L’ecole des mines, le bon filon stéphanois

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L’événement du « Monde » O21/
S’orienter au 21e siècle se tiendra le 17 janvier à Saint-Etienne,
où l’ingénierie se réinvente depuis deux siècles, grâce notamment à son établissement phare.

Par Emmanuel Davidenkoff Publié le 11 janvier 2019 à 15h36

Lycéens, étudiants, professeurs, parents, jeunes diplômés... « Le Monde » vous donne rendez-vous en 2019 à Saint-Etienne, Marseille, Nancy, Paris et Nantes pour de nouvelles éditions des événements O21 /S’orienter au 21e siècle. Des conférences et des rencontres inspirantes pour penser son avenir et trouver sa voie. Plus d’informations ici.

Diviser par deux le temps d’attente pour une IRM à l’hôpital.
Opérer un anévrisme de l’aorte en deux heures à l’aide d’une chirurgie peu invasive.
Détecter à distance le changement de comportement alarmant d’une personne âgée dépendante. Permettre aux dentistes de fabriquer eux-mêmes des implants en céramique
et enchaîner en une séance les gestes qui, aujourd’hui, en exigent deux ou trois…

Toutes ces innovations reposent sur le déploiement de technologies mises au point au Centre ingénierie et santé (CIS) de l’Ecole des mines de Saint-Etienne.

Créé en 2004, il s’est installé il y a quatre ans, avec la faculté de médecine stéphanoise, dans des bâtiments flambant neufs, mitoyens du CHU Nord.

Ils forment une entité unique en France, le Campus santé innovation, qui allie recherche, ingénierie, formation et soins, où se dessine un des futurs d’une école bicentenaire dont seule l’appellation – Ecoles des mines – témoigne encore de la fonction initiale : un tiers des élèves ingénieurs des Mines suivent déjà au moins un module lié au biomédical.

Le lien avec l’histoire des mines et la géographie stéphanoise est pourtant plus intime qu’il y paraît. La création de tissus chirurgicaux utilisés pour opérer les anévrismes de l’aorte ? « 60 % des textiles médicaux français sont produits dans la région, par des sociétés comme Gibaud ou Thuasne », indique Stéphane Avril, le responsable du CIS.

Elles sont héritières d’un des piliers de l’industrie locale : la fabrication de ruban. Le département spécialisé dans la recherche sur les aérosols et nébuliseurs prolonge quant à lui des travaux sur la silicose initiés dès les années 1950, à la demande des médecins du Corps des mines stéphanois, par l’entreprise La Diffusion technique française (DTF Médical).

Le charbon, la mine, encore, toujours, avec lesquels Saint-Etienne semble entretenir une relation équivoque,
vantant d’une main la modernité d’une cité qui s’est imposée, grâce à une biennale et une école, en phare européen du design, à mille lieues de son image de « ville noire » industrielle et industrieuse ; invitant, de l’autre, à revivre l’expérience des mineurs en descendant « au fond » au musée du mythique puits Couriot, qui sortait à ses heures les plus fastes 300 000 tonnes de charbon par an.

Car c’est bien là, « au fond », que s’est joué le destin contemporain de la ville, aussi vrai que le Rhône ne se serait pas inventé en vallée de la chimie sans présence de pyrite et donc de soufre dans les monts du Lyonnais.

Gardien de la collection de roches et minéraux de l’école – « 10 000 pièces, dont certaines de niveau mondial » –, le géologue Bernard Guy s’étonne d’un air malicieux que l’on demande à commencer la visite de l’école avec lui, alors que l’étude des sols n’est plus, au mieux, qu’une option dans les programmes proposés aux étudiants.

Pourtant ce sont bien ces « cailloux », comme il les appelle, qui ont fait des Mines de Saint-Etienne une des plus prestigieuses écoles françaises.

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Une ingénierie de l’humilité ?
La collection sur laquelle il veille s’est d’abord constituée à partir de dons des Mines de Paris, dès la création de l’école stéphanoise, en 1816.

Elle comporte notamment des fossiles de végétaux – fougères, conifères… – découverts alentour et qui valent à la ville d’avoir donné son nom à un étage géologique de la fin du carbonifère (de – 359 à – 299 millions d’années) : le stéphanien.

