Ndella Paye : « Lutter contre l’islamophobie ne fait manifestement pas partie des priorités de la gauche »
Ndella Paye se bat pour l’égalité et contre les discriminations qui frappent les femmes : que ces discriminations soient sexistes mais aussi islamophobes quand ces femmes sont musulmanes, ou racistes quand elles ne sont pas blanches. Entretien.
Basta ! : Selon vous, la loi de 2004 qui interdit le port du voile par les élèves à l’école trahirait en fait les principes de laïcité de la loi de 1905 ?
Ndella Paye
[
1] : La loi de 2004 est une restriction de la loi de 1905. La loi de 1905, c’est avant tout la séparation de l’Église et de l’État [
2]. Avant elle, il y a eu les lois Ferry et Goblet de 1882-1886 réglementant la laïcité à l’école. La neutralité religieuse concernait alors les enseignants, le contenu enseigné, et les locaux. Il s’agissait d’enlever les crucifix, les enseignants n’étaient plus des religieux, et dans le contenu enseigné, il n’y avait plus de catéchisme. Les usagers n’ont jamais été concernés par la neutralité à l’école avant 2004. C’est vraiment à partir de là qu’on restreint la liberté des élèves, qui sont des usagers, de venir comme elles et ils sont.
Depuis, cette restriction s’est élargie aux mères d’élèves portant le foulard, qui se retrouvent elles aussi exclues sous prétexte de cette loi, même si son décret d’application précise que les parents d’élèves ne sont pas concernés. Malgré cela, des chefs d’établissement ont voulu exclure les mères d’élèves voilées des sorties scolaires. Il pouvait s’agir de personnes de bonne foi, qui pensaient sincèrement faire leur travail. Nous avons été confrontés à une ignorance parfois. Dans ces cas, la discussion, par l’intermédiaire du CCIF [Collectif contre l’islamophobie en France], permettait d’éviter l’exclusion de mères. Mais de nombreuses fois il s’agissait d’islamophobes.
Aujourd’hui, même des opposants à la loi de 2004 comme vous en viennent à se référer à cette loi pour lutter contre l’exclusion des mères musulmanes des écoles. Pourquoi ?
Au moment du vote de la loi de 2004, un des arguments avancé pour la défendre était qu’elle protégeait les enfants. C’était difficile d’élargir les soutiens pour cette raison. Pourtant, les lois françaises et internationales donnent aux parents le droit d’éduquer leurs enfants y compris religieusement, mais dès qu’il s’agit de parents musulmans, l’islamophobie prend le dessus sur le droit. Quand l’interdiction s’est mise à toucher les mères, qui sont des adultes, c’est devenu différent. Beaucoup de personnes de gauche favorables à la loi de 2004 nous ont rejoint au collectif « Mamans toutes égales » créé au moment de la circulaire de Luc Chatel [ministre de l’Éducation nationale de 2009 à 2012, ndlr] qui voulait interdire les sorties scolaires aux mères portant le foulard. Il s’agissait alors de femmes adultes qui se retrouvent visées [
3].
Le niveau actuel d’islamophobie est élevé. Existe-t-il une prise de conscience plus importante aujourd’hui de l’islamophobie induite par ce type de lois et de circulaires ?
Il s’agit de rapports de force. En 1989, quand la première affaire du foulard a éclaté, cela n’a pas abouti à une interdiction. Lionel Jospin, alors Premier ministre, Danielle Mitterrand, et SOS racisme s’étaient positionnés contre l’exclusion et pour le respect le l’avis du Conseil d’État, qui disait que le port du foulard ne pouvait pas, à lui seul, être un motif d’exclusion. Ensuite, de nombreux politiques et médias ont pratiqué ce qui ressemble à une propagande. Le rapport de force a basculé au moment de la commission de Bernard Stasi [
4]. Le président Chirac prend position pour l’interdiction légale avant même les conclusions de la commission. Le 15 mars 2004, la loi interdisant tout signe religieux ostentatoire à l’école publique est votée par une large majorité de parlementaires. Les personnes concernées n’ont pas été écoutées ni entendues.
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