«Les musulmans semblent éprouver un sentiment de puissance virile à voiler leurs femmes, et les Occidentaux à les dévoiler», écrivait l’essayiste marocaine Fatema Mernissi dans Le Harem et l’Occident(Albin Michel, 2001). L’engouement des médias français pour des figures comme les Femen ou Aliaa El-Mahdy, l’étudiante égyptienne qui, en 2011, avait posé nue sur son blog (1), offre une nouvelle confirmation de la justesse de cette observation. On a pu voir sur France 2, le 5 mars, un documentaire consacré au collectif d’origine ukrainienne implanté en France depuis un peu plus d’un an (2), et un autre intitulé Aliaa, la révolutionnaire nue sur La Chaîne parlementaire (LCP) pour le 8 mars, Journée internationale des femmes.
Tant pis pour les milliers de femmes qui ont le mauvais goût de lutter pour leurs droits tout habillées, et/ou d’offrir un spectacle moins conforme aux critères dominants de jeunesse, de minceur, de beauté et de fermeté. «Le féminisme, c’est ces femmes qui ont défilé dans les rues du Caire, pas les Femen! Et sur ces femmes-là, je vois peu de documentaires TV», s’insurgeait sur Twitter, le 6 février dernier, la correspondante de France Inter en Egypte, Vanessa Descouraux. En France, les organisations féministes «se voient désormais plus souvent interpellées sur ce qu’elles pensent du mouvement d’origine ukrainienne que sur leurs propres actions» (3).
«Si tu montres tes nichons, je reviens avec mon photographe»
Femmes, vous voulez vous faire entendre? Une seule solution : déshabillez-vous!
En octobre 2012, en Allemagne, les réfugiés qui campaient devant la Porte de Brandebourg, au centre de Berlin, pour dénoncer leurs conditions de vie peinaient à attirer l’attention des médias. En colère, une jeune femme qui manifestait avec eux lança à un journaliste de Bild : «Tu veux que je me mette à poil?» «Le journaliste acquiesce et promet de revenir avec son photographe. D’autres journalistes l’apprennent et voilà, la foule d’objectifs se réunit autour des jeunes femmes qui soutiennent les réfugiés. Elles ne se sont pas déshabillées, mais ont profité de l’occasion pour dénoncer le sensationnalisme des médias (4).»
Les Femen, elles, ont été plus pragmatiques. Lors de leurs premières actions, en Ukraine, en 2008, elles avaient inscrit leurs slogans sur leurs dos nus, mais les photographes ne s’intéressaient qu’à leurs seins. Elles ont donc déplacé les inscriptions (5)... Cet ordre des choses n’inspire pas d’états d’âme particuliers à Inna Chevchenko, l’Ukrainienne qui a exporté la marque Femen en France : «On sait de quoi les médias ont besoin, déclarait-elle en décembre à Rue89. Du sexe, des scandales, des agressions : il faut leur donner. Etre dans les journaux, c’est exister (6).» Vraiment?
Certes, la militante féministe Clémentine Autain a raison de rappeler que «le happening, c’est dans notre culture. De la suffragette Hubertine Auclert, qui renversait les urnes lors des élections municipales de 1910 pour que les journaux de la IIIe République puissent avoir leurs photos trash à la Une, aux militantes du MLF qui balançaient du mou de veau dans les meetings des anti-avortement dans les années 1970, on sait aussi monter des coups (7)!». Ce mode d’action est aussi celui de l’association Act Up dans sa lutte contre le sida. Mais encore faut-il que derrière les «coups», il y ait un fond politique solide et bien pensé qui leur donne leur sens. Or, dans le cas des Femen, c’est peu dire que le discours ne suit pas. Quand il ne se révèle pas franchement désastreux.
Contre les vieilles femmes qui lisent des livres
La réduction permanente des femmes à leur corps et à leur sexualité, la négation de leurs compétences intellectuelles, l’invisibilité sociale de celles qui sont inaptes à complaire aux regards masculins constituent des pierres d’angle du système patriarcal. Qu’un «mouvement» — elles ne seraient qu’une vingtaine en France — qui se prétend féministe puisse l’ignorer laisse pantois. «Nous vivons sous la domination masculine, et cela [la nudité] est la seule façon de les provoquer, d’obtenir leur attention», déclarait Inna Chevchenko au Guardian (8). Un féminisme qui s’incline devant la domination masculine : il fallait l’inventer.
Non seulement Chevchenko accepte cet ordre des choses, mais elle l’approuve (toujours dans The Guardian) : «Le féminisme classique est une vieille femme malade qui ne marche plus. Il est coincé dans le monde des conférences et des livres.» Elle a raison : à bas les vieilles femmes malades, elles ne sont même pas agréables à regarder. Et les livres, c’est plein de lettres qui font mal à la tête, bouh! Auteur d’un excellent livre sur les usages du corps en politique (9), Claude Guillon commentait : «Le mieux intentionné des observateurs dirait que cette phrase exprime la présomption et la cruauté de la jeunesse. Il faut malheureusement ajouter pour l’occasion : et sa grande sottise! En effet, et peut-être Inna aurait-elle pu le lire dans un livre, l’image des féministes comme de vieilles femmes coupées du monde (comprenez : et du marché de la chair) est un très vieux cliché antiféministe, qu’il est navrant de voir repris par une militante qui prétend renouveler le féminisme (10).» Depuis, les représentantes françaises du collectif ont cependant dû se résigner à sortir un livre d’entretiens (11) : «En France, il faut publier des textes pour être reconnu, légitime», soupire l’une d’entre elles (Libération, 7 mars 2013). Dur, dur......................
