"la morale laïque" : qu'en pensent les profs ?

"Individualisme forcené"
Pour eux, peu d'objections à en parler en classe. "Si c'est pour lutter contre le racisme, les tensions ethniques entre élèves et prendre en compte le bien public, ça ne me choque pas", résume Barbara Lefebvre, professeure d'histoire-géographie en zone d'éducation prioritaire. Un recadrage s'impose. "Les élèves font preuve d'un individualisme forcené, jusque dans la manière de ne pas respecter le matériel", ajoute-t-elle. L'effacement de l'intérêt général - au nom duquel l'instituteur va par exemple demander à l'élève de ramasser son cartable qu'il laisse traîner dans le couloir - fait le lit des communautarismes qui tirent à hue et à dia, et menacent de faire éclater la cohésion de l'école.

Entre les différents groupes ethniques ou religieux, "on finit par ne plus se parler puisqu'on n'a plus rien en commun", s'inquiète Antoine Tresgots, professeur d'histoire-géo dans un lycée technologique à Montargis (Loiret). A Paris, le collège Mozart, dans le 19e arrondissement, où enseigne Mathias Gavarry, compte 300 élèves, de 53 origines différentes. "Ici, il est important d'inculquer à tous un fond commun que les parents n'ont pas forcément", dit le professeur de français.

D'autres se disent impatients de voir la morale civique réaffirmée, comme cette directrice d'une école de l'Essonne, qui en attend un soutien dans son combat quotidien. "La laïcité est trop chahutée à l'école", regrette-t-elle. Elle bataille avec des familles musulmanes qui voudraient interdire certains bonbons dans les classes au motif qu'ils contiennent de la gélatine de porc. Ou qui boycottent la fête de l'école parce que la viande servie n'est pas halal. Elle est même obligée de faire respecter l'égalité des sexes entre les enfants : "J'ai maintenant des petits garçons qui refusent de donner la main à une fille." Mais elle ne sert pas de poisson le vendredi, comme le veut la tradition catholique. "Je n'ai pas à privilégier une religion plutôt qu'une autre !"

Du bricolage ?
Mais comment l'enseigner ? En faire une discipline notée et évaluée - comme cela a été envisagé un temps - est un non-sens. Développer une morale civique relève de l'adhésion personnelle, et non de la leçon de cours. Faut-il simplement renforcer les programmes d'éducation civique, du cours préparatoire à la terminale, où les élèves se familiarisent déjà avec les grands principes du droit, de la justice, et avec les institutions de la République ?

Mais alors, il faudrait former les professeurs à ce nouvel enseignement. "Ou ce sera comme l'histoire des arts ou l'informatique. On fait une confiance naïve aux enseignants. Tant que ces matières ne sont pas mises aux concours d'enseignement, cela restera du bricolage", estime Mathias Gavarry. Alexis, 28 ans, instituteur à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), s'est tout de même lancé. Il pratique le débat philosophique dans son école, où les élèves sont tous "relativement croyants, presque tous musulmans".

Il choisit la phrase d'un philosophe ou d'un artiste, les élèves écrivent leur conception initiale et, à partir de leurs réponses, ils discutent. Dernier sujet travaillé avec ses CM1 : "L'homme est naturellement bon, c'est la société qui le transforme." "Ils construisent leur propre morale, mais c'est un peu de ma morale que je leur enseigne." Sur des sujets polémiques, comme l'obligation de croire ou celle de suivre des règles religieuses, il laisse parler, il n'impose rien. La voie est étroite... Mais il reconnaît que certains de ses collègues ne s'y aventurent pas. "Ils n'y réfléchissent pas. Cela leur fait peur."

"L'école crée des gagnants et des perdants"
La morale civique ne peut pourtant pas être cantonnée à un seul moment de la semaine. Cela reviendrait à penser qu'elle ne s'applique pas le reste du temps. Impensable ! De fait, beaucoup de professeurs, quelle que soit la matière, ont le sentiment d'être déjà dans les clous. "Ces valeurs irriguent mon enseignement, plus ou moins consciemment", reconnaît Frédérique Rolet, professeur de français et cosecrétaire générale du Snes. Bien forcés de jouer les éducateurs, ils interviennent tous plus ou moins quand ça dérape. "Je reprends chaque élève que je croise prononçant le mot 'pédé', j'explique que c'est une injure homophobe et que c'est interdit", raconte Mathias Gavarry.

Mais ça ne suffit pas. Il faudrait une cohérence construite du corps enseignant. Il faudrait que "la morale civique entre dans le système", martèle Christian Cogné, professeur de lettres et d'histoire dans un lycée professionnel du Val-de-Marne.

Et là, ce n'est pas gagné. "S'interroger sur la construction citoyenne de nos élèves peut mener loin. L'institution scolaire elle-même n'est pas en conformité avec cette morale que le ministre appelle de ses voeux. Elle n'est ni juste, ni équitable, ni fraternelle", dénonce Anthony Lozac'h, professeur d'histoire-géographie dans un collège de Seine-Maritime. "On invoque l'égalité des chances, mais les élèves voient bien que l'école crée des gagnants et des perdants. On leur parle de respect, mais l'école les maltraite. Elle ne développe ni le sens des responsabilités ni l'esprit critique", poursuit-il. L'école est devenue cette "marâtre", dont parle Jacques Pain, professeur émérite de sciences de l'éducation, tolérant les "rapports de force, les ségrégations sociologiques, ethniques, les victimations structurelles". Comment enseigner aux élèves une morale civique si l'institution elle-même ne donne pas l'exemple ? Cela pourrait être un sujet de dissertation pour notre ministre philosophe.

Caroline Brizard - Le Nouvel Observateur
 

etre2en1

intersex people are cool
VIB
Tout ça c'est pas encore gagné, il y a encore beaucoup de chemin, je vois certains profs il faudrait
commencer par eux.
 
Haut