mercredi 8 octobre 2008 - 07h:00
Emmanuel Riondé - Le Monde Diplomatique
Première raison invoquée par les habitants pour expliquer la crise économique, le maintien permanent des barrages et des checkpoints autour de Naplouse.
Une lente strangulation. Cest ce que subissent depuis huit ans les habitants de Naplouse, plus importante ville de Cisjordanie, cernée de checkpoints, même lorsque larmée israélienne semble avoir atteint ses objectifs « sécuritaires ». Les plus démunis, vivant dans les camps de réfugiés et la vieille ville, éprouvent des difficultés grandissantes à assurer le quotidien. Au plan psychologique, loccupation, avec son cortège dhumiliations et de brutalités, fait des ravages.
Du regard, Salah désigne la voiture de police qui stationne devant la boutique de son ami Sam, pâtissier proposant un knafeh un peu trop âcre. La chaleur de juillet baigne la rue, bruissante, colorée. « La sécurité sest améliorée, assure-t-il. Lan dernier à la même époque, durant la journée, il y avait des miliciens armés dans les rues, il fallait dire de quel bord on était... Et chaque nuit, les Israéliens intervenaient en ville. Aujourdhui, cest plus tranquille. »
Revenu en 2003 à Naplouse après avoir suivi des études aux Etats-Unis, Salah a beau sefforcer de présenter sa ville natale sous un jour attrayant, il peine à sen convaincre lui-même : « Mais la situation économique est désastreuse ici... », reconnaît en soupirant le chômeur bientôt quadragénaire.
Etirée dans son étroite vallée du nord de la Cisjordanie, entre le Mont Ebal, hérissé dun camp militaire israélien, et le Mont Gerezim, où vivent les Samaritains [1], Naplouse, ville la plus peuplée de Cisjordanie avec plus de 140 000 habitants, est-elle vraiment devenue « la capitale de la pauvreté, plutôt que la capitale de lindustrie » quelle a longtemps été, comme le regrettait son maire par intérim, Hafez Shaheen, en novembre dernier ?
Le district de Naplouse [2] est en effet celui qui a payé le plus lourd tribut au conflit après le déclenchement de la seconde Intifada le 29 septembre 2000.
Il y a quelques années, léconomie de la ville, bien que déjà très affectée, disposait encore de ressorts rappelant son glorieux passé. Ainsi, la Bourse de Naplouse avait connu début 2005 « une frénésie dachat dactions en Cisjordanie [3] ».
Presque quatre ans plus tard, cette euphorie est retombée. Fateen, 26 ans, a travaillé pendant trois ans dans une entreprise intermédiaire entre la Bourse et ses clients avant de quitter son emploi en avril dernier : « Jétais payé en dinars jordaniens, explique-t-il, léquivalent de 1 500 shekels par mois [4]. A lautomne 2007, le dinar est passé de 6,20 à 4,95 shekels. Je me suis retrouvé avec moins dargent alors que le coût de la vie ne cessait daugmenter... »
Dans son bureau du Programme alimentaire mondial (PAM), sur les hauteurs de la ville à proximité du campus de lUniversité An-Najah, Nidal Dweikat résume la situation : « En un an, les prix ont flambé. Le kilo de pain est passé de 2,5 à 4,5 shekels et le litre dessence de 3,25 à presque 7 shekels. Dans le même temps, les salaires ont stagné et le taux de chômage a augmenté. » Première raison invoquée par les habitants pour expliquer cette crise, le maintien permanent des barrages et des checkpoints autour de Naplouse.
« Le commerce à Naplouse est très dépendant des exportations vers lextérieur de la Cisjordanie, en particulier vers Israël », rappelle lOffice des Nations unies pour les affaires humanitaires (OCHA). Or, après sêtre stabilisé autour de 90 millions de dollars en 2004 et 2005, le volume des échanges de Naplouse vers Israël a chuté brutalement de 112 millions en 2006 à 68,75 millions en 2007. Le coût dun transport de marchandise du port dAshdod à Naplouse est passé de 1 800 à 2 800 shekels en quelques mois.
