Quelle place accorder aux enfants de l’ennemi ? Pourquoi leur reprocher les crimes ou des fautes de leurs parents ? Quel avenir leur réserver ? Faut-il les rejeter ou les intégrer à la communauté nationale ? Ces questions qui surgissent dans le débat public avec l’affaiblissement de l’État Islamique ont déjà divisé l’opinion publique par le passé, en particulier lors de la première guerre mondiale.
Les positions semblent irréconciliables entre ceux qui rappellent que la centaine d’enfants de djihadistes français aujourd’hui présents en Syrie ou au Kurdistan sont avant tout de très jeunes enfants qui ne sont coupables de rien et ceux qui - comme l’ex-procureur de Paris François Molins - voient en eux des « bombes à retardement ». Particulièrement brutal et souvent caricatural, le débat actuel n’a pourtant rien à envier à la violence parfois inouïe de ceux d’hier.
1914-1918 : les « enfants des Boches », une menace pour la France ?
Dès le début de la Grande guerre, à l’été 14, les combats s’accompagnent d’une série de crimes de guerre, quel que soit le camp considéré : incendies, pillages, destructions, assassinats de civils… Ces actes, aussitôt relayés et dénoncés dans les médias des différents belligérants, sont le plus souvent présentés comme une preuve de la nature profondément odieuse et cruelle de l’adversaire.
Sur le front est, les journaux allemands et austro-hongrois accusent les Russes de multiplier les Kosakengreuealten (atrocités cosaques) en Prusse orientale tandis que les Serbes et les Russes dénoncent des actes équivalents. Sur le front ouest, les médias belges et français dénoncent la brutalité des soldats allemands. Et dans la longue liste des atrocités commises, l’une ressort avec force en janvier 1915 dans les journaux français avec la publication d’un rapport d’enquête : « les attentats contre les femmes et les jeunes filles », autrement dit les viols. Impossibles ou presque à quantifier mais de toute évidence nombreux, ces crimes ont parfois pour conséquence la naissance d’enfants non désirés et l’apparition d’un débat particulièrement dur autour du sort qui doit être réservé à ces « enfants de l’ennemi [1] », rejetons de la « bestialité allemande ».
Les enfants maudits
La controverse qui s’ouvre alors dans la presse et dans l’opinion diffère évidemment du cas des enfants de djihadistes aujourd’hui : de 1914 à 1918, ces mères sont victimes de viols, souvent commis en groupe et dans des conditions atroces, et n’ont en aucun cas voulu leur naissance. En revanche, les questions qui se posent autour de l’avenir des nourrissons évoquent pour partie les discussions actuelles. Le débat public tourne d’ailleurs moins autour du viol que de l’avenir de ces enfants dont les pères sont des « Boches », l’ennemi héréditaire par excellence, abondamment diabolisé par la propagande.
Tout commence le 7 janvier 1915 lorsque Le Matin, deuxième quotidien de l’époque, relaie en Une et pour s’en féliciter le sermon d’un prêtre belge, probablement inventé de toute pièces d’ailleurs, dans un article titré "Pour la race !". A en croire le journal, le religieux aurait encouragé les femmes violées par l’envahisseur à avorter par tous les moyens, leur garantissant au passage l’absolution « devant Dieu et devant les hommes » : « proscrivez, extirpez, exterminez sans scrupules l’ivraie immonde et criminelle (…) qu’un sang impur ne vienne pas corrompre le trésor de vos veines ».
Particulièrement extrême à une époque où rappelons-le, avorter ou faire avorter une femme enceinte est un crime qui peut mener à la guillotine, le texte donne pourtant le ton d’un débat de plusieurs mois en justifiant et mieux, en réclamant l’avortement d’enfants à naître, français de droit pourtant mais comme souillés par leur hérédité.
En quelques semaines, les enjeux et les prises de positions s’affirment : est-il permis, voire recommandé de s’en débarrasser physiquement ? Faut-il créer une législation d’exception pour autoriser les victimes de viols à avorter ? Faut-il même les y obliger ? Lorsqu’ils sont nés, que faire de ces enfants ? Faut-il les confier à l’Assistance Publique, les remettre à des familles d’accueil ou les conserver dans leurs foyers ? Pire encore, peut-on imaginer l’élimination d’enfants déjà nés ? – si, certains l’ont suggéré.