Comme les universités avaient éclos au Moyen Age autour des bibliothèques, l’Ecole des mines naquit autour de cette collection, alpha d’une formation dont l’oméga, dès l’origine, a consisté à envoyer les élèves sur le terrain. Bernard Guy en est convaincu, aujourd’hui encore, l’école vit sur cet ADN : « Observer d’abord, puis formuler des hypothèses et modéliser ». Une ingénierie de l’humilité ?

« L’un des premiers mots de parler gaga – le patois local que l’on apprend en arrivant dans la ville, c’est beauseigne, note le Clermontois Pascal Ray, directeur de l’école depuis 2014.
Une interjection qui exprime une forme de compassion. Saint-Etienne pense qu’elle ne sait pas se mettre en avant. »
Les Mines se sont pourtant fait violence en 2016, pour célébrer leur bicentenaire. Occasion rêvée de revisiter l’histoire d’un établissement né d’une imprudence napoléonienne.

Alors que le besoin en charbon explose, il apparaît que la seule Ecole des mines de Paris, inaugurée en 1783, ne permettra pas de pourvoir aux besoins en compétences. « De plus, Paris formait alors des hauts fonctionnaires un peu hors sol plus que des opérationnels », rappelle Michel Cournil, ancien directeur adjoint de l’école et coordonnateur des cérémonies du bicentenaire, ajoutant dans un sourire qui dément le propos que « toute ressemblance avec le présent serait fortuite ». Deux écoles sont alors créées sur les marches de l’Empire, en Savoie et en Sarre. Mais le Congrès de Vienne (1815) les expulse du territoire national.

Siècle d’or
L’ingénieur Louis-Antoine Beaunier, qui dirigeait l’école sarroise, se voit confier par Louis XVIII la mission de créer une école en remplacement, à distance suffisante des frontières. Il connaît Saint-Etienne pour avoir réalisé la topographie du bassin et y implante une « école des mineurs », appellation imposée pour ne pas froisser la grande sœur parisienne.

Les élèves sont recrutés à 15 ou 16 ans pour deux ans de formation théorique et pratique. « Ils effectuent, ce qui était totalement nouveau, ce qu’on appellerait aujourd’hui des stages d’observation dans les mines », indique Michel Cournil. Les professeurs, eux, sont nombreux à faire le voyage en Angleterre, alma mater de la révolution industrielle, et en Allemagne, d’où ils importent des pratiques pédagogiques nouvelles.

La chance y met aussi du sien : « Dès les deux premières années, l’école accueille deux élèves hors du commun, qui mèneront par la suite de brillantes carrières : Fourneyron, futur inventeur de la turbine hydraulique, et Boussingault [fondateur de la chimie agricole moderne] ».

C’est le début du siècle d’or, qui voit doubler la population stéphanoise tous les quarante ans et au cours duquel ingénieurs et directeurs de mines ne cessent de pourvoir l’industrie en innovations : Beaunier est à l’origine de la première ligne de chemin de fer française (Saint-Etienne-Andrézieux), Marsaut invente la lampe de sécurité du mineur, De Villaine développe une technique d’exploitation des grandes couches par remblaiement…

Autant d’innovations qui, avec la croissance des industries métallurgiques, des armureries, des fabriques de cycles, hissent Saint-Etienne au rang de capitale industrielle du pays. « La ville est fille de l’école autant que l’école est fille de la ville », résume Michel Cornil.

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Pour l’école, le premier choc du XXe siècle ne fut pas la crise du charbon mais la Grande Guerre. Même si « l’école des mineurs » est devenue en 1882 Ecole des mines, puis a été autorisée à délivrer le titre d’ingénieur en 1887, la grande sœur parisienne veille toujours scrupuleusement sur ses privilèges.

Alors que les élèves ingénieurs de la capitale ont automatiquement grade d’officiers, les Stéphanois sont engagés comme soldats du rang et envoyés en première ligne : 143 d’entre eux ne reviendront pas. Les archives des anciens témoignent de la violence du traumatisme. « La période de l’entre-deux-guerres évoque essentiellement les commémorations », relève Michel Cournil.

