le JAZAL marocain

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Le jazal (poésie en arabe dialectal) est l’un des arts essentiels de la culture arabe et l’une des composantes du patrimoine oral de cette région du monde, mais il est également considéré comme un important réservoir de connaissances, en raison de la charge culturelle dont il est porteur et qui témoigne du passé arabe ancestral, et révèle bien des aspects de la vie de nos aïeux et des couches sociales qui vécurent dans l’ombre et demeurèrent les grands absents de la mémoire de la culture savante et de la littérature classique. Grâce à cette immédiateté et à ce franc parler que lui offre le dialectal, avec ses allusions et sa symbolique, un tel patrimoine a jeté un éclairage singulier sur des réalités sociales et politiques que l’histoire officielle a occultées.
On peut considérer l’histoire de la littérature marocaine comme étant celle du patrimoine oral. Les formes littéraires, artistiques et scientifiques furent pour l’essentiel transmises de génération en génération par la parole, comme on le voit avec les formes pré-théâtrales qui se rencontrent au Maroc, mais aussi avec la chanson populaire, les contes folkloriques oraux ou le zajal que l’on peut considérer comme l’équivalent symbolique de la poésie arabe classique au Maroc.
Si le poème traditionnel a été la forme essentielle qui a marqué la culture et la littérature arabes, une autre catégorie de poètes est apparue au cours des âges, celle des créateurs qui ont cherché, dans des conditions socioculturelles particulières et un contexte de mélange linguistique entre l’arabe et le latin, notamment celui qui prévalait en Andalousie, à définir un genre littéraire nouveau pouvant rivaliser avec la poésie classique pour parler de leur existence. Leur choix s’est alors porté sur le jazal qui est désormais reconnu comme un art à part entière.
Les promoteurs de cette poésie s’étaient positionnés, pour ce qui est de la forme, entre le poème traditionnel et le folklore communautaire. Ils ont emprunté à la poésie traditionnelle les fondements du rythme mais opté pour le dialectal en tant que support linguistique, s’éloignant, ainsi que l’auteur le souligne, de la syntaxe et des contraintes morphologiques de l’arabe littéral.
On peut considérer le zajal marocain comme un patrimoine culturel qui n’a pas moins de valeur que la poésie classique. Il s’agit en effet d’un art qui a su se doter de moyens artistiques propres et se créer un véritable public. Son importance est d’autant plus grande qu’il a nourri bien d’autres arts, tels que le théâtre ou la chanson populaire qui a touché un large public au Maroc. Il est en outre porteur d’une part considérable de cette mémoire marocaine, arabe et islamique qui fait notre fierté. Il s’agit, enfin, de ce trait-d’union entre passé et présent qui nous appelle à approfondir les recherches sur ce genre poétique, à œuvrer à le numériser pour le faire connaître au monde mais aussi aux générations futures, en tant qu’il est et demeure partie intégrante de notre identité arabe.



Ahmed Lemsyeh

 
Dernière édition:
Lemsyeh a expliqué très clairement pourquoi il était nécessaire d'écrire dans la langue maternelle. Elle renferme les secrets de la culture, disait-il. Alors que les anthropologues américains pensaient que le mot "culture" permettait de faire des généralisations radicales et préjudiciables, les poètes et les artistes marocains ont cherché à le rendre aussi saillant que possible. La densité métaphorique de Darija résonne différemment de l'arabe classique.

Lemsyeh a puisé son matériel dans des sources anciennes comme Sidi Abderrahman al-Majdub, un mystique soufi marocain. Al-Majdub était encore cité dans la halqa des siècles plus tard. Lemsyeh ne citait pas directement ses quatrains mais faisait des allusions de manière à raviver les souvenirs d'enfance de l'auditeur, tout en créant quelque chose d'entièrement nouveau. Il était un maître artisan des mots.

