Le lobby pro-israëlien très inquiet de la politique étrangère des Etats Unis

Chronique

par Corine Lesnes

LE MONDE | 18.03.09 | 14h08 • Mis à jour le 18.03.09 | 14h08


Ne cherchez pas. La rue est introuvable à Washington. Dans le quadrillage alphabétique de la capitale figure bien une rue I, une rue K, mais rien au milieu. Pas de J Street. Certains blâment Pierre Charles L'Enfant, l'architecte de la ville. Le Français détestait John Jay, l'homme de la réconciliation avec l'Angleterre, et tout autant Jefferson, qui avait essayé de raboter ses plans grandioses de capitale impériale. Il se serait vengé à sa manière, en boycottant le J. C'est évidemment une légende, colportée par quelques mauvais esprits. Le lobby antifrançais probablement...

J Street n'existe pas, mais grâce à Jeremy Ben-Ami, Isaac Luria et quelques autres, le nom est maintenant "sur la carte", comme on dit en anglais. Dans les cercles de politique étrangère, le groupe est décrit comme le lobby qui monte. Pro-israélien, mais surtout pro-paix. Un contrepoids potentiel à l'Aipac, l'American Israel Public Affairs Committee, le groupe de pression omniprésent dans la définition de la politique américaine au Proche-Orient.

J Street a été créé en avril 2008 avec l'ambition de contrer les vues des néoconservateurs. Le nom est un clin d'oeil, bien sûr, à l'introuvable positionnement de la rue. Et aussi à Jdate.com, le site de rencontres de la communauté juive, indique Isaac Luria, 25 ans, le directeur de campagne. En un an, l'association est passée de trois permanents à dix, et quatre postes sont encore à pourvoir. Avec sa liste d'e-mails (déjà 105 000) et ses collectes de fonds online, elle a des allures de MoveOn - réseau démocrate - de la communauté juive. D'ailleurs, Eli Pariser, le fondateur de MoveOn, fait partie des conseillers. Et le directeur exécutif, Jeremy Ben-Ami, un ancien aide de Bill Clinton, a lui-même travaillé pour l'association, qui restera comme le fer de lance de l'opposition à la guerre en Irak.

J Street est en train de déménager pour s'installer plus près du Congrès. Aux élections de novembre, le groupe a distribué 570 000 dollars aux candidats progressistes. D'après le magazine Forward, il a contribué à la défaite du sénateur républicain Gordon Smith, qui avait cosponsorisé une résolution dure contre l'Iran, inspirée par l'Aipac. Et à celle du républicain Joe Knollenberg, qui avait voulu arrêter les subventions au centre Carter pour punir l'ancien président d'avoir rencontré les dirigeants du Hamas. Mais, en décembre 2008, ils n'ont pas réussi à faire passer un texte réclamant un cessez-le-feu à Gaza. Et Jeremy Ben-Ami s'est fait crucifier pour avoir écrit que l'action militaire israélienne était "disproportionnée" et risquait d'être "contre-productive".

La semaine dernière, J Street s'est consciencieusement tenu à l'écart de l'empoignade qu'a connue la communauté juive à propos de la nomination à la tête du Conseil national du renseignement - l'organisme qui synthétise les analyses des seize agences américaines de renseignement - d'un homme un peu trop critique à l'égard d'Israël, l'ancien ambassadeur en Arabie saoudite Charles "Chas" Freeman. Depuis la parution en 2006 du livre de Stephen Walt et John Mearsheimer sur le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine (Le Lobby israélien, traduit aux éditions La Découverte), on n'avait pas connu de polémique aussi enflammée. "Une autre de ces batailles entre le lobby et les activistes anti-israéliens, commente Isaac Luria. Pour nous, personne n'a raison dans cette affaire."

Passons les détails, les pétitions pour et contre, les éditoriaux suivis de 350 commentaires, les accusations, et leurs sempiternels auteurs (Daniel Pipes, Steve Rosen, l'ancien lobbyiste de l'Aipac poursuivi pour espionnage au profit d'Israël, etc.), et les citations tronquées qui ont fini par faire ressembler Charles Freeman au Réverend Jeremiah Wright d'Obama. Lorsque les accusations des blogs ont été relayées par plusieurs parlementaires, l'équipe Obama, qui ne s'était pas mouillée, a lâché son candidat sans état d'âme. ("Une capitulation !", s'est étranglée la gauche). Et Charles Freeman a préféré se retirer, ne s'estimant plus du tout apte à prendre un poste où son impartialité aurait été en permanence questionnée. En vieux routier de la politique (sinologue, il a été interprète de Nixon en Chine en 1973), il n'est pas parti sans un coup de pied de l'âne contre le "lobby" et "les gens sans scrupule qui ont un attachement passionnel à des points de vue d'une faction politique d'un pays étranger"...