https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2013-03-12-Femen
Tant pis pour les milliers de femmes qui ont le mauvais goût de lutter pour leurs droits tout habillées, et/ou d’offrir un spectacle moins conforme aux critères dominants de jeunesse, de minceur, de beauté et de fermeté. «Le féminisme, c’est ces femmes qui ont défilé dans les rues du Caire, pas les Femen! Et sur ces femmes-là, je vois peu de documentaires TV», s’insurgeait sur Twitter, le 6 février dernier, la correspondante de France Inter en Egypte, Vanessa Descouraux. En France, les organisations féministes «se voient désormais plus souvent interpellées sur ce qu’elles pensent du mouvement d’origine ukrainienne que sur leurs propres actions» (3).
«Si tu montres tes nichons, je reviens avec mon photographe»
Femmes, vous voulez vous faire entendre? Une seule solution : déshabillez-vous!
En octobre 2012, en Allemagne, les réfugiés qui campaient devant la Porte de Brandebourg, au centre de Berlin, pour dénoncer leurs conditions de vie peinaient à attirer l’attention des médias. En colère, une jeune femme qui manifestait avec eux lança à un journaliste de Bild : «Tu veux que je me mette à poil?» «Le journaliste acquiesce et promet de revenir avec son photographe. D’autres journalistes l’apprennent et voilà, la foule d’objectifs se réunit autour des jeunes femmes qui soutiennent les réfugiés. Elles ne se sont pas déshabillées, mais ont profité de l’occasion pour dénoncer le sensationnalisme des médias (4).»
Les Femen, elles, ont été plus pragmatiques. Lors de leurs premières actions, en Ukraine, en 2008, elles avaient inscrit leurs slogans sur leurs dos nus, mais les photographes ne s’intéressaient qu’à leurs seins. Elles ont donc déplacé les inscriptions (5)... Cet ordre des choses n’inspire pas d’états d’âme particuliers à Inna Chevchenko, l’Ukrainienne qui a exporté la marque Femen en France : «On sait de quoi les médias ont besoin, déclarait-elle en décembre à Rue89. Du sexe, des scandales, des agressions : il faut leur donner. Etre dans les journaux, c’est exister (6).» Vraiment?
Certes, la militante féministe Clémentine Autain a raison de rappeler que «le happening, c’est dans notre culture. De la suffragette Hubertine Auclert, qui renversait les urnes lors des élections municipales de 1910 pour que les journaux de la IIIe République puissent avoir leurs photos trash à la Une, aux militantes du MLF qui balançaient du mou de veau dans les meetings des anti-avortement dans les années 1970, on sait aussi monter des coups (7)!». Ce mode d’action est aussi celui de l’association Act Up dans sa lutte contre le sida. Mais encore faut-il que derrière les «coups», il y ait un fond politique solide et bien pensé qui leur donne leur sens. Or, dans le cas des Femen, c’est peu dire que le discours ne suit pas. Quand il ne se révèle pas franchement désastreux.
Contre les vieilles femmes qui lisent des livres
La réduction permanente des femmes à leur corps et à leur sexualité, la négation de leurs compétences intellectuelles, l’invisibilité sociale de celles qui sont inaptes à complaire aux regards masculins constituent des pierres d’angle du système patriarcal. Qu’un «mouvement» — elles ne seraient qu’une vingtaine en France — qui se prétend féministe puisse l’ignorer laisse pantois. «Nous vivons sous la domination masculine, et cela [la nudité] est la seule façon de les provoquer, d’obtenir leur attention», déclarait Inna Chevchenko au Guardian (8). Un féminisme qui s’incline devant la domination masculine : il fallait l’inventer.
Non seulement Chevchenko accepte cet ordre des choses, mais elle l’approuve (toujours dans The Guardian) : «Le féminisme classique est une vieille femme malade qui ne marche plus. Il est coincé dans le monde des conférences et des livres.» Elle a raison : à bas les vieilles femmes malades, elles ne sont même pas agréables à regarder. Et les livres, c’est plein de lettres qui font mal à la tête, bouh! Auteur d’un excellent livre sur les usages du corps en politique (9), Claude Guillon commentait : «Le mieux intentionné des observateurs dirait que cette phrase exprime la présomption et la cruauté de la jeunesse. Il faut malheureusement ajouter pour l’occasion : et sa grande sottise! En effet, et peut-être Inna aurait-elle pu le lire dans un livre, l’image des féministes comme de vieilles femmes coupées du monde (comprenez : et du marché de la chair) est un très vieux cliché antiféministe, qu’il est navrant de voir repris par une militante qui prétend renouveler le féminisme (10).» Depuis, les représentantes françaises du collectif ont cependant dû se résigner à sortir un livre d’entretiens (11) : «En France, il faut publier des textes pour être reconnu, légitime», soupire l’une d’entre elles (Libération, 7 mars 2013). Dur, dur......................
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