La vérité sur la création d'Israël

Comment un projet marginal a été instrumentalisé par les puissances coloniales.

À la fin du XIXe siècle, le mouvement sioniste émerge comme une réponse politique aux persécutions antisémites en Europe. Pourtant, loin de susciter l’enthousiasme, ses premières tentatives de mobilisation se soldent par des échecs cuisants. Ce n’est que par le soutien d’intérêts impérialistes que ce projet, d’abord marginal, finit par s’imposer.

Les premiers efforts du sionisme pour convaincre les juifs de s’installer en Palestine tournent au fiasco. Les appels aux dons pour l’achat de terres ne recueillent que des sommes dérisoires, et l’idée de quitter l’Europe pour une terre lointaine séduit peu. Les communautés juives, bien qu’opprimées, restent attachées à leurs pays d’origine.

Conscients de leur isolement, les leaders sionistes théorisent dès 1897 (premier congrès sioniste) la nécessité d’une grande puissance pour parrainer leur projet. Ils frappent aux portes de l’Allemagne, de la Russie et de l’Angleterre, mais essuient des refus : le Kaiser ne veut pas froisser l’Empire ottoman, tout comme le Royaume-Uni, tandis que le tsar, pourtant antisémite, décline par realpolitik.

La donne change avec la guerre. Les Britanniques, enlisés dans les Dardanelles, cherchent à entraîner les États-Unis dans le conflit. Or, le mouvement sioniste y dispose d’un réseau influent. En échange de leur soutien, Londres promet en 1917 un «foyer national juif» en Palestine (déclaration Balfour). La France emboîte le pas (déclaration Cambon), révélant une convergence d’intérêts coloniaux bien plus qu’une sympathie pour les juifs.

 
2 novembre 1917, la déclaration Balfour


Celle-ci déclare qu’il « envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif ».

La déclaration qui, dans une première version, évoquait « la race juive », précise que, pour la réalisation de cet objectif, « rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les juifs jouissent dans tout autre pays ».

Comment créer un foyer national juif sans affecter les populations locales arabes ?

Cette contradiction, la Grande-Bretagne ne pourra jamais la résoudre et elle sera à l’origine du plus long conflit qu’ait connu le monde contemporain.


La lettre de Balfour est adressée à lord Walter Rothschild.
La déclaration Balfour répond à plusieurs préoccupations du gouvernement de Londres. Alors que la guerre s’intensifie sur le continent, il s’agit de se gagner la sympathie des juifs du monde entier, perçus comme disposant d’un pouvoir considérable, souvent occulte.

Cette vision, ironie de l’histoire, n’est pas éloignée de celle des pires antisémites qui détectent, partout, « la main des juifs ».

Le premier ministre britannique de l’époque évoque dans ses Mémoires la puissance de « la race juive », guidée par ses seuls intérêts financiers, tandis que Lord Balfour lui-même avait été le promoteur, en 1905, d’un projet de loi sur la limitation de l’immigration en
Grande-Bretagne, qui visait avant tout les juifs de Russie.


Mark Sykes, un des négociateurs des accords qui partagèrent le Proche-Orient en 1916, écrivait à un dirigeant arabe :
« Croyez-moi, car je suis sincère lorsque je vous dis que cette race [les juifs], vile et faible, est hégémonique dans le monde entier et qu’on ne peut la vaincre. Des juifs siègent dans chaque gouvernement, dans chaque banque, dans chaque entreprise. »

La déclaration Balfour s’adresse particulièrement aux juifs américains, soupçonnés de sympathie pour l’empire austro-hongrois, et aux juifs de Russie, influencés par les organisations révolutionnaires qui ont renversé le tsar au printemps 1917. Nombreux sont favorables à ce que la Russie signe une paix séparée.

Londres espère éviter ce « lâchage ». Balfour évoque même la mission qui serait confiée aux juifs en Palestine : faire que les juifs du monde se comportent « convenablement » !

Ce calcul échouera puisque, dans la nuit du 6 au 7 novembre 1917, les insurgés bolcheviks s’emparent du pouvoir à Petrograd et appellent à la paix immédiate.

Mais la Grande-Bretagne, en confortant le mouvement sioniste, vise un objectif plus stratégique, le contrôle du Proche-Orient.

Le dépeçage des vaincus est négocié entre Paris, Londres et Moscou, alors même que la victoire n’est pas acquise. En 1916, sont signés entre Paris et Londres, puis ratifiés par le tsar, les accords connus sous le nom de Sykes-Picot qui définissent les lignes de partage et les zones d’influence au Proche-Orient.

Le parrainage accordé au sionisme permet au gouvernement britannique d’obtenir un contrôle total sur la Terre sainte.

Mais les Britanniques ont fait aussi des promesses aux dirigeants arabes.
Londres suscite une révolte des Arabes contre l’empire ottoman, animée par un dirigeant religieux, le chérif Hussein de La Mecque.

En échange, Hussein obtient l’engagement britannique d’appuyer l’indépendance des Arabes. Mais les promesses n’engagent que ceux qui y croient... Comment, en effet, concilier l’indépendance arabe et la création d’un foyer national juif ?

Le Proche-Orient sera donc partagé entre la France et la Grande-Bretagne. Créée en 1920,
la Société des Nations ne regroupe alors que quelques dizaines d’Etats, pour l’essentiel européens.

Le 24 juillet 1922, la SDN octroie à la Grande-Bretagne le mandat sur la Palestine.

Les fils du chérif Hussein, étroitement contrôlés par Londres, s’installent sur les trônes d’Irak et de Transjordanie (pays créé par les Britanniques à l’Est du Jourdain), tandis que les territoires libanais et syrien tombent dans l’escarcelle de la France.
L’Egypte, formellement indépendante depuis 1922, reste sous occupation britannique.

Tous les acteurs du drame palestinien sont en place : la puissance dominante, la Grande-Bretagne, qui souhaite maintenir son contrôle sur une région stratégique, riche en pétrole dont le rôle économique et militaire grandit ; le mouvement sioniste, fort de son premier grand succès diplomatique, et qui organise l’immigration en Palestine ; les Arabes de Palestine, que l’on ne désigne pas encore sous le nom de Palestiniens, et qui commencent à se mobiliser contre la déclaration Balfour ;
enfin, les pays arabes, pour la plupart sous influence britannique et qui vont s’impliquer graduellement dans les affaires palestiniennes.

Monde diplomatique


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