Driss Mesnaoui :

Mesnaoui n'était pas seulement un mystique, il était aussi un historien et un critique social. Il parlait avec passion et présence. Comme Lemsyeh, c'était un homme séduisant.. Il avait une certaine gravité, mais il était aussi chaleureux et humble. Le message était historique mais avait une résonance contemporaine évidente.
Mesnaoui écrivait en darija. Comme Lemsyeh, il avait le sentiment que cette langue exprimait ce que l'arabe classique ne pouvait exprimer. Il résonnait plus profondément. "Le problème, c'est qu'au Maroc, l'alphabétisation n'est toujours pas ce qu'elle devrait être. Les gens lisent peut-être les journaux, mais la littérature..." Il secoue la tête. "C'est un gros problème ici."
 
Forme de poésie en arabe dialectal, le zajal est une expression artistique ancestrale qui fait partie du répertoire poétique marocain caractérisé par sa diversité linguistique, artistique et esthétique.
Le Maroc possède une tradition littéraire orale des plus vivantes et des plus riches. Forgée au contact de de nombreuses civilisations et transmise de génération en génération, cette tradition s’est enrichie et s’est développée pour s’imposer comme une des composantes essentielles de la culture populaire marocaine.
Le poète du zajal était et continue d’être le chroniqueur et le narrateur de ces traditions, il raconte les événements vécus en faisant usage de la langue maternelle à travers laquelle il peut s’exprimer avec beaucoup d’aisance.
La richesse et la diversité linguistique du Maroc ont permis donc au zajal d’être l’une des expressions poétiques confirmées sur la scène littéraire marocaine. Il existe plusieurs types de zajal, allant du bédouin au moderne et de l’oral à l’écrit.
Ce genre poétique a vu le jour dans les milieux culturels à Al Andalus avec des poètes célèbres comme Mohyi Eddine Ibn Arabi et Abou Bakr Ibn Kuzman.
Selon le poète Mourad Kadiri, ces poètes ont créé le zajal dans le souci de refléter une nouvelle réalité marquée par la diversité culturelle de cette terre. Il y a aussi la poésie, connue par le nom de malhoun, de Sidi Abderrahman El Majdoub, qui a vécu au XVIe siècle. Cet héritage artistique perdure grâce aux maîtres du zajal qui continuent d’enrichir le répertoire artistique marocain.
 

Maîtres du Zajal


Abderrahman El Mejdoub
Poète soufi populaire du XVIe siècle, il est né à Tit, en bordure de l’Atlantique, entre El-Jadida et Azemmour. Il s’est montré fin observateur de la société de son époque et il est mort en 1565 à Meknès. Son œuvre orale, qui a nourri les langues populaires maghrébines d’un certain nombre de proverbes, de tournures, de mots et de formes, continue, malgré toute cette distance temporelle, à être présente dans la vie quotidienne des peuples marocain et maghrébin. Un ouvrage intitulé «Klame El Ghiwane» reprend ses meilleurs poèmes populaires qui ont fait le tour du monde et qui ont été traduits dans plusieurs langues.

Ahmed Tayeb Laâlej
Un autodidacte chevronné et ambitieux, il a réussi à se prendre en charge lui-même en cherchant inlassablement à donner forme à ses talents. Après avoir bien peaufiné ses connaissances littéraires, il s’attaque aux chefs-d’œuvre du grand Molière, en l’occurrence «Tartuffe», «Les Fourberies de Scapin» et «Le Bourgeois gentilhomme». Laâlej a enrichi le patrimoine marocain du zajal. Il est, en effet, l’un des rares poètes à avoir su, de façon ingénieuse, donner un charme inégalé au dialecte marocain qu’il a présenté d’une façon plus captivante, tout en respectant la morale, les sensibilités. Ahmed Tayeb El Laâlej a rejoint en 1986 les rangs de l’Union des écrivains du Maroc, il avait reçu en 1973 le Prix du Maroc de littérature et, en 1975, la médaille du mérite intellectuel syrien. En mars 2012, une fondation baptisée «Ahmed Tayeb Laâlej pour le théâtre, le zajal et les arts populaires» a vu le jour. Initiée par la famille et les amis du célèbre artiste, cette fondation a pour objectif notamment la préservation de l’œuvre plurielle du grand homme de théâtre et parolier qu’est Ahmed Tayeb Laâlej, ainsi que la publication de l’ensemble de ses écrits touchant plusieurs domaines, dont des études, des contes et des maximes. Il est décédé en décembre 2012.

