Gérard, 66 ans, ruiné par l'amiante

"Je suis essoufflé, fatigué. C'est scandaleux de demander de l'argent à des gens comme moi." Gérard, 66 ans, est à bout. Comme des dizaines de milliers de personnes en France, ce retraité originaire de Saint-Omer a été exposé à l'amiante de 1973 à 2002. Cette année-là, ses problèmes respiratoires le poussent à passer des examens médicaux. Un scanner révèle la présence de plaques pleurales. "J'ai de l'amiante dans les poumons, les reins et les artères coronaires", détaille l'ancien menuisier d'Arc International, la fameuse cristallerie installée dans le Pas de Calais. Depuis, Gérard doit prendre des cachets quotidiennement et utilise un aérosol pour l'aider à respirer.

En 2009, sur une décision de la cour d'appel de Douai, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) lui a versé 14 000 euros. En première instance, il avait déjà perçu 25 000 euros de dommages et intérêts. Aujourd'hui, le retraité doit rembourser 13 000 euros, une somme qu'il n'a déjà quasiment plus.

Revirements de jurisprudence

En cause, deux revirements de jurisprudence. À l'automne 2009, le Fiva se pourvoit en cassation pour contester les sommes versées aux victimes et obtient un nouveau calcul des rentes. Désormais, celles-ci ne sont plus attribuées aux retraités pour la perte de leur capacité à gagner leur vie, mais comme une réparation pour préjudice personnel. "Cette interprétation tendancieuse peut diviser par deux les dommages et intérêts perçus par les victimes, traduit Maître Ledoux, avocat de l'Association régionale de défense des victimes. Ils essaient de boucher le trou de la Sécurité sociale", commente-t-il désabusé.

La Cour de cassation casse les arrêts énoncés et renvoie les affaires. Mais entre-temps, la cour d'appel de Douai a changé de présidente et adopté une nouvelle appréciation de l'indemnisation à verser aux victimes de l'amiante. Elle met fin au principe dit "de linéarité", qui alignait le montant de l'indemnisation sur le taux d'incapacité de la victime. Désormais, le calcul des rentes s'effectue selon le modèle de l'Assurance maladie, beaucoup moins généreux envers les victimes.

Des victimes prises en otage

Jeudi, la décision de la cour d'appel de Douai est tombée : toutes les personnes en contentieux au moment des revirements de jurisprudence devront rembourser les dommages et intérêts perçus. "Ce sont 300 victimes prises en otage, qui doivent entre 1 500 et 30 000 euros au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante", s'indigne Me Ledoux.

"C'est une décision scandaleuse, inexplicable et méprisante, dénonce Pierre Pluta, président de l'Association régionale de défense des victimes. Vendredi, un homme est arrivé en pleurs, il a deux enfants chômeurs et a dépensé ses dommages et intérêts pour les aider. Maintenant, il doit rembourser des dizaines de milliers d'euros. Comment va-t-il faire ?"
 
Une justice "à deux vitesses"

Gérard fait partie des 300 personnes concernées par ce revirement de jurisprudence. Il a appris la nouvelle en écoutant les informations à la radio. "Ces 13 000 euros, on les a dépensés", explique le retraité. "Nous les avons touchés il y a deux ans, ajoute Jacqueline, son épouse. Pourquoi nous faire ça, maintenant ?"

Le couple n'a pas le choix, la décision est irrévocable. "Nous allons négocier un échéancier puisque nous ne savons pas encore le délai de remboursement", déclare Gérard, résigné. Un sentiment partagé par Jacqueline, déçue de cette justice "à deux vitesses" : "Nous avions déjà des difficultés à gérer cette maladie, tant moralement que physiquement, avant ce nouveau coup dur. C'est toujours sur les mêmes que l'on tape".

http://www.lepoint.fr/societe/gerard-66-ans-ruine-par-l-amiante-31-10-2011-1391181_23.php
 
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