La HARIRA
6 août 2012 in Fondamento
Durant le mois de Ramadan, à partir de l’heure de la prière de Dohr, en début d’après-midi, le pays tout entier flotte dans une odeur de coriandre fraîche, provenant de toutes les cuisines du royaume et révélant la préparation de l’un des fleurons de la cuisine marocaine, une certaine soupe nommée la HARIRA. Constituée d’oignons, de viande et de légumes secs, c’est une soupe riche, par laquelle on rompt le jeûne, en l’accompagnant de dattes, d’œufs durs et de gâteaux au miel. On peut en dire ce qu’Esope disait de la langue : c’est la meilleure et la pire des nourritures. Lourdingue et indigeste, pleine de farine et de gras, de céréales, de légumineuses, bourrative et somnifère, elle est inévitable sur les tables de rupture du jeûne mais pas un Marocain qui ne l’apprécie au point d’en reprendre quelquefois 3 à 4 bols chaque soir, et d’en connaître les recettes de trois ou quatre déclinaisons régionales. Cette nourriture, assez discutable au plan de la diététique et totalement inadaptée à notre époque, est grandement responsable de l’engorgement des cabinets de gastro-entérologie dès la réapparition de la lune, à la fin du mois sacré. Mais hélas… elle est … délicieuse ! …
Serait-elle une œuvre suggérée par des gens particulièrement affamés habitant un terroir particulièrement généreux et fécond ? Le Maroc en est-il le berceau ?
Du tout ! La HARIRA est antérieure à l’Islam, même si à l’origine elle n’avait rien à voir avec ce qu’elle est devenue. En fait, il s’agit d’un concept de cuisson en deux temps, qu’on retrouve, lui, dans notre soupe nationale :
– Premier temps : le ’’ bouillon de fricassée’’ (tqate3)– Second temps : la ’’liaison’’ (tedwira)
Le bouillon de fricassée : Selon le biotope, les moyens matériels, les contraintes médicales et les goûts personnels, l’on met dans de l’eau des petits cubes de viande (agneau, veau, poulet ou autre), quelques os non complètement dégarnis (plates-côtes d’agneau), de l’oignon, des lentilles (ou des pois-chiches et des fèves), du safran, du sel du poivre et du beurre. Ce bouillon cuit pendant plus d’une heure.
La liaison : L’on met dans de l’eau bouillante des tomates débarrassées de leur eau de végétation, un gros bouquet de coriandre, un autre de persil, une généreuse dose de jus de citron, du beurre, du sel et peu à peu le quart du poids des tomates en farine. En remuant doucement, il s’agit d’épaissir la préparation que l’on verse alors sur la fricassée avant de remuer à nouveau jusqu’à nouvelle ébullition.
Avant de revenir en détail sur la recette et de vous en donner une sage et toute classique interprétation, refusant assurément de me contenter de n’être qu’un ’’tube’’, fût-il outil métaphysique, je vous emmène dans le dédale des rues de la ’’médina’’ qu’est mon âme arabe, à la poursuite de la HARIRA retrouvée dans son principe et sa gloire. Je vais, comme il y invite d’ailleurs, honteusement piller le travail d’un homme que j’aime beaucoup et qui, au grand dam des servants de ses deux chapelles, est anthropologue et artiste-peintre, accessoirement l’un de mes peintres marocains préférés http://abdelhai.diouri.free.fr/ : Dans le cadre de son activité première, Abdelhaï Diouri est chercheur à l’Institut Universitaire de Recherche Scientifique de Rabat. Une de ses thèses a été dirigée par Roland Barthes lui-même. Il a donné quelques cours à Harvard. Il écrit indifféremment en arabe, en français ou en anglais et a eu l’excellente idée de s’intéresser à des sujets originaux comme par exemple ’’Les mets levés du Ramadan au Maroc’’, qui nous intéresse ici, ’’La nourriture sacrificielle des Gnaoua’’ ou encore ’’Ad-Darb el Jedba’’ (Le jeu de la transe extatique). Dans le premier ouvrage cité, il s’intéresse à l’histoire de la HARIRA.
