Enfin, l'boulisse !
Cette “révolution” est due incontestablement à l'arrivée tant attendue des forces de police à El Hajeb. Parce qu'il faut savoir que jusqu'en décembre 2005, ce sont les gendarmes qui avaient le monopole de la sécurité dans la ville. Comment alors une prostitution de cette ampleur a-t-elle pu survivre et se développer malgré leur présence ? Avaient-ils des instructions strictes pour ne pas intervenir ? Un officiel ayant requis l'anonymat avoue : “En arrêtant ces filles, nous aurions causé un drame social énorme dans la ville. Et puis il ne faut pas oublier qu'en plus de ne pas avoir les moyens nécessaires, les gendarmes ne sont pas qualifiés pour les opérations de proximité”. Autre son de cloche chez ce membre du conseil communal : “Foutaises, les gendarmes étaient plutôt dans le coup en protégeant tout ce beau monde. En contrepartie, ils étaient largement récompensés. D'ailleurs il suffit de voir toutes ces villas que certains d'entre eux ont acquises dans la région. Pour l'anecdote, on les surnommait “gendarmes 205” parce que, à peine débarqués, ils arrivaient à se payer une Peugeot 205, ou bien Imarate par exemple”. Amina, cette femme de 35 ans qui a dû travailler pendant plus de cinq ans au “secteur” pour nourrir ses deux enfants abandonnés par leur père, nous confirme cette connivence : “Tout le monde touchait sa part, du simple brigadier aux gradés. Et ils ne faisaient pas que fermer les yeux puisqu'ils participaient très souvent à nos soirées et en présence de très jeunes filles”. Selon de nombreuses sources sur place, les gendarmes ne sont pas les seuls à avoir profité de la situation. Certains magistrats de Meknès auraient mangé également dans la main de quelques grosses entremetteuses. “Quand certaines filles se faisaient arrêter exceptionnellement, parce qu'il fallait bien que les gendarmes donnent à leurs supérieurs l'impression qu'ils travaillaient, elles étaient soit relaxées soit condamnées à des peines très légères”, se souvient Amina. Mais le plus ahurissant dans l'histoire vient du côté des élus. Lors des élections, certains candidats dans l'une des quatre circonscriptions de Hay Akechner, faisaient venir des fourgons pleins de filles d'autres régions du Maroc. Celles-ci n'ayant jamais eu de carte d'identité, étaient faciles à inscrire sur les listes électorales locales. D'ailleurs, d'après ce membre du conseil communal, un des élus actuels serait un proxénète notoire. “Oui c'est vrai, nous confirme Amina, les candidats se bousculaient dans les maisons closes pour nous demander de voter pour eux. En contrepartie, ils nous offraient leur protection”. Pourquoi alors a-t-on dû attendre aussi longtemps pour que cette situation évolue enfin ?
C'en est assez !
Le tournant a lieu d'abord en 1997 avec l'affaire Khadija Bahi. Cette fillette séquestrée au “secteur” durant huit longues années, réussit alors à s'enfuir et à faire éclater au grand jour son calvaire. Les projecteurs se tournent alors vers ce minuscule patelin qu'on appelle El Hajeb. Le Maroc tout entier découvre la triste réalité de toutes ces femmes, dont font partie des mineures, obligées de se prostituer pour survivre à leur misère, mais surtout l'existence de cas de séquestrations. Ce militant associatif qui a pris part à l'élaboration d'un recensement à l'époque, affirme : “Les cas de séquestration étaient très nombreux, ils se comptaient par dizaines. Ce sont généralement des petites filles kidnappées, droguées et vendues à des entremetteuses entre 1500 et 4000 dirhams. Certaines d'entres elles restaient séquestrées durant des années et ne voyaient pratiquement pas le soleil. D'ailleurs même pour aller se laver, elles étaient emmenées en groupe en pleine nuit, dans des fourgons, en direction d'un hammam loué pour l'occasion. Et je peux vous assurer que si demain on creusait à l'intérieur de ces maisons-là, on trouverait des cadavres”. A la suite des pressions des médias, des partis et surtout de la société civile, les autorités ont été obligées de réagir. C'est donc l'approche sécuritaire qui va prévaloir, puisqu'une grande campagne sera menée dans la ville. Beaucoup de filles seront arrêtées, d'autres quitteront la région… Mais ce statu quo ne durera pas longtemps. Trois ans tout au plus.