Lettre d'une sdf

Salam Aleykoum,



Le jour finit de se lever, je me réveille comme chaque jour la tête remplie de projets journaliers. Mais quel bonheur, nul besoin d'aller se doucher, nulle flemme pour préparer mon petit déjeuner, nulle nécessité d'être stressée à propos de la journée de travail qui s'annonce. De tous ces maux je suis épargnée. En réalité, la seule contrainte dont je souffre consiste à remballer mon sac de couchage et à le fourrer dans le sac à dos qui m'accompagne partout où je me déplace.

Mes projets, parlons-en. Ils ne consistent pas à m'interroger sur la façon dont je pourrai enfin attirer le regard de cette ou ce charmant collègue qui m'attire. Il ne s'agit pas non plus de s'interroger sur les rendez-vous professionnels ou administratifs que je dois honorer dans la journée, mais encore, il ne s'agit pas de me prendre la tête à envisager la meilleure façon qui soit pour financer la future voiture que j'ambitionne d'acheter. Il s'agit, plus simplement, de savoir comment survivre durant la journée.

Survivre à cette faim qui me tiraille, à cette soif qui m'épuise, à ce froid qui me torture. Comment vais-je pouvoir remplir mon ventre, comment vais-je pouvoir réchauffer mon corps. Voilà les deux questions existentielles de la vie de toutes les personnes de ma condition.

S'il n'y a pas plus explicite comme formulation, il n'y a pas d'efforts plus durs pour parvenir à sa réalisation et à la renouveler chaque jour qui passe. Cela ressemble très fortement à une vie animale. Ne serait-ce pas d'ailleurs ce que je suis redevenue depuis que j'ai été forcé de quitter symboliquement cette société ? Un animal humain, un humain animal, un être misérable dont la seule quête se réduit à la satisfaction de ses besoins primaires (se nourrir; dormir; avoir chaud).

Le sentiment de honte n'existe plus. Peu importe la façon dont "les autres" me regarderont, me jugeront ou m'ignoreront lorsque je tendrai la main, je n'ai plus la moindre estime pour ma personne. Oui, "les autres". Voilà comment j'appelle l'espèce à laquelle j'appartenais jadis. "Les autres". Ceux qui sont différents de moi, ceux qui constituent une race autre, supérieure à la mienne. Ceux qui ont encore une vie, de l'espoir, des familles, des amis, des projets. Ceux qui connaissent l'amour d'un proche, le confort d'un foyer, la satisfaction lors de la dégustation d'un plat, le bonheur en fait. Ce sentiment dont je ne sais plus rien. Ce sentiment qui m'apparait si lointain, qui est devenu progressivement totalement étranger dans mon horizon et qui, certainement, n'apparaitra plus jamais à moi.
En effet, l'espoir est un mot qui ne fait désormais plus partie de mon langage. Je vis pour survivre, je vis parce que je n'ai pas le choix. Parce que chaque matin, malheureusement, je me réveille. Je n'ai rien demandé à qui que ce soit et pourtant je suis là dans ce monde, à ramper, remplie de toutes mes souffrances, torturée par ma vie animale que je hais au plus haut point.

Les plus courageux d'entre-nous ont su franchir le pas. Ils évoluent désormais dans un autre royaume après avoir réussi à s'ôter cette existence si misérable. Mais moi je suis trop lâche pour le faire et pourtant, que ne souhaiterais-je pas que la mort m'envahisse. Je ne saurais exprimer l'intensité de ma tristesse lorsque je constate au réveil que tout ceci n'était pas un rêve, que c'est ma réalité qui est ainsi faite, que cette souffrance est réelle et va continuer au moins un jour de plus. Je n'ai même plus de larmes pour pleurer, je fini par croire que les humains ont un stock de larmes limité et que j'ai usé l'intégralité du mien.

Et puis cet anonymat, comment ne pas l'évoquer. J'existe de façon anonyme sans que personne ne le sache. Lorsque je vais enfin mourir (le plus tôt étant le mieux), ne subsistera aucune trace de mon existence, personne ne saura que j'ai jamais foulé cette terre. Mon passage sur terre aura été vain, inutile comme ce que je suis. Heureusement je n'ai pas souvent l'occasion de me poser ces questions, cela demande du temps et ce n'est pas facile lorsque l'on a faim et froid. Or mon temps est le plus souvent consacré à ma quête première : manger; boire; me réchauffer. Je n'ai donc plus le temps de penser. Comme je l'ai dit je suis un animal, perdu dans un univers étranger dans lequel je me retrouve enfermé en prison. Une prison que j'aimerais tant quitter mais sans que je ne sache comment faire.
 
Dire qu'auparavant j'avais une vie, que j'avais des amies, que des gens m'aimaient, que j'aimais des gens, que je comptais pour certains, que je disposais d'un confort dont je négligeais l'importance. Je me plaignais sans cesse à la moindre contrariété alors que ma vie était celle d'une princesse en comparaison avec ma vie actuelle. J'avais tout pour moi mais je n'étais jamais satisfaite, j'avais tout mais je pensais toujours n'avoir rien. Je ne voyais plus toutes les richesses qui étaient les miennes. Richesses matérielles, affectives, relationnelles. C'est lorsque j'ai tout perdu que j'ai enfin réalisé la chance qui était la mienne mais pourquoi faut-il toujours attendre que l'on perde quelque chose pour se rendre compte de la chance que l'on avait de pouvoir disposer de cette "chose".
 

Hibou57

Comme-même (tm)
VIB
Touchant
aussi Tellement Triste

mais ça va si vite
ça peut arriver subitement quand on commence à glisser

surtout les femmes sdf sont les +vulnérables
on peut deviner pourquoi

mam
Elles sont surtout les plus aidées.

Quand on accuse les hommes SDF de tous êtres des violeurs, c’est sûr que ça n’exprime pas une envie de les aider autant. Faut bien inventer un prétexte à la différence de traitement, quitte à vomir sur des centaines de milliers d’innocents; le gynocentrisme n’est pas à ça près, ils attend bien que les hommes se sacrifient pour les « femmes ».

En marge, c’est tellement moins dangereux pour les hommes d’être à la rue, qu’il en meurt des centaines chaque année.
 
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