Les positions semblent irréconciliables entre ceux qui rappellent que la centaine d’enfants de djihadistes français aujourd’hui présents en Syrie ou au Kurdistan sont avant tout de très jeunes enfants qui ne sont coupables de rien et ceux qui - comme l’ex-procureur de Paris François Molins - voient en eux des « bombes à retardement ». Particulièrement brutal et souvent caricatural, le débat actuel n’a pourtant rien à envier à la violence parfois inouïe de ceux d’hier.
1914-1918 : les « enfants des Boches », une menace pour la France ?
Dès le début de la Grande guerre, à l’été 14, les combats s’accompagnent d’une série de crimes de guerre, quel que soit le camp considéré : incendies, pillages, destructions, assassinats de civils… Ces actes, aussitôt relayés et dénoncés dans les médias des différents belligérants, sont le plus souvent présentés comme une preuve de la nature profondément odieuse et cruelle de l’adversaire.
Sur le front est, les journaux allemands et austro-hongrois accusent les Russes de multiplier les Kosakengreuealten (atrocités cosaques) en Prusse orientale tandis que les Serbes et les Russes dénoncent des actes équivalents. Sur le front ouest, les médias belges et français dénoncent la brutalité des soldats allemands. Et dans la longue liste des atrocités commises, l’une ressort avec force en janvier 1915 dans les journaux français avec la publication d’un rapport d’enquête : « les attentats contre les femmes et les jeunes filles », autrement dit les viols. Impossibles ou presque à quantifier mais de toute évidence nombreux, ces crimes ont parfois pour conséquence la naissance d’enfants non désirés et l’apparition d’un débat particulièrement dur autour du sort qui doit être réservé à ces « enfants de l’ennemi [1] », rejetons de la « bestialité allemande ».
Les enfants maudits
La controverse qui s’ouvre alors dans la presse et dans l’opinion diffère évidemment du cas des enfants de djihadistes aujourd’hui : de 1914 à 1918, ces mères sont victimes de viols, souvent commis en groupe et dans des conditions atroces, et n’ont en aucun cas voulu leur naissance. En revanche, les questions qui se posent autour de l’avenir des nourrissons évoquent pour partie les discussions actuelles. Le débat public tourne d’ailleurs moins autour du viol que de l’avenir de ces enfants dont les pères sont des « Boches », l’ennemi héréditaire par excellence, abondamment diabolisé par la propagande.
Tout commence le 7 janvier 1915 lorsque Le Matin, deuxième quotidien de l’époque, relaie en Une et pour s’en féliciter le sermon d’un prêtre belge, probablement inventé de toute pièces d’ailleurs, dans un article titré "Pour la race !". A en croire le journal, le religieux aurait encouragé les femmes violées par l’envahisseur à avorter par tous les moyens, leur garantissant au passage l’absolution « devant Dieu et devant les hommes » : « proscrivez, extirpez, exterminez sans scrupules l’ivraie immonde et criminelle (…) qu’un sang impur ne vienne pas corrompre le trésor de vos veines ».
Particulièrement extrême à une époque où rappelons-le, avorter ou faire avorter une femme enceinte est un crime qui peut mener à la guillotine, le texte donne pourtant le ton d’un débat de plusieurs mois en justifiant et mieux, en réclamant l’avortement d’enfants à naître, français de droit pourtant mais comme souillés par leur hérédité.
En quelques semaines, les enjeux et les prises de positions s’affirment : est-il permis, voire recommandé de s’en débarrasser physiquement ? Faut-il créer une législation d’exception pour autoriser les victimes de viols à avorter ? Faut-il même les y obliger ? Lorsqu’ils sont nés, que faire de ces enfants ? Faut-il les confier à l’Assistance Publique, les remettre à des familles d’accueil ou les conserver dans leurs foyers ? Pire encore, peut-on imaginer l’élimination d’enfants déjà nés ? – si, certains l’ont suggéré.