La « meu » et la « neumeu »
L’après- seconde guerre mondiale est plus connue : effondrement de la production de charbon (dès 1960, les 26 000 mineurs de l’après-guerre ne sont plus que 10 000), crise de l’industrie… Le dernier puits, Pigeot, ferme en 1983, les lampes Marsaut sont remisées sauf pour être offertes aux professeurs des Mines quand ils prennent leur retraite, Manufrance est mis en liquidation en 1986.

Et la population fond inexorablement, contexte qui éclaire la tonalité triomphale de ce communiqué publié en janvier par Gaël Perdriau, maire de la ville, pour se réjouir que le dernier recensement accorde à la ville 174 298 habitants en 2016, soit 632 de plus qu’il y a quatre ans (mais toujours près de 50 000 de moins qu’en 1968).

Parmi eux, 1 600 élèves des Mines (les 300 autres sont sur le site de Gardanne (Bouches-du-Rhône), qui abrite les formations en microélectronique et informatique). Mais ceux que nous avons rencontrés avouent méconnaître leur cité d’adoption. La plupart habitent dans la maison des élèves, dite la ME (prononcer « la meu »), ou dans la nouvelle maison des élèves (la NME, donc « la neumeu »). Deux bâtiments dont l’essentiel du charme réside dans les souvenirs de fêtes mémorables qu’ils laisseront aux étudiants (77 % des effectifs) et étudiantes (on ne s’aventurera pas ici à détailler ce caractère « mémorable » pour ne pas alarmer les parents d’élèves qui liraient cet article).

Morgan, étudiant en deuxième année, en convient : « Les sorties en ville sont rares : l’agenda des activités est plein tous les mois, et même quand il n’y a rien, il suffit de descendre au bar. C’est comme avoir une soirée entre potes tous les soirs, mais avec plus de potes. »
Horaire d’ouverture dudit bar : 22 heures, soit 30 minutes avant l’arrêt du service de bus, ce qui n’incite pas non plus aux excursions nocturnes.

« Et puis il y a l’image, en ville, des élèves de l’école, dont nous sommes conscients qu’elle peut être moyenne. Alors nous vivons beaucoup entre nous… », concède Simon, lui aussi en deuxième année.
Envers de la médaille : les élèves plébiscitent la dimension humaine et la solidarité afin d’expliquer pourquoi ils ont choisi cette école.

De leur ville d’adoption, les élèves empruntent tout de même quelques symboles footballistiques : le vert du maillot de l’ASSE (y compris sur les figurines d’un des baby-foot du bar), les chants de supporteurs du mythique « chaudron », le stade Geoffroy-Guichard (« Et s’il ne reste plus que toi »), l’emblème de la panthère… Une acculturation minimale qui se terminera pour la plupart dès l’entrée dans la vie active : si 25 % des élèves de la filière apprentissage (ISTP) restent dans la région après leur diplôme, l’écrasante majorité des diplômés du cycle ingénieurs rejoignent l’Ile-de-France, région d’origine de 65 % des élèves, ou partent à l’étranger.

La « fille de la ville » qu’évoque Michel Cournil s’est depuis longtemps émancipée de ses origines et joue dans la cour des grandes écoles généralistes, plus encore depuis que deux directeurs emblématiques (Philippe Hirtzman et Robert Germinet) ont initié une révolution pédagogique et lancé de nouveaux projets au tournant du siècle, dont celui du campus santé.
L’agenda de Pascal Ray, l’actuel directeur, est d’ailleurs le même que celui de ses homologues des écoles de même rang (L’Etudiant classe Saint-Etienne 19e sur 174).

Outre la contribution au développement économique local, l’international et les classements partagent le sommet des priorités, avec la mise en place du réseau tout neuf des Instituts Mines Télécom (IMT) et le développement d’approches interdisciplinaires –

l’école fait partie du Collège des Hautes Etudes Lyon Science, alliance originale de grandes écoles de tous secteurs – y compris le Conservatoire national supérieur de musique et de danse.



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suite 3

Le croire et le savoir
C’est finalement à travers une activité connexe que se retisse peut-être un lien plus intime entre l’école et la ville. Elle gravite autour d’un bâtiment en forme de soucoupe volante qui abrita, dès les années 1960, le centre de calcul de l’école : 350 mètres carrés au premier étage pour faire tourner les ordinateurs à cartes perforées ; la même surface au rez-de-chaussée pour abriter le puissant système de climatisation nécessaire au refroidissement de ces mastodontes.

