L’histoire de l’immigration..programmes scolaires

L’histoire de l’immigration disparaît des programmes de lycée ?

*15 OCT. 2018 PAR LAURENCE DE COCK ÉDITION : AGGIORNAMENTO HISTOIRE-GÉO

Le SNES vient de mettre en ligne l’intégralité des projets de programmes d’histoire du lycée destinés à accompagner la réforme. C’est une régression comme on en avait rarement connue. L’histoire de l’immigration disparaît des programmes scolaires. Je reviendrai ultérieurement sur les modalités d’écriture de ces textes mais je souhaite, dans l’urgence, alerter ici sur l’un des problèmes qui me semble absolument majeur et tellement symptomatique : la disparition pure et simple d’un thème que l’on savait déjà sous le feu de la critique mais dont on avait admis malgré toute la légitimité dans l’histoire à transmettre aux enfants.
J’avais déjà consacré un billet à cette question en montrant comment elle avait été débattue pour les précédents programmes. Je me permets donc ici un bref retour sur l'histoire de l’intégration de ce thème dans l’enseignement.
Les premiers travaux d’historiens sur l’immigration sont finalement assez récents puisqu’il a fallu attendre des années 1980 pour que cela fasse l’objet de thèses. On peut citer ceux, pionniers, d'Yves Lequin sur les immigrés lyonnais (1977) ou de Gérard Noiriel sur le bassin de Lorraine (1984). Ces travaux relevaient plutôt de l’histoire sociale. A leur suite, un large panel d’historiens se constitue et l’histoire des immigrations européennes puis coloniales et postcoloniales devient non pas centrale mais communément admise comme un objet de recherche. On y passe au crible les questions de l’accueil, des droits, des discriminations etc. La diffusion récente du documentaire Histoire(s) d’une nationsur le service public, ainsi que l’existence d’un musée de l’histoire de l’immigration prouvent à quel point cette histoire occupe une place importante dans la mémoire nationale.
A l’école, la question de son enseignement s’est posée assez rapidement après ces premières recherches. Plusieurs travaux en éducation ont été consacrés à ce sujet : ceux de Benoît Falaize, Françoise Lorcerie, Valérie Lanier ainsi que ma propre thèse qui interroge l’articulation entre l’enseignement de l'histoire de l'immigration et le fait colonial. Au milieu des années 1980, c’est le ministre Chevènement lui-même qui commande à l’historien Jacques Berque un rapport sur l’école et l’immigration. Le rapport insiste sur la nécessité d'enseigner l'histoire de l'immigration en tant que "cultures d'apport" disait-il. Même si tout cela reste lettre morte – pour des raisons de dysfonctionnements administratifs plus qu’idéologiques d’ailleurs -, les responsables politiques ne lâchent pas cette question qui, au niveau institutionnel, est régulièrement relancée par le CNP (Conseil National des programmes 1989-2005) et qui reste portée dans l’espace public par quelques historiens dont Suzanne Citron et, plus tard, Benjamin Stora. Une question de gauche ? Pas vraiment. Par exemple, pour les programmes de collège précédents, écrits entre 2006 et 2008, la lettre de cadrage de Xavier Darcos insiste particulièrement sur l’histoire de l’immigration. De même, c’est Luc Ferry, lorsqu’il présidait le CNP qui revenait sans cesse sur l’importance de ces enjeux. Tout cela est assez logique : dans les années 1990-2000, l’obsession est celle de l’intégration, il fallait insister sur la France comme « terre d’accueil ». Les résultats furent assez payants même si tout cela pouvait être très largement amélioré. Pour commencer, cette histoire est mentionnée dans la plupart des manuels scolaires pour traiter des périodes de l’industrialisation au XIXème siècle ou des dites « Trente Glorieuses ». Pour les programmes, il faut attendre le début des années 2000 pour l’école primaire (2002) et le lycée (2003). Si elle disparaît en primaire en 2008, elle entre ensuite au collège et n’avait jamais disparu du lycée. En 2010, elle entre même dans le programme de seconde qui consacre une place importante à l’immigration européenne du début du XXème siècle, notamment italienne.
 
On peut parler pour cette question de « contenu d’enseignement » sous vigilance politique, c’est-à-dire que les responsables des programmes vont se montrer particulièrement précautionneux pour ne froisser personne. C’est pourquoi nous étions quelques-uns à pointer régulièrement les maladresses de la formulation dans les programmes, les manques de ci et de ça ; tandis que d’autres voyaient déjà dans l’histoire de l’immigration un gage à une « histoire compassionnelle » à l’égard des populations immigrées. Mais je dois avouer que je n’aurais jamais imaginé sa disparition pure et simple. Et je dois dire que cela me paraît être un signe absolument délétère de main tendue à tous les contempteurs de la diversité culturelle. Je n’ose y voir une commande politique ; comment est-ce possible, à l’heure où l’accueil des réfugiés est devenue une question mondiale majeure, humaine, terrible ; de supprimer purement et simplement l'étude de l’épaisseur historique de l'immigration, l'analyse des résurgences de la xénophobie, celle des mécanismes d’accueil et de rejet ?
Il n’est pas trop tard. Les programmes sont mis en discussion au CSP à partir d’aujourd’hui. Nous pouvons demander à ses membres d'imposer le rétablissement de cette histoire dans l’ensemble des classes du lycée. Il en va de la reconnaissance d’une histoire commune dans laquelle des millions d’enfants (issus de l’immigration ou non) peuvent trouver les raisons de leur co-présence dans nos classes. Il en va aussi d’une fidélité aux avancées de la recherche ; enfin, il en va de la compréhension des mécanismes de discriminations qui gangrènent nos sociétés. Occulter cette histoire est un signe politique des plus inquiétants.
L'AUTEUR
LAURENCE DE COCK
Professeure d'histoire-géographie
Paris

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