Je m’appelle elise et j’emmerde eric zemmour

bendirman

Bladinaute averti
- Je suis née en mars 1962 à Marseille et mon prénom à l’état civil est Elisabeth, un prénom hébraïco-biblique qui signifie « le serment de Dieu » (Elisheba). Au nom de tous les miens, Françaises et Français depuis plusieurs siècles, j’ai deux ou trois choses à dire à M. Zemmour.
(…).
Oui, vous avez bien lu. Alors que la banquise fond à la vitesse de la lumière, qu’un sixième continent constitué de plastique flotte sur l’océan, qu’une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint, que des millions d’enfants ne mangent pas à leur faim, que des centaines d’hommes et de femmes parfois mineures meurent noyées dans la Méditerranée en fuyant la guerre, et que le nombre de cas de cancers a été multiplié par trois dans ma région de naissance bien aimée… Ce qui fait pleurer M. Zemmour, c’est la défaite de Napoléon au fond de la glaciale Russie en 1812.

Et c'est cet individu qui est invité partout pour distiller son fiel et, surtout, délivrer ses certificats de francité dont nous nous battons la moule, car nous avons mieux à faire que nous masturber avec la patrie comme cet obsédé identitaire, qui s’est rendu coupable de tant de viols de l’histoire de France que l’Hexagone en a encore mal au *** (oui, j'aime Rabelais, ce génie français).

Je suis en train d’écrire un livre sur mon identité, alors autant vous dire que j’en sais long maintenant sur mes origines. Et la génétique est formelle : je suis celte depuis tant de générations que ce n’est même plus la peine de lutter. Ma souchitude est attestée par les gènes, la généalogie, la géographie, la religion, les noms et les coutumes de ma famille à un point qui me donne vraiment envie de porter des menhirs sur mon dos et de me faire pousser la moustache (avec la ménopause, on peut toujours espérer !).

Quand Zemmour ose dire ce qu’est la France, de son point de vue, c’est-à-dire un délire de nationaliste xénophobe au petit pied, je suis révoltée de voir que seul.es lui répondent les Français.es aux origines manifestement mêlées (bravo et merci), alors que les personnes blanches de peau comme moi, qui ne se feront jamais arrêter pour un contrôle au faciès, qui auront un appartement facilement, dont le CV passera sur le haut de la pile, qu’on n’interrogera jamais sur leurs origines, qui ne se feront jamais regarder de travers en raison de leur orientation sexuelle ou de leur handicap – ces personnes-là ne vacillent pas sur leurs celtitudes et restent, pour mon goût, un peu trop silencieuses.

Elle et mon père appartenaient à cette génération de baby-boomers soixante-huitards que Zemmour fustige dans ses livres et sur tous les plateaux où il est invité. Je l’emmerde et je les admire d’avoir tenté de changer le monde, même s'ils n'y sont pas toujours arrivés. Je les admire d’autant plus que leurs parents à eux, appartenaient plutôt (mais heureusement pas tous) à cette France rance dont on n'a pas beaucoup de raisons de s'enorgueillir.

Du côté de mon père, ils étaient d’extrême-droite, catholiques, tellement confits en dévotion qu’ils ont envoyé mon père en internat religieux quand il avait seulement 8 ans. Je vous laisse imaginer ce qui lui est arrivé, on en parle tous les jours dans les journaux. Pour lui faire passer le goût de se défendre de ces différents abus, on l'a exorcisé à deux reprises. Chaque fois que j'entends l'expression "les racines chrétiennes de la France", je pense à cet enfant terrorisé par le goupillon qui a cessé de croire en Dieu comme on se coupe la jambe : sans possibilité que ça repousse jamais.

Quant à mon grand-père, il avait beau s’agenouiller devant le téléviseur quand le pape y apparaissait, ou boire l’eau des malades dans lequel ils avaient trempé à Lourdes, sa vision de la France imprégnée de pétainisme ne vous donnerait certainement pas envie de chanter la Marseillaise (ni, d’ailleurs, le Te Deum)-.

ELISE THIEBAUT in Mediapart.fr (extraits)
 
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