Au début du mois de mars, dans le centre du Maroc, deux homosexuels ont été sauvagement agressés par un groupe d'hommes. Ils ont été arrêtés par la police alors que les responsables des violences étaient laissés libres. L'une des victimes a été condamnée à quatre mois de prison ferme. Deux des agresseurs ont été condamnés à deux mois de prison avec sursis. La deuxième victime doit être jugée le 4 avril.
Si j'avais été un homme à Beni Mellal, par Leïla Slimani
On a tous joué, un jour, à se demander, «qu’aurais-je fait si j’étais né en 1939 à Berlin?», «Comment aurais-je agi en 1994 à Kigali ?» Moi, je me demande ce que j’aurais fait si, au lieu de naître dans un quartier bourgeois de Rabat, j’étais né homosexuel dans la petite ville de Beni Mellal ? Si une nuit, alors que j’étais avec un homme, d’autres hommes étaient entrés ? Des hommes qui en voulaient à ma peau, des garçons assoiffés de sang, prêts à me réduire en miettes. Et pendant qu’ils m’auraient frappé, humilié, filmé, insulté, pendant ce temps, j’aurais pensé que je n’étais pas seulement victime, mais qu’aux yeux de la loi j’étais aussi coupable. Et que la police, qui viendrait peut-être arrêter mes bourreaux, m’arrêterait moi aussi et qu’en riant, sans doute, ils me traîneraient en prison.
Et si, au lieu d’avoir des parents qui m’ont appris qu’aucune religion ne justifie la haine, la violence, le lynchage des filles de joie et la mise au ban des mécréants, j’avais été tueur de pédés, père la morale, misogyne sûr de son droit ? Si, comme certains de mes concitoyens, j’étais né persuadé qu’il faut enfermer les débauchés, les adultérins, les femmes non mariées et non vierges, et les homosexuels? Si j’avais haï l’Occident, les juifs, les lesbiennes et les femmes libres ? Si, au lieu de naître fille dans une famille où mon corps m’appartenait, où il était acquis que ce corps était digne d’être respecté, d’aimer et de jouir, si au lieu de ça j’avais dû me cacher pour recevoir un baiser, me cacher pour me débarrasser de l’enfant qui s’y était niché mais dont je ne pouvais assurer l’éducation?
Bien sûr, on m’accusera de ne pas aimer mon pays, de ne pas respecter ma religion et mon identité. On me dira qu’on ne transige pas avec la débauche, que le Maroc n’est pas la Suède, et que la condamnation du stupre, de l’amour libre et des relations entre gens de même sexe fait partie de nos fondamentaux. D’autres, depuis leurs bureaux de facultés françaises, m’accuseront peut-être de diffuser des «clichés orientalistes» et de nourrir un discours islamophobe. A ceux-là, je dirai d’aller voir dans les prisons croupir les femmes adultères et les homosexuels, dont les peines ne sont pas des fantasmes que j’ai inventés.
http://www.liberation.fr/debats/201...cial&utm_source=Facebook#link_time=1459437894
Si j'avais été un homme à Beni Mellal, par Leïla Slimani
On a tous joué, un jour, à se demander, «qu’aurais-je fait si j’étais né en 1939 à Berlin?», «Comment aurais-je agi en 1994 à Kigali ?» Moi, je me demande ce que j’aurais fait si, au lieu de naître dans un quartier bourgeois de Rabat, j’étais né homosexuel dans la petite ville de Beni Mellal ? Si une nuit, alors que j’étais avec un homme, d’autres hommes étaient entrés ? Des hommes qui en voulaient à ma peau, des garçons assoiffés de sang, prêts à me réduire en miettes. Et pendant qu’ils m’auraient frappé, humilié, filmé, insulté, pendant ce temps, j’aurais pensé que je n’étais pas seulement victime, mais qu’aux yeux de la loi j’étais aussi coupable. Et que la police, qui viendrait peut-être arrêter mes bourreaux, m’arrêterait moi aussi et qu’en riant, sans doute, ils me traîneraient en prison.
Et si, au lieu d’avoir des parents qui m’ont appris qu’aucune religion ne justifie la haine, la violence, le lynchage des filles de joie et la mise au ban des mécréants, j’avais été tueur de pédés, père la morale, misogyne sûr de son droit ? Si, comme certains de mes concitoyens, j’étais né persuadé qu’il faut enfermer les débauchés, les adultérins, les femmes non mariées et non vierges, et les homosexuels? Si j’avais haï l’Occident, les juifs, les lesbiennes et les femmes libres ? Si, au lieu de naître fille dans une famille où mon corps m’appartenait, où il était acquis que ce corps était digne d’être respecté, d’aimer et de jouir, si au lieu de ça j’avais dû me cacher pour recevoir un baiser, me cacher pour me débarrasser de l’enfant qui s’y était niché mais dont je ne pouvais assurer l’éducation?
Bien sûr, on m’accusera de ne pas aimer mon pays, de ne pas respecter ma religion et mon identité. On me dira qu’on ne transige pas avec la débauche, que le Maroc n’est pas la Suède, et que la condamnation du stupre, de l’amour libre et des relations entre gens de même sexe fait partie de nos fondamentaux. D’autres, depuis leurs bureaux de facultés françaises, m’accuseront peut-être de diffuser des «clichés orientalistes» et de nourrir un discours islamophobe. A ceux-là, je dirai d’aller voir dans les prisons croupir les femmes adultères et les homosexuels, dont les peines ne sont pas des fantasmes que j’ai inventés.
http://www.liberation.fr/debats/201...cial&utm_source=Facebook#link_time=1459437894