Plutôt que de se soumettre en permanence aux contrôles de larmée israélienne, de nombreux paysans et artisans des villages alentours ont peu à peu renoncé à commercer avec la ville. Le marché central sest délocalisé et répandu dans les bourgades de la région. Une baisse de lactivité économique qui a fragilisé le marché du travail. Le taux de chômage à Naplouse est passé de 18,2% en 1999 à 26,3% en 2006, soit environ 8 points de plus que le taux de la Cisjordanie [5].
Conséquence : un appauvrissement de la population. Le PAM fournit, à travers ses différents programmes, une aide alimentaire à 3 700 familles nabulsies, soit près de 25 000 personnes ; un chiffre qui na cessé daugmenter ces dernières années, selon Nidal Dweikat. Et une tendance que confirme, à plus petite échelle, Help doctors, une ONG ayant ouvert un dispensaire en novembre 2006 dans la vieille ville. Après une enquête auprès de 114 familles, lorganisation estime que « le revenu mensuel moyen par foyer [6 personnes] est de 620 shekels » dans la Qasbah.
De ce fait, si « tous les produits alimentaires sont normalement disponibles en qualité et en quantité (...), les prix les rendent juste inabordables pour la plus grande partie de la population ». Seules 30 % des familles interrogées peuvent ajouter, seulement une fois par semaine, de la viande à une alimentation composée de humus, falafel, yaourt sec, lentilles et thym. Les cas danémie chez les enfants et les femmes enceintes ne sont pas rares.
Une situation qui désole Ayman Shakaa, directeur du Multipurpose community ressource center (MCRC), un centre daction sociale implanté au cur de la vieille ville. « Naplouse a toujours été connue pour la fierté de ses habitants, rappelle-t-il. Avant, il était difficile dy rencontrer des clochards. Aujourdhui, on en voit de plus en plus. Durant la première Intifada [en 1987], il y avait aussi de la pauvreté, mais la solidarité fonctionnait. Avec la deuxième Intifada, laide humanitaire a introduit lidée que lon peut manger sans rien faire et que cela vient de dehors. Il y a sûrement une véritable volonté daider la population derrière mais, clairement, cela sert aussi une stratégie visant à détruire, sur le long terme, le moral des Palestiniens... »
Un moral miné avant tout par lomniprésence des forces doccupation. « Notre vie est un cauchemar, assène Samar Hawash, coordinatrice nationale de lorganisation féministe Palestinian working woman society for development (PWSSD), ancienne élue municipale et membre du Conseil national palestinien. Si lon sen tient aux besoins humains basiques, être en sécurité chez soi, se déplacer, etc., on est très loin du compte. Le sentiment dinsécurité est permanent et chaque fois que je passe un checkpoint, ma dignité est violée. »
Huit ans après le début de la deuxième Intifada, tous les points daccès à la ville restent sévèrement contrôlés par larmée israélienne. En avril dernier, lOCHA recensait 104 points de fermeture dans tout le district [6].
Rappeler à la population qui est le vrai patron
Ce matin daoût, il est à peine 10 heures et quatre files dattente sétirent déjà sous le hangar de tôle où seffectuent les contrôles du checkpoint dHuwara, ouvrant la route du sud vers Ramallah et Jérusalem. Les trois premières sont réservées aux hommes palestiniens de moins de 45 ans. La quatrième aux femmes, enfants, hommes de plus de 45 ans et aux détenteurs de passeport étranger. Les soldats qui se tiennent à distance - armés de fusils automatiques, casqués et équipés dun gilet pare-balle - invitent dun geste de la main le premier de la file à franchir les 5 ou 6 mètres qui le sépare de la grille tournante. Savancer, passer limposant tourniquet, présenter les bagages, les papiers, répondre aux questions. Et éviter de manifester son impatience : un jeune dont lattitude est jugée arrogante par les soldats est systématiquement renvoyé dans la queue. Il garde le sourire.
