« Le drame linguistique marocain », selon Fouad Laroui

Dans son dernier essai, « Le drame linguistique marocain », Fouad Laroui livre une analyse pointue de l’immense défi représenté par la diglossie arabe au Maroc. Selon l’auteur, le fait que la langue arabe classique officielle ne soit pas la langue maternelle de notre pays est un « drame », en grande partie responsable des difficultés de l’enseignement.

L’ouvrage de Fouad Laroui, écrivain et professeur à l’Université d’Amsterdam, établit un diagnostic sans complaisance mais se veut force de proposition pour remédier à une situation problématique. Pour l’auteur, il y a en effet urgence, le problème numéro un des Marocains étant le plurilinguisme qui entraîne une impasse culturelle et un manque de cohésion nationale. Fruit de trois années de recherches, « Le drame linguistique marocain » souhaite ouvrir un débat de fond sur l’absence d’une langue fédératrice de l’identité marocaine.
Les maux de la diglossie arabe.

F.Laroui explique que le danger ne réside pas dans le multilinguisme ou le bilinguisme, créateur, au contraire, de richesse intellectuelle dans un pays. Il est dans la diglossie qui sévit au Maroc. Laroui explique qu’il existe une langue officielle au Maroc qui est l’arabe classique littéraire. C’est dans cette langue que sont écrits les manuels de l’Education nationale, les documents officiels, juridiques, etc. Le problème réside dans le fait que l’arabe classique est la langue officielle du pays sans qu’elle ne soit parlée par la majorité de la population marocaine dans la vie quotidienne. F. Laroui explique qu’il y a deux variétés de langues : la variété haute qui représente l’arabe classique et la variété basse qui fait référence à l’arabe dialectal, la « darija ». Cette dernière est la langue maternelle des gens et constitue une importance majeure dans la formation de la personnalité des Marocains. Malheureusement, la langue maternelle n’est pas la langue officielle au Maroc. Les discours officiels, les manuels de formation, la presse, les romans et autres textes sont écrits dans une langue qui n’est pas celle parlée par les Marocains.
La diversité linguistique, un défi redoutable.

Dès la petite enfance, les Marocains se trouvent confrontés à plusieurs langues : la langue maternelle, d’abord, qui peut être l’arabe dialectal « darija » ou une des variantes du tamazight (berbère), ou le français, dans le cas d’enfants de couples mixtes. Il y a ensuite les langues de l’enseignement, dès les premières années du primaire. C’est ,le plus souvent, l’arabe classique/ littéraire mais ce peut être aussi le français ou même, depuis quelques années, l’anglais. Au gré des réformes et contre-réformes qui se succèdent, certaines matières scientifiques sont enseignées en français... ou non. Cette diversité linguistique constitue un défi redoutable. Les graves problèmes rencontrés par l’Education nationale depuis des décennies sont en grande partie causés par cet état de fait. « On ne peut faire de prévisions sur l’évolution générale de notre pays sans essayer d’imaginer comment cette question-là va évoluer » explique F. Laroui. En effet, elle s’insinue partout, dans tous les domaines de la vie du pays, dans l’économique, le social, le politique, le culturel…etc.
 
Pour la « Darija » comme langue officielle au Maroc.

L’arabe marocain est la seule langue parlée (ou du moins comprise) par l’ensemble des Marocains, les berbérophones ayant, au minimum, une connaissance passive de celle-ci. La darija est une interpénétration de l’arabe classique, du berbère, mais aussi du français, voire de l’espagnol (surtout au Nord). Elle est dynamique et évolue constamment. Cependant, c’est une langue parlée qui n’a jamais été écrite, alors que l’arabe classique est écrit mais non parlé dans la vie quotidienne: il s’agit de diglossie. Au Maroc, à l’instar de tous les pays arabes, on assiste au phénomène de diglossie qui est «une situation dans laquelle deux langues, ou variantes d’une même langue, sont présentes simultanément dans une région mais occupent des statuts sociaux différents». Nous avons donc une langue officielle et valorisée, l’arabe classique, et une langue privée, souvent méprisée, la darija. Analyser le problème linguistique au Maroc sans passer par le prisme de la diglossie relève de la cécité nous explique l’auteur dans un second chapitre, entièrement consacré à ce sujet.

Les conséquences de cette « schizophrénie nationale » se ressentent à l’école, où 40% des élèves ne se sont pas capables de lire correctement, Le phénomène s’étend à la psychologie collective car « le dénigrement de la langue maternelle entraîne un dénigrement de soi-même » ainsi que dans le domaine culturel où la création littéraire en arabe est moindre et très peu lue. Sur ce dernier point l’auteur explique qu’il est évident que la difficulté des écrivains vient du fait que « l’arabe classique reste une langue artificielle, ce n’est pas une langue de vie dans laquelle on exprime ses sentiments », explique l’auteur.
Des solutions pour une sortie de crise.

En effet, l’auteur est convaincu que, pour sauver la langue marocaine et résoudre le problème linguistique, « tout le monde doit mettre la main à la pate ». Mais son approche dépasse le monde des écrivains ou des enseignants, c’est la société toute entière qui doit se mobiliser. Pour F. Laroui, la résolution du drame linguistique marocain est une priorité. Il ne met pas en cause directement le plurilinguisme mais la fracture linguistique qui est réelle. Si la langue est un facteur d’unification indispensable pour une nation alors comment fédérer les Marocains, sans distinction de classe et d’accès à l’éducation, autour d’une langue nationale ? Il nous propose ainsi, trois options :
 
Maintenir le statut quo, ce qui ne changera rien à la situation
Proclamer la darija langue officielle du royaume ou, au moins, faire de la darija la langue d’enseignement, ce qui résorberait l’analphabétisme
Établir une graphie en lettres latines de la darija, sur le modèle turc pour résoudre le problème de la vocalisation et de la nomenclature.

Ces dernières propositions sont audacieuses et suscitent indubitablement la polémique. Mais il faut reconnaître à Laroui le mérite de s’être emparé d’un fait de société crucial, malgré les réactions passionnelles qu’il engendre. Son essai est un plaidoyer pour une réhabilitation de la darija. Il est, d’ailleurs, intéressant de voir que c’est l’une des propositions portée par le mouvement du 20 février.

« Le drame linguistique marocain » de Fouad Laroui,

Editions Le Fennec (Maroc) et Zellige (France)

Date de parution : avril 2011

180 pages

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Sbah al kheir Fouad, ça fait des décennies que les linguistes et pédagogues marocains mettent ce problème en exergue et se heurtent à un mur face aux arabistes et aux francisés de l'élite national figés dans leur certitudes.
 
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