Lislam, objet de lhistoire
Denis Sieffert (Hebdomadaire Publicis).
Dans un essai brillant et savant, Nadine Picaudou analyse le décalage entre la réalité de lislam et sa représentation occidentale.
On connaissait Nadine Picaudou pour son histoire du mouvement national palestinien [1] et pour dautres ouvrages de référence sur le même sujet [2]. Cette historienne, spécialiste du Proche-Orient, sattaque cette fois à un sujet aussi délicat que passionnant : lislam. Délicat, parce que rebattu. Mais, précisément, Nadine Picaudou prend le contre-pied de cette littérature qui abreuve trop souvent les médias et alimente confusions et fantasmes. « Quand on a dit islam, on na rien dit ! », annonce-t-elle demblée. Il est plus courant dentendre ou de lire la proposition inverse : quand on a dit islam, on a tout dit. À savoir tous les préjugés et tous les amalgames qui polluent une approche rationnelle du sujet. On a dit ou, pire, suggéré « fanatisme », « complot », « envahissement » et, bien sûr, « terrorisme ». À lopposé, Nadine Picaudou part dun refus méthodologique de considérer lislam comme « invariant ». Il ny a pas un islam voyageant à travers les âges, insensible à lhistoire, et qui serait, en outre, la manifestation même « de laltérité » qui ferait du musulman, « lAutre » de lOccidental. Dautant que de « lAutre » à lennemi, il ny a quun pas. Lauteure dénonce lerreur quil y aurait à « surislamiser » les musulmans. Autrement dit, à surdéterminer lindividu par sa condition de musulman, à le réduire à cela. Pour Nadine Picaudou, lislam « désigne à la fois une attitude à légard du divin, un système religieux et une culture historique ». Cest évidemment cette dernière qui est le plus souvent occultée dans notre représentation.
La réduction de lislam à un invariant passe aussi par ce quelle appelle « une fétichisation des origines ». Il suffit en effet de lire les libelles de quelques islamophobes patentés pour comprendre leur méthode. Lislam ayant été une religion de conquêtes, il est toujours inspiré par la belligérance et la guerre. Entre le VIe siècle et aujourdhui, les musulmans nauraient pas varié. La confusion est entretenue notamment autour de la notion de Jihad. Rien de pire que ces mots qui tombent dans le langage courant. Nadine Picaudou souligne le décalage tout à fait symptomatique entre linterprétation que lon donne généralement de ce mot, devenu en Occident (mais aussi dans le discours des islamistes eux-mêmes) « synonyme dune violence archaïque et barbare ». Ramené à son étymologie, il signifie « effort », et il doit, pour être compris, être restitué dans un contexte, et entendu à partir du statut de celui qui lutilise : un État, une confrérie, un cheikh réformiste Il en va de ce mot chargé de signifiants multiples comme de toute cette religion. Il doit être replacé dans lhistoire réelle. Nadine Picaudou sinterroge : alors que lhistoricité est accordée au christianisme, pourquoi ne lest-elle pas à lislam ?
Qui songerait aujourdhui à soupçonner le clergé de préparer une nouvelle inquisition ? Sil y a des guerres dans lesquelles sont impliqués des pays musulmans, et des violences dont se rendent coupables des groupes islamistes, pourquoi faudrait-il tenir immédiatement la religion pour le facteur principal de cet état de fait, et non lhistoire politique et sociale ? Lauteure consacre dailleurs un important *chapitre à ***« linscription du religieux dans le social ». Il ne sagit pas dun effacement du religieux, au sens où il sest opéré dans nos sociétés laïcisées, mais dune évolution, dune modernisation du religieux qui intègre et relégitime des impératifs sociaux et sociétaux inscrits dans la modernité. Citant notamment lécrivain et juriste égyptien Qasim Amin (1863-1908), Nadine Picaudou note que le religieux tend, avec lui, à devenir la « discipline » qui contraint lindividu à se construire dans le cadre de lécole et dun nouvel ordre social dans lequel la liberté de la femme conditionne la liberté du citoyen.
Bien entendu, cette pensée nest pas indifférente à lévolution de certains courants de la société égyptienne au début du XXe siècle. Et il nest pas question daffirmer que larchaïsme ne lui a pas survécu, ni de nier quil sest même parfois renforcé au cours des dernières années de ce même siècle. Il est question, sous la plume de Nadine Picaudou, de montrer que cest lhistoire réelle, politique, sociale et culturelle, qui gouverne, et que lislam, selon les contextes, est aussi capable dune grande plasticité. Ce qui peut se dire autrement : lislam est aussi, et tout simplement, un objet de lhistoire.
Lislam entre idéologie et religion, Gallimard, Nadine Picaudou, 290 p., 21 euros (en librairie le 7 mai).