Merveilleux travail qui nous aide à démêler le ‘’sac de sens’’ de ce mot étrange qui désigne la ‘’soupe du Ramadan’’ mais aussi par extension, une affaire compliquée, un mélange-mortier de maçonnerie, ou un sale pétrin. A quelque voyelle près, c’est la chaleur (harara), le piquant (harr), le désir (harara), bouillie faite de farine et de graisse (harira), foyer (harr), soie (harir), homme libre (horr), une infinité d’autres nuances et enfin, pour l’humour et sans redoublement de la lettre ’’r’’ le bas-ventre féminin (har) …
6 août 2012 in Fondamento
Durant le mois de Ramadan, à partir de l’heure de la prière de Dohr, en début d’après-midi, le pays tout entier flotte dans une odeur de coriandre fraîche, provenant de toutes les cuisines du royaume et révélant la préparation de l’un des fleurons de la cuisine marocaine, une certaine soupe nommée la HARIRA. Constituée d’oignons, de viande et de légumes secs, c’est une soupe riche, par laquelle on rompt le jeûne, en l’accompagnant de dattes, d’œufs durs et de gâteaux au miel. On peut en dire ce qu’Esope disait de la langue : c’est la meilleure et la pire des nourritures. Lourdingue et indigeste, pleine de farine et de gras, de céréales, de légumineuses, bourrative et somnifère, elle est inévitable sur les tables de rupture du jeûne mais pas un Marocain qui ne l’apprécie au point d’en reprendre quelquefois 3 à 4 bols chaque soir, et d’en connaître les recettes de trois ou quatre déclinaisons régionales. Cette nourriture, assez discutable au plan de la diététique et totalement inadaptée à notre époque, est grandement responsable de l’engorgement des cabinets de gastro-entérologie dès la réapparition de la lune, à la fin du mois sacré. Mais hélas… elle est … délicieuse ! …
Serait-elle une œuvre suggérée par des gens particulièrement affamés habitant un terroir particulièrement généreux et fécond ? Le Maroc en est-il le berceau ?
Du tout ! La HARIRA est antérieure à l’Islam, même si à l’origine elle n’avait rien à voir avec ce qu’elle est devenue. En fait, il s’agit d’un concept de cuisson en deux temps, qu’on retrouve, lui, dans notre soupe nationale :
– Premier temps : le ’’ bouillon de fricassée’’ (tqate3)– Second temps : la ’’liaison’’ (tedwira)
Le bouillon de fricassée : Selon le biotope, les moyens matériels, les contraintes médicales et les goûts personnels, l’on met dans de l’eau des petits cubes de viande (agneau, veau, poulet ou autre), quelques os non complètement dégarnis (plates-côtes d’agneau), de l’oignon, des lentilles (ou des pois-chiches et des fèves), du safran, du sel du poivre et du beurre. Ce bouillon cuit pendant plus d’une heure.
La liaison : L’on met dans de l’eau bouillante des tomates débarrassées de leur eau de végétation, un gros bouquet de coriandre, un autre de persil, une généreuse dose de jus de citron, du beurre, du sel et peu à peu le quart du poids des tomates en farine. En remuant doucement, il s’agit d’épaissir la préparation que l’on verse alors sur la fricassée avant de remuer à nouveau jusqu’à nouvelle ébullition.
Avant de revenir en détail sur la recette et de vous en donner une sage et toute classique interprétation, refusant assurément de me contenter de n’être qu’un ’’tube’’, fût-il outil métaphysique, je vous emmène dans le dédale des rues de la ’’médina’’ qu’est mon âme arabe, à la poursuite de la HARIRA retrouvée dans son principe et sa gloire. Je vais, comme il y invite d’ailleurs, honteusement piller le travail d’un homme que j’aime beaucoup et qui, au grand dam des servants de ses deux chapelles, est anthropologue et artiste-peintre, accessoirement l’un de mes peintres marocains préférés http://abdelhai.diouri.free.fr/ : Dans le cadre de son activité première, Abdelhaï Diouri est chercheur à l’Institut Universitaire de Recherche Scientifique de Rabat. Une de ses thèses a été dirigée par Roland Barthes lui-même. Il a donné quelques cours à Harvard. Il écrit indifféremment en arabe, en français ou en anglais et a eu l’excellente idée de s’intéresser à des sujets originaux comme par exemple ’’Les mets levés du Ramadan au Maroc’’, qui nous intéresse ici, ’’La nourriture sacrificielle des Gnaoua’’ ou encore ’’Ad-Darb el Jedba’’ (Le jeu de la transe extatique). Dans le premier ouvrage cité, il s’intéresse à l’histoire de la HARIRA.
Merveilleux travail qui nous aide à démêler le ‘’sac de sens’’ de ce mot étrange qui désigne la ‘’soupe du Ramadan’’ mais aussi par extension, une affaire compliquée, un mélange-mortier de maçonnerie, ou un sale pétrin. A quelque voyelle près, c’est la chaleur (harara), le piquant (harr), le désir (harara), bouillie faite de farine et de graisse (harira), foyer (harr), soie (harir), homme libre (horr), une infinité d’autres nuances et enfin, pour l’humour et sans redoublement de la lettre ’’r’’ le bas-ventre féminin (har) …