La mort de Nahel fait aussi écho au meurtre de Lahouari Ben Mohamed, 43 ans après les faits, rappelle sa nièce

43 ans avant la mort de Nahel à Nanterre, une mort causée par un policier dans des circonstances similaires avait marqué la France des années 80. Un crime qui avait été l’un des éléments déclencheurs de la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983.


Par Maxime Birken






En 1980 à Marseille, Lahouari Ben Mohamed est tué lors d’un simple contrôle routier. Une mort qui rappelle forcément celle de Nahelk 43 ans plus tard.

Capturé d’écran Twitter

En 1980 à Marseille, Lahouari Ben Mohamed est tué lors d’un simple contrôle routier. Une mort qui rappelle forcément celle de Nahel, 43 ans plus tard.

FRANCE - Avec un simple tweet, Feïza Ben Mohamed a fait ressurgir la mort de son oncle dans l’actualité après le décès de Nahel, tué par un policier lors d’un simple contrôle routier à Nanterre mardi 27 juin.

Avec son message publié sur les réseaux sociaux et vu plus de 600 000 fois, la jeune femme rappelle que 43 ans après la mort de son oncle, Lahouari Ben Mohamed, un jeune de 17 ans tué en 1980 à Marseille, les choses n’ont que trop peu évolué en France.

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Le 18 oct 1980, veille de lâAïd El Kebir (comme aujourdâhui), mon oncle, Lahouari Ben Mohamed, 17 ans, était exécuté par un CRS qui venait de lui dire « ce soir jâai la gâchette facile » lors dâun contrôle dans le quartier de la Busserine à Marseille.
43 ans plus tard, Naël ð¥¹
— Feïza Ben Mohamed (@FeizaBM) June 27, 2023

Le HuffPost a donc échangé avec Feïza Ben Mohamed, journaliste spécialiste des questions d’islamophobie, mais avant tout membre d’une famille marquée par l’impunité accordée au policier responsable de la mort d’un jeune des quartiers dont le seul crime était d’avoir accepté une virée en voiture avec ses amis.

Le HuffPost : Parlons d’abord de votre tweet, pourquoi avez-vous décidé de prendre la parole mardi soir ?

Feïza Ben Mohamed : C’était spontané. Dès que j’ai connaissance de tels faits, j’ai tendance à m’en emparer de par mon histoire personnelle. Surtout que je connais les conséquences pour les familles, même des décennies plus tard. Le fait de se taire, en tant que famille de victime, contribuerait à invisibiliser ces crimes.

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Pouvez-vous retracer l’histoire de votre oncle, tué en 1980 après qu’un CRS a dit qu’il avait la « gâchette facile » ce soir-là ?

Le 18 octobre 1980, dans le quartier des Flamants à Marseille, un ami de mon oncle sort avec plusieurs amis pour essayer sa nouvelle voiture. Ils font un tour et se font contrôler par la police, mais ils sont parfaitement en règle.

Mon oncle était assis à l’arrière et se fait interroger par l’un des CRS sur le contenu de sa poche, où se trouvait un paquet de cartes. Et le CRS dit : « faites attention les jeunes, je ne sais pas si c’est le froid, mais j’ai la gâchette facile ce soir ». Un autre CRS met alors fin au contrôle. Et au moment où la voiture repart, le CRS côté passager tir sur mon oncle à deux reprises.
 
Et comment avez-vous découvert la mort de Nahel ?

J’ai eu à écrire un article sur un crime policier mardi. Et je comprends assez vite qu’il y a un écho médiatique plus important que pour d’autres décès suite à des refus d’obtempérer, car cette fois il y a une vidéo.

Je suis avec mon père et je lui dis : « Je dois travailler, ils ont tué un jeune », sans préciser de qui je parle. Mon père a tout de suite pensé à un règlement de compte. On est issus des quartiers nord de Marseille donc c’est quelque chose qu’on entend de manière récurrente. Et je lui dis : « Non, c’est la police qui l’a tué ». Là, mon père n’a plus rien dit. Et sur le coup je ne m’en rends pas trop compte, je ne fais pas le parallèle.

C’est en parlant avec mon petit frère le soir même que j’ai compris que ça devait être horrible pour lui d’être renvoyé 43 ans en arrière. C’est là que j’écris ce tweet pour que les gens sachent qu’il y a une histoire en France avec l’immigration et avec les contrôles de police. Une histoire vieille de 40-50 ans sauf que la problématique politique est identique aujourd’hui.

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Comment expliquer que 43 ans plus tard le constat soit pratiquement le même qu’après la mort de votre oncle ?

Sur les cinquante dernières années, est-ce qu’il y a eu des sanctions dignes et une volonté pénale de sanctionner ces comportements à la hauteur du préjudice causé ? Non. Pour mon oncle, le policier a pris six mois de prison avec sursis, donc je ne compte pas ça comme une sanction. C’est une simple chatouille.

La marche de 1983 est partie de Marseille. Mais que s’est-il passé depuis ? Une récupération politique qui a permis de créer des associations où aucun militant des quartiers populaires n’a été conservé à la tête de ces structures.

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La preuve en est avec les revendications portées depuis des décennies par ces mêmes militants mais toujours refusées par l’État : je pense au récépissé de contrôle d’identité de manière systématique ou aux caméras embarqués des policiers qui ne doivent pas être allumées à la seule volonté du policier. Parce que sans cette vidéo de la mort de Nahel, on ne parlerait pas de tout ça aujourd’hui.

Que pensez-vous du changement de rhétorique entre 1980 et 2023 sur les termes employés pour qualifier la mort de Nahel. La police vous semble-t-elle criminalisée davantage ?

Même le mot bavure me pose problème. « Le policier s’est senti en danger » ? Pardon, mais je suis estomaqué quand j’entends cette phrase. Pourquoi se sent-il en danger face à un jeune non armé, à qui il ne fait même pas face.

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C’est parce que c’est un arabe qu’il représente un danger à ses yeux. Donc on ne peut pas systématiquement utiliser une rhétorique qui va minimiser les faits. Mais quand tu dis à quelqu’un qu’il va prendre une balle dans la tête et que tu le fais, tu l’as volontairement tué. Donc moi je parle de « crime policier ». C’est une contribution militante. Le langage doit être à la hauteur de la gravité des faits. Dire « bavure » ou « tir mortel » c’est minimiser les faits.

Voyez-vous un motif d’espoir dans la place prise médiatiquement par la mort de Nahel ?

L’écho médiatique est énorme, d’autant plus qu’un policier placé en garde à vue pour des faits d’homicide volontaire c’est très rare de mémoire (le policier a été placé en détention provisoire à l’issue de sa garde à vue jeudi 29 juin, ndlr). Cet aspect rend très difficile de minimiser l’affaire.





Mais en tant que famille de victime, ce dont je rêve c’est que la justice française se hisse à la hauteur des espoirs placés en elle par ces familles issues de l’immigration et qui attendent de recevoir le même égard que les autres. À l’issue des assises en 1987, mon père a dit : « On a vraiment été ridiculisés, je me demande ce que vaut la vie d’un homme avec ce verdict ». Ma grand-mère disait : « La France nous a trahis ».

Montrez-leur aujourd’hui que la France ne va pas trahir ces populations. Se battre contre ces crimes policiers aujourd’hui c’est aussi vouloir que la France soit à la hauteur de ses valeurs.
 
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