Depuis l'élection de Barack Obama, les pro-israéliens de l'Aipac essaient de décrypter les signes donnés par l'administration. Ils ont adoré la nomination de Rahm Emanuel, aux sympathies pro-israéliennes affichées, au poste de directeur de cabinet, mais beaucoup moins celle de George Mitchell, le nouvel envoyé spécial au Proche-Orient, réputé pour son indépendance. Ils ont été rassurés (un peu) par Hillary Clinton, la secrétaire d'Etat. Nettement plus par Dennis Ross, familier d'Israël, chargé de l'Iran du département d'Etat, mais qui n'a pas le statut d'envoyé spécial. Les signaux sont contradictoires, mais, en quelques semaines, Hillary Clinton et Barack Obama ont renoué avec Damas, invité Téhéran à une conférence sur l'Afghanistan, trouvé intéressant que les Britanniques prennent langue avec le Hezbollah et envisagé un dialogue avec les talibans "modérés". Pas étonnant que les "faucons" pro-israéliens soient anxieux.



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Corine Lesnes
 
Gaza: les témoignages accablants des soldats israéliens.

DE NOTRE CORRESPONDANTE A JERUSALEM
Ce jeudi, le quotidien Haaretz a publié des extraits des compte-rendus faits par les militaires de l'Etat hébreu après le conflit dans le territoire palestinien.
Ils font notamment état de tirs injustifiés ayant provoqué la mort de civils.


Les nombreux témoignages palestiniens sur les exactions israéliennes lors de la récente opération militaire à Gaza, sont, pour la première fois, relayés par ceux de militaires israéliens.

Les récits de ces soldats, ayant participé à l’Opération Plomb durci contre le Hamas en janvier dernier, font notamment état de tirs injustifiés ayant provoqué la mort de civils palestiniens, en raison du laxisme des règles d’engagement.

Ces témoignages, issus de discussions organisées en février par l’académie militaire dans laquelle avaient été formés les soldats, ont été publiés dans la lettre d’information de l’académie.

Le quotidien israélien Haaretz en a publié des extraits ce jeudi et les publiera vendredi dans leur intégralité dans son supplément du week-end.

«Mon officier a envoyé des hommes sur le toit pour la tuer»

Parmi les témoignages, figure le cas d’une mère de famille, tuée avec ses deux enfants, parce qu’elle s’était trompée de chemin en suivant les ordres des soldats.

«Le tireur d’élite a vu une femme et des enfants s’approcher de lui et entrer dans la zone dans laquelle on lui avait dit que personne ne devait pénétrer.

Il a tiré et les a tués», relate un chef de brigade.
«D’après les discussions que j’ai eues avec mes hommes, […]
le sentiment général prévalait que la vie des Palestiniens était beaucoup moins importante que la vie de nos soldats», ajoute-t-il.

Un autre témoignage fait état d’une vieille femme Palestinienne tuée alors qu’elle traversait une rue non loin d’un immeuble tenu par des soldats israéliens.

«Je ne sais pas si elle était ou non suspecte, je ne connais pas son histoire.

Ce que je sais, c’est que mon officier a envoyé des hommes sur le toit pour la tuer», relate un soldat.

Le directeur de l’académie militaire, Dany Zamir, a expliqué qu’en organisant les discussions sur la conduite de l’offensive israélienne, il ne s’attendait pas à de tels témoignages.

«Nous pensions que les soldats allaient nous parler de leurs expériences personnelles pendant la guerre et des leçons qu’ils en avaient tirées, nous ne nous attendions absolument pas à ce que nous avons entendu.

Cela a été un choc», a-t-il dit.
Après avoir entendu les témoignages, Zamir en a immédiatement rendu compte au chef d’Etat-Major Gabi Ashkenazi qui a ordonné le lancement d’une enquête.

L'article a provoqué un début de polémique en Israël
«Les soldats ne mentent pas pour la bonne raison qu’ils n’ont aucune raison de le faire», commente Amos Harel, le journaliste d’Haaretz à l’origine de la publication des témoignages.

«Il y a une continuité des témoignages provenant de différents secteurs qui fait émerger une image troublante et déprimante.

L’armée rendrait service à tout le monde, et à elle-même en premier lieu, si elle prenait au sérieux les accusations de ces soldats et menait une enquête en profondeur […]

Il est possible qu’il y ait quelques exagérations ou erreurs dans ces témoignages mais ils constituent la preuve, de première main, de ce que la plupart des Israéliens préfèrent ne pas voir.

Ils décrivent la manière dont l’armée a mené sa guerre contre des terroristes armés, avec une population de 1,5 million de civils coincés au milieu», estime le spécialiste militaire du quotidien de gauche.

Son article a provoqué de nombreuses réactions et un début de polémique en Israël.

Le ministre israélien de la Défense Ehud Barak a défendu l’éthique et les actions de l’armée lors de l’offensive contre le Hamas, qui a fait 1.300 morts et 5.000 blessés palestiniens, selon un bilan des services médicaux palestiniens.

«L’armée israélienne est la plus morale du monde, et je sais de quoi je parle car je sais ce qui s’est passé en ex-Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak», a-t-il dit à la radio publique israélienne. «Bien sûr, il peut y avoir des exceptions et tout ce qui a pu être dit va être vérifié», a assuré Ehud Barak.

De leurs côtés les représentants arabe-israéliens à la Knesset, le parlement israélien, Ahmed Tibi et Mohammad Barrakeh ont déclaré que les témoignages des soldats étaient la «preuve qu’Israël avait commis des crimes de guerre à Gaza».
 
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