Denis Sieffert (Hebdomadaire Publicis).
Dans un essai brillant et savant, Nadine Picaudou analyse le décalage entre la réalité de lislam et sa représentation occidentale.
On connaissait Nadine Picaudou pour son histoire du mouvement national palestinien [1] et pour dautres ouvrages de référence sur le même sujet [2]. Cette historienne, spécialiste du Proche-Orient, sattaque cette fois à un sujet aussi délicat que passionnant : lislam. Délicat, parce que rebattu. Mais, précisément, Nadine Picaudou prend le contre-pied de cette littérature qui abreuve trop souvent les médias et alimente confusions et fantasmes. « Quand on a dit islam, on na rien dit ! », annonce-t-elle demblée. Il est plus courant dentendre ou de lire la proposition inverse : quand on a dit islam, on a tout dit. À savoir tous les préjugés et tous les amalgames qui polluent une approche rationnelle du sujet. On a dit ou, pire, suggéré « fanatisme », « complot », « envahissement » et, bien sûr, « terrorisme ». À lopposé, Nadine Picaudou part dun refus méthodologique de considérer lislam comme « invariant ». Il ny a pas un islam voyageant à travers les âges, insensible à lhistoire, et qui serait, en outre, la manifestation même « de laltérité » qui ferait du musulman, « lAutre » de lOccidental. Dautant que de « lAutre » à lennemi, il ny a quun pas. Lauteure dénonce lerreur quil y aurait à « surislamiser » les musulmans. Autrement dit, à surdéterminer lindividu par sa condition de musulman, à le réduire à cela. Pour Nadine Picaudou, lislam « désigne à la fois une attitude à légard du divin, un système religieux et une culture historique ». Cest évidemment cette dernière qui est le plus souvent occultée dans notre représentation.
La réduction de lislam à un invariant passe aussi par ce quelle appelle « une fétichisation des origines ». Il suffit en effet de lire les libelles de quelques islamophobes patentés pour comprendre leur méthode. Lislam ayant été une religion de conquêtes, il est toujours inspiré par la belligérance et la guerre. Entre le VIe siècle et aujourdhui, les musulmans nauraient pas varié. La confusion est entretenue notamment autour de la notion de Jihad. Rien de pire que ces mots qui tombent dans le langage courant. Nadine Picaudou souligne le décalage tout à fait symptomatique entre linterprétation que lon donne généralement de ce mot, devenu en Occident (mais aussi dans le discours des islamistes eux-mêmes) « synonyme dune violence archaïque et barbare ». Ramené à son étymologie, il signifie « effort », et il doit, pour être compris, être restitué dans un contexte, et entendu à partir du statut de celui qui lutilise : un État, une confrérie, un cheikh réformiste Il en va de ce mot chargé de signifiants multiples comme de toute cette religion. Il doit être replacé dans lhistoire réelle. Nadine Picaudou sinterroge : alors que lhistoricité est accordée au christianisme, pourquoi ne lest-elle pas à lislam ?
Qui songerait aujourdhui à soupçonner le clergé de préparer une nouvelle inquisition ? Sil y a des guerres dans lesquelles sont impliqués des pays musulmans, et des violences dont se rendent coupables des groupes islamistes, pourquoi faudrait-il tenir immédiatement la religion pour le facteur principal de cet état de fait, et non lhistoire politique et sociale ? Lauteure consacre dailleurs un important *chapitre à ***« linscription du religieux dans le social ». Il ne sagit pas dun effacement du religieux, au sens où il sest opéré dans nos sociétés laïcisées, mais dune évolution, dune modernisation du religieux qui intègre et relégitime des impératifs sociaux et sociétaux inscrits dans la modernité. Citant notamment lécrivain et juriste égyptien Qasim Amin (1863-1908), Nadine Picaudou note que le religieux tend, avec lui, à devenir la « discipline » qui contraint lindividu à se construire dans le cadre de lécole et dun nouvel ordre social dans lequel la liberté de la femme conditionne la liberté du citoyen.
Bien entendu, cette pensée nest pas indifférente à lévolution de certains courants de la société égyptienne au début du XXe siècle. Et il nest pas question daffirmer que larchaïsme ne lui a pas survécu, ni de nier quil sest même parfois renforcé au cours des dernières années de ce même siècle. Il est question, sous la plume de Nadine Picaudou, de montrer que cest lhistoire réelle, politique, sociale et culturelle, qui gouverne, et que lislam, selon les contextes, est aussi capable dune grande plasticité. Ce qui peut se dire autrement : lislam est aussi, et tout simplement, un objet de lhistoire.
Lislam entre idéologie et religion, Gallimard, Nadine Picaudou, 290 p., 21 euros (en librairie le 7 mai).