qu'à qualification égale, un «Mohamed» n'a pas les mêmes chances d'embauche et surtout la possibilité de trouver le même type de travail qu'un «Robert». En France, la discrimination au travail fait que Robert a entre 3 et 5 fois plus de chances de trouver un emploi que Mohamed et surtout, à qualification égale, les jeunes d'origine immigrée doivent se contenter de travaux moins bien rémunérés et de positions hiérarchiques moins élevées que leurs homologues français d'origine non-immigrée. C'est pourquoi les premiers se rabattent sur l'administration carcérale, la police et l'armée où l'examen d'entrée a une dimension anonyme, en tout cas à l'écrit. Dans l'armée française, en 2005, il y aurait eu entre 10 et 20% de personnel d'origine maghrébine. De même, en Angleterre, les données disponibles révèlent le grand fossé qui sépare les musulmans des autres. Selon une recherche de l'université de Manchester, en 2014, les hommes musulmans avait moins d'une chance sur trois de décrocher un emploi similaire à celui d'un Anglais chrétien de même âge et de même qualification.
En prison, la proportion des musulmans est très supérieure à la leur dans la société: en Grande-Bretagne, les prisonniers musulmans sont trois fois plus nombreux (représentant 15% de la population carcérale pour 4,7% de la population du pays). En France aussi, leur taux d'emprisonnement est probablement quatre à cinq fois supérieur à leur proportion dans la société. Dans d'autres pays européens on rencontre plus ou moins les mêmes phénomènes. Dans leur subjectivité, ces prisonniers musulmans nourrissent souvent un sentiment de forte aliénation par rapport à la société globale, non seulement pour avoir été emprisonnés mais parce qu'ils sont précisément musulmans et sont, dans leur vécu, persuadés d'une forme implicite (Angleterre) ou explicite (France) d'islamophobie.
Ce chapitre a donné lieu à une note de la Chaire citoyenneté de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye dont nous publions ici des extraits remaniés.
Le djihadisme repose la question passionnément débattue en Europe de l'intégration des musulmans. La vraie question est celle de la qualité du vivre-ensemble: d'un côté, on observe un sentiment d'aliénation de la part des musulmans (discrimination, racisme antimusulman, stigmatisation), de l'autre, de la part des autres citoyens, le sentiment que les musulmans font «bande à part» et ne reconnaissent point les traits fondamentaux du vivre-ensemble démocratique.
La discrimination sociale des musulmans
De nombreuses études en France, en Angleterre, en Allemagne et dans d'autres pays européens ont montré qu'à qualification égale, un «Mohamed» n'a pas les mêmes chances d'embauche et surtout la possibilité de trouver le même type de travail qu'un «Robert». En France, la discrimination au travail fait que Robert a entre 3 et 5 fois plus de chances de trouver un emploi que Mohamed et surtout, à qualification égale, les jeunes d'origine immigrée doivent se contenter de travaux moins bien rémunérés et de positions hiérarchiques moins élevées que leurs homologues français d'origine non-immigrée. C'est pourquoi les premiers se rabattent sur l'administration carcérale, la police et l'armée où l'examen d'entrée a une dimension anonyme, en tout cas à l'écrit. Dans l'armée française, en 2005, il y aurait eu entre 10 et 20% de personnel d'origine maghrébine. De même, en Angleterre, les données disponibles révèlent le grand fossé qui sépare les musulmans des autres. Selon une recherche de l'université de Manchester, en 2014, les hommes musulmans avait moins d'une chance sur trois de décrocher un emploi similaire à celui d'un Anglais chrétien de même âge et de même qualification.
En prison, la proportion des musulmans est très supérieure à la leur dans la société: en Grande-Bretagne, les prisonniers musulmans sont trois fois plus nombreux (représentant 15% de la population carcérale pour 4,7% de la population du pays). En France aussi, leur taux d'emprisonnement est probablement quatre à cinq fois supérieur à leur proportion dans la société. Dans d'autres pays européens on rencontre plus ou moins les mêmes phénomènes. Dans leur subjectivité, ces prisonniers musulmans nourrissent souvent un sentiment de forte aliénation par rapport à la société globale, non seulement pour avoir été emprisonnés mais parce qu'ils sont précisément musulmans et sont, dans leur vécu, persuadés d'une forme implicite (Angleterre) ou explicite (France) d'islamophobie.