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Emmanuel Riondé - Le Monde Diplomatique
Première raison invoquée par les habitants pour expliquer la crise économique, le maintien permanent des barrages et des checkpoints autour de Naplouse.
Une lente strangulation. Cest ce que subissent depuis huit ans les habitants de Naplouse, plus importante ville de Cisjordanie, cernée de checkpoints, même lorsque larmée israélienne semble avoir atteint ses objectifs « sécuritaires ». Les plus démunis, vivant dans les camps de réfugiés et la vieille ville, éprouvent des difficultés grandissantes à assurer le quotidien. Au plan psychologique, loccupation, avec son cortège dhumiliations et de brutalités, fait des ravages.
Du regard, Salah désigne la voiture de police qui stationne devant la boutique de son ami Sam, pâtissier proposant un knafeh un peu trop âcre. La chaleur de juillet baigne la rue, bruissante, colorée. « La sécurité sest améliorée, assure-t-il. Lan dernier à la même époque, durant la journée, il y avait des miliciens armés dans les rues, il fallait dire de quel bord on était... Et chaque nuit, les Israéliens intervenaient en ville. Aujourdhui, cest plus tranquille. »
Revenu en 2003 à Naplouse après avoir suivi des études aux Etats-Unis, Salah a beau sefforcer de présenter sa ville natale sous un jour attrayant, il peine à sen convaincre lui-même : « Mais la situation économique est désastreuse ici... », reconnaît en soupirant le chômeur bientôt quadragénaire.
Etirée dans son étroite vallée du nord de la Cisjordanie, entre le Mont Ebal, hérissé dun camp militaire israélien, et le Mont Gerezim, où vivent les Samaritains [1], Naplouse, ville la plus peuplée de Cisjordanie avec plus de 140 000 habitants, est-elle vraiment devenue « la capitale de la pauvreté, plutôt que la capitale de lindustrie » quelle a longtemps été, comme le regrettait son maire par intérim, Hafez Shaheen, en novembre dernier ?
Le district de Naplouse [2] est en effet celui qui a payé le plus lourd tribut au conflit après le déclenchement de la seconde Intifada le 29 septembre 2000.
Il y a quelques années, léconomie de la ville, bien que déjà très affectée, disposait encore de ressorts rappelant son glorieux passé. Ainsi, la Bourse de Naplouse avait connu début 2005 « une frénésie dachat dactions en Cisjordanie [3] ».
Presque quatre ans plus tard, cette euphorie est retombée. Fateen, 26 ans, a travaillé pendant trois ans dans une entreprise intermédiaire entre la Bourse et ses clients avant de quitter son emploi en avril dernier : « Jétais payé en dinars jordaniens, explique-t-il, léquivalent de 1 500 shekels par mois [4]. A lautomne 2007, le dinar est passé de 6,20 à 4,95 shekels. Je me suis retrouvé avec moins dargent alors que le coût de la vie ne cessait daugmenter... »
Dans son bureau du Programme alimentaire mondial (PAM), sur les hauteurs de la ville à proximité du campus de lUniversité An-Najah, Nidal Dweikat résume la situation : « En un an, les prix ont flambé. Le kilo de pain est passé de 2,5 à 4,5 shekels et le litre dessence de 3,25 à presque 7 shekels. Dans le même temps, les salaires ont stagné et le taux de chômage a augmenté. » Première raison invoquée par les habitants pour expliquer cette crise, le maintien permanent des barrages et des checkpoints autour de Naplouse.
« Le commerce à Naplouse est très dépendant des exportations vers lextérieur de la Cisjordanie, en particulier vers Israël », rappelle lOffice des Nations unies pour les affaires humanitaires (OCHA). Or, après sêtre stabilisé autour de 90 millions de dollars en 2004 et 2005, le volume des échanges de Naplouse vers Israël a chuté brutalement de 112 millions en 2006 à 68,75 millions en 2007. Le coût dun transport de marchandise du port dAshdod à Naplouse est passé de 1 800 à 2 800 shekels en quelques mois.
