Ces deux thèmes – la perversion de l’aide et la décimation d’une population – sont inextricablement liés. Ils dressent le portrait non pas d’une opération de secours, mais d’une stratégie qui favorise des objectifs militaires tout en créant une façade d’humanitarisme pour apaiser les observateurs internationaux3.
Partie I : L’architecture du contrôle, non de la compassion
Le DIH n’est pas un ensemble de suggestions polies ; c’est un ensemble d’obligations contraignantes. En tant que puissance occupante, Israël a le devoir, en vertu de la IVe Convention de Genève, d’assurer et de faciliter l’approvisionnement en nourriture et en fournitures médicales de la population civile. Le système décrit dans le rapport Garb bafoue ce devoir.
Au lieu de faciliter le travail d’agences humanitaires expérimentées et neutres, Israël les a paralysées au profit d’une alternative sécurisée. Ce nouveau modèle présente plusieurs violations graves :
Un rejet de la neutralité : L’aide est distribuée depuis des enceintes fortifiées gérées par des sociétés de sécurité privées américaines composées d’anciens combattants, le tout sous la protection de l’armée israélienne. Cet arrangement annihile les principes humanitaires fondamentaux de neutralité et d'indépendance, essentiels pour garantir que l'aide ne soit pas utilisée comme arme de guerre.
Mise en danger des civils : Les camps sont situés dans des « zones tampons » déclarées par Israël, où l'accès des civils est formellement interdit et exposé aux attaques. Paradoxalement, les Palestiniens doivent risquer leur vie en pénétrant dans une zone militaire interdite pour recevoir une aide vitale.
Un plan pour la violence : La conception interne de ces camps est un exemple magistral de contrôle des foules par l'armée, et non de soins aux civils. Le rapport identifie un agencement en « entonnoir fatal » : une seule voie d'entrée et de sortie, sans couverture, conçue pour maximiser la surveillance et le contrôle des gardes armés. Cet agencement, dépourvu d'ombre, d'eau et de toilettes, est connu pour semer la panique et créer le chaos même qui peut justifier une réponse violente. Ce système n'est pas conçu pour aider, mais pour contrôler et, si nécessaire, nuire.
Tout ce dispositif est décrit comme « l'inverse des principes bien acceptés et éprouvés de la distribution alimentaire ». Il s'agit d'une mascarade juridique et morale, qui utilise le spectre de l'aide pour faire avancer des objectifs tactiques.
Partie II : Le chiffre non exprimé : 377 000 disparus à Gaza
Aussi accablante que soit l'analyse juridique, les données démographiques contenues dans les cartes du rapport laissent présager une catastrophe bien plus grave. Avant le conflit, la population de la bande de Gaza était d'environ 2,227 millions. Le rapport Garb inclut des cartes présentant les estimations de l'armée israélienne concernant la population restant dans ce que l'on considère comme les trois principales enclaves.
Les chiffres sont les suivants :
Gaza-ville : 1 million
Mawasi : 0,5 million
Centre : 0,35 million
Le total de ces estimations officielles s'élève à 1,85 million de personnes.
Un simple calcul révèle un écart effroyable : 2,227 millions moins 1,85 million laissent 377 000 personnes portées disparues.
Ce chiffre est plus de six fois supérieur au nombre de victimes généralement évoqué dans les médias. Si certaines de ces personnes sont peut-être déplacées dans les paysages jonchés de décombres à l'extérieur des principales enclaves, l'ampleur de cet écart, découlant des propres estimations démographiques de la puissance occupante, est stupéfiante. Elle suggère une catastrophe démographique – qu'elle soit due à des pertes directes, à la famine ou à la maladie – dépassant de loin ce que le monde a été amené à croire.
Les centres d'aide humanitaire et les personnes disparues sont les deux faces d'une même médaille. Leur emplacement et leur conception les rendent inaccessibles à la majorité de la population, en particulier au million de personnes de la ville de Gaza, isolées par le corridor de Netzarim. Le système n'est pas conçu pour nourrir les 1,85 million de personnes recensées, et encore moins pour répondre au sort des 377 000 personnes qui ne le peuvent pas.
La communauté internationale doit regarder au-delà du vernis de ces centres d'aide humanitaire et affronter la triste réalité qu'ils représentent. Nous devons condamner un système qui utilise la promesse de nourriture pour forcer une population désespérée à traverser des points d'étranglement militarisés. Mais plus urgemment encore, nous devons exiger une réponse à la question la plus pressante que soulèvent ces données :
Où sont les 377 000 Palestiniens disparus ?