Lorsque ces bruyantes et bouillantes antiquités sont mises au rancart, l’école les remplace par un centre de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI) – un label aujourd’hui en jachère, mais qui présida à la naissance d’institutions comme la Cité des sciences parisienne ou Cap Sciences à Bordeaux.



Baptisé La Rotonde, le centre accueille, sous la houlette de Guillaume Desbrosse, une riche programmation pluridisciplinaire – actuellement une exposition sur le rire – et accompagne un vaste réseau de professeurs des écoles dans l’organisation d’ateliers de sciences dont bénéficient, chaque mois, 10 000 élèves des écoles. « Ce centre est le seul, en France, à être rattaché à un établissement d’enseignement supérieur », précise Guillaume Desbrosse.


Outre le programme consacré aux écoles primaires et les événements in situ, tous les étudiants des Mines ont obligation de suivre au moins un module de formation à la diffusion de la culture scientifique :

« Ce sont de futurs ingénieurs, qui auront des responsabilités humaines comme manageurs, et sociétales en tant que futurs dirigeants. Il est indispensable de les connecter aux réalités sociales pendant leur formation. »

Au pied de La Rotonde, le « camion des sciences », un antédiluvien TUB Citroën, est prêt à rejoindre les parvis des barres HLM et les parkings des centres commerciaux, chargé de matériel pour réaliser des « manips ».

Prochain projet : l’ouverture d’un espace d’éducation aux sciences, mi-fab lab, mi-lieu d’exposition. Il sera adossé au parc Couriot, qui abrite le musée du puits éponyme. Il surplombe le quartier Tarentaize-Beaubrun, faubourg ouvrier historique, en partie rasé dans les années 1970 pour cause d’insalubrité.

« Il est impératif d’aller au-devant des publics, notamment dans les quartiers difficiles, insiste Guillaume Desbrosse, si on veut endiguer les progrès de l’obscurantisme. » Comment ? « En amenant les gens, sans didactisme, à faire ou refaire la différence entre croire et savoir. L’école doit bien cela à cette ville, surtout si elle veut casser un peu son image d’établissement d’élite recroquevillé derrière ses hautes grilles dans les beaux quartiers. » Comme un retour au bercail de la fille prodigue ?

Etudier à Saint-Etienne
Les Mines

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suite 3 et fin

1900 étudiants, dont 35 % d’élèves étrangers, 30 % de boursiers et 23 % de filles.

Deux campus, Saint-Etienne et Gardanne (Bouches-du-Rhône), forment trois profils d’ingénieurs :

l’ingénieur civil des mines, généraliste (30 % des diplômes),
l’ingénieur d’opération, formé en alternance (55 % des diplômes),
et, à Gardanne, l’ingénieur spécialisé en microélectronique et informatique (Ismin, 15 % des diplômes).

Les Mines de Saint-Etienne appartiennent à l’Institut Mines-Télécom, réseau de 12 écoles d’ingénieurs et une école de management formant 13 000 étudiants.

Les autres établissements

Saint-Etienne compte une dizaine d’établissements d’enseignement supérieur,

dont l’Institut d’optique graduate school (créé en 1917),
l’Ecole nationale d’ingénieurs de Saint-Etienne (1961),
l’université Jean-Monnet (1969), qui accueille 20 000 étudiants et dont dépend Télécom Saint-Etienne (1991), l’Ecole nationale supérieure d’architecture (1971),
l’école de la Comédie, une des six écoles nationales supérieures d’art dramatique à être installée au cœur d’un théâtre de création : la Comédie de Saint-Etienne (1982),
l’Ecole supérieure d’art et design (2006, héritière de l’Ecole de dessin fondée en 1803),
l’Ecole nationale supérieure de la sécurité sociale (2004, héritière du Centre d’études supérieures de sécurité sociale, né en 1960).

La ville accueille également des campus délocalisés de l’EM Lyon et de Sciences Po Lyon.

https://www.lemonde.fr/campus/artic...-le-bon-filon-stephanois_5407895_4401467.html


bonne lecture

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