Ahmed Lemsyeh
Ahmed Lemsyeh, né en 1950 à Sidi Smail dans la région de Doukkala-Abda, a occupé plusieurs fonctions dans des institutions culturelles marocaines et arabes. Il est considéré comme l’un des rénovateurs de la poésie moderne marocaine et utilise aussi bien l’arabe classique que le dialecte marocain dans ses créations. Il a commencé son itinéraire poétique en 1976 avec le recueil «Les vents qui viendront». Suivront par la suite une douzaine d’autres recueils, dont certains ont été traduits en espagnol comme «Hal wa ahwal» en 2003. Ahmed Lemsyeh a joué un rôle primordial dans l’acclimatation de la langue arabe populaire au sein du paysage poétique marocain.
 
Musicalité et bon sens
Plus qu’une forme de poésie dialectale, le zajal véhicule une culture populaire et une sagesse perpétuées à travers les générations. Qui n’a jamais entendu quelques vers de Abderrahman El Mejdoub, ce troubadour bien de chez nous, dont les poèmes sont pleins d’enseignements et de bon sens. Bien qu’ayant vécu au 16e siècle, il reste toujours l’un des grandes figures du zajal. Mais de nos jours, notre pays a vu s’illustrer des zajjal de haut vol. Le plus célébre n’est autre qu’Ahmed Tayeb Laâlej, qui vient de disparaître, laissant derrière lui une œuvre monumentale.
Selon Mourad Kadiri, poète, zajjal, membre de la Maison de la poésie au Maroc, le zajal a réussi à se faire une place dans le répertoire poétique marocain moderne. «Il ne peut plus être considéré comme un art populaire de second rang, du fait qu’il est exprimé en dialecte marocain qui est riche en musicalité et en sens.
Nous écrivons en arabe dialectal marocain non pas pour marquer notre singularité ou différence, mais pour exprimer nos sentiments et nos visions,» explique-t-il.
Pour lui, le zajal au Maroc a atteint son apogée vers la moitié des années 80. La multiplication des œuvres artistiques (pièces théâtrales, chansons…) en arabe dialectal a favorisé et accompagné cet essor, permettant de consacrer cette forme d’expression artistique comme une des principales composantes de la culture marocaine.
Le zajal chanté
L’art du zajal a toujours su épouser harmonieusement les rythmes musicaux et le malhoun a toujours su représenter cette poésie dialectale locale, une poésie instinctive qui récite les journées de travail et les évènements avec une langue plus proche de l’esprit et de l’âme. En effet, le malhoun illustre les caractéristiques psychosociologiques et civilisationnelles de la société marocaine.
Malhoun, dérivé du lahn, l’équivalent de mélodieux. De parfaites et magnifiques mélodies dites sur un ton à la fois musical et poétique bien soutenu. Emprunté à la culture arabo-andalouse, il vient des temps anciens, plus exactement à partir du 12e siècle où les guerriers arabes s’ouvraient sur l’Andalousie ancienne. Les rois avaient pour habitude d’organiser des spectacles du zajal prononcé par des chantres prodiges en présence de toute la cour afin de glaner quelques sous en contrepartie de leur art oratoire. La tradition persista jusqu’à l’âge d’or des Almohades dans la région du Tafilalet, qui ont apporté à cet art une touche marocaine. C’est ainsi que le malhoun voit le jour.
 
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