Plutôt que de se soumettre en permanence aux contrôles de larmée israélienne, de nombreux paysans et artisans des villages alentours ont peu à peu renoncé à commercer avec la ville. Le marché central sest délocalisé et répandu dans les bourgades de la région. Une baisse de lactivité économique qui a fragilisé le marché du travail. Le taux de chômage à Naplouse est passé de 18,2% en 1999 à 26,3% en 2006, soit environ 8 points de plus que le taux de la Cisjordanie [5].
Conséquence : un appauvrissement de la population. Le PAM fournit, à travers ses différents programmes, une aide alimentaire à 3 700 familles nabulsies, soit près de 25 000 personnes ; un chiffre qui na cessé daugmenter ces dernières années, selon Nidal Dweikat. Et une tendance que confirme, à plus petite échelle, Help doctors, une ONG ayant ouvert un dispensaire en novembre 2006 dans la vieille ville. Après une enquête auprès de 114 familles, lorganisation estime que « le revenu mensuel moyen par foyer [6 personnes] est de 620 shekels » dans la Qasbah.
De ce fait, si « tous les produits alimentaires sont normalement disponibles en qualité et en quantité (...), les prix les rendent juste inabordables pour la plus grande partie de la population ». Seules 30 % des familles interrogées peuvent ajouter, seulement une fois par semaine, de la viande à une alimentation composée de humus, falafel, yaourt sec, lentilles et thym. Les cas danémie chez les enfants et les femmes enceintes ne sont pas rares.
Une situation qui désole Ayman Shakaa, directeur du Multipurpose community ressource center (MCRC), un centre daction sociale implanté au cur de la vieille ville. « Naplouse a toujours été connue pour la fierté de ses habitants, rappelle-t-il. Avant, il était difficile dy rencontrer des clochards. Aujourdhui, on en voit de plus en plus. Durant la première Intifada [en 1987], il y avait aussi de la pauvreté, mais la solidarité fonctionnait. Avec la deuxième Intifada, laide humanitaire a introduit lidée que lon peut manger sans rien faire et que cela vient de dehors. Il y a sûrement une véritable volonté daider la population derrière mais, clairement, cela sert aussi une stratégie visant à détruire, sur le long terme, le moral des Palestiniens... »
Un moral miné avant tout par lomniprésence des forces doccupation. « Notre vie est un cauchemar, assène Samar Hawash, coordinatrice nationale de lorganisation féministe Palestinian working woman society for development (PWSSD), ancienne élue municipale et membre du Conseil national palestinien. Si lon sen tient aux besoins humains basiques, être en sécurité chez soi, se déplacer, etc., on est très loin du compte. Le sentiment dinsécurité est permanent et chaque fois que je passe un checkpoint, ma dignité est violée. »
Huit ans après le début de la deuxième Intifada, tous les points daccès à la ville restent sévèrement contrôlés par larmée israélienne. En avril dernier, lOCHA recensait 104 points de fermeture dans tout le district [6].
Rappeler à la population qui est le vrai patron
Ce matin daoût, il est à peine 10 heures et quatre files dattente sétirent déjà sous le hangar de tôle où seffectuent les contrôles du checkpoint dHuwara, ouvrant la route du sud vers Ramallah et Jérusalem. Les trois premières sont réservées aux hommes palestiniens de moins de 45 ans. La quatrième aux femmes, enfants, hommes de plus de 45 ans et aux détenteurs de passeport étranger. Les soldats qui se tiennent à distance - armés de fusils automatiques, casqués et équipés dun gilet pare-balle - invitent dun geste de la main le premier de la file à franchir les 5 ou 6 mètres qui le sépare de la grille tournante. Savancer, passer limposant tourniquet, présenter les bagages, les papiers, répondre aux questions. Et éviter de manifester son impatience : un jeune dont lattitude est jugée arrogante par les soldats est systématiquement renvoyé dans la queue. Il garde le sourire.
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