Maroc : Un journaliste critique poursuivi pour espionnage Emprisonnement abusif, accusations fragiles et soupçons de manipulation politique

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Bladinaute averti
(Washington) – Les autorités marocaines ont emprisonné un activiste et journaliste indépendant, Omar Radi, pour espionnage et d’autres accusations qui semblent pauvrement étayées, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. L’enquête judiciaire dont il fait l’objet, qui doit démarrer le 22 septembre 2020, laisse craindre une instrumentalisation du système judiciaire par les autorités, pour réduire au silence une des rares voix critiques subsistant encore dans les médias marocains.


Radi, 34 ans, en prison depuis le 29 juillet, risque jusqu’à dix ans de prison s’il est reconnu coupable. Les accusations d’« espionnage » se fondent sur son travail journalistique, ainsi que des recherches qu’il a effectuées à la demande de clients basés à l’étranger. Radi a nié toutes les accusations portées contre lui, y compris une accusation de viol découlant d’une relation qu’il qualifie de consensuelle. Son accusatrice, qui s’est exprimée publiquement, a le droit d’être entendue et respectée. Au même titre que Radi, elle a droit à une procédure judiciaire équitable.


« Désormais, les poursuites apparemment truquées contre des journalistes critiques figurent en bonne place dans le manuel des autorités marocaines pour étouffer toute contestation », a déclaré Eric Goldstein, directeur par intérim de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les accusations d’espionnage, ainsi qu’une cascade d’autres charges, semblent concoctées pour faire tomber Omar Radi. »
 
Défenseur des droits humains et journaliste d’investigation primé, Radi a publié plusieurs enquêtes sur la corruption dans le milieu politique et les expropriations de terrains par des spéculateurs. Il a aussi collaboré avec divers médias marocains et internationaux, comme correspondant ou pigiste.


Human Rights Watch s’est entretenu avec Radi avant qu’il ne soit arrêté, ainsi qu’avec son père, ses deux avocats, trois de ses collègues, quatre témoins de deux incidents au sujet desquels il est poursuivi, et plusieurs membres de son comité de soutien. Human Rights Watch a également consulté des articles de médias en ligne réputés proches des services de sécurité, dont certains semblaient exposer le dossier présenté au juge d’instruction.


Ce n’est pas la première fois que les autorités ont Radi dans leur collimateur. Un tribunal l’avait brièvement emprisonné pour un tweet critiquant un juge en décembre 2019. En juin, Amnesty International a rapporté que le téléphone cellulaire de Radi avait été infiltré par un puissant logiciel espion qui, d’après son concepteur, n’est vendu qu’aux gouvernements. Les autorités marocaines ont farouchement nié l’accusation, bien qu’un tribunal ait approuvé, fin 2017, la mise sur écoute du téléphone de Radi.


À partir du 26 juin 2020, la police judiciaire, la gendarmerie et des procureurs ont convoqué Radi pour douze séances d’interrogatoire de six à neuf heures chacune pour répondre de multiples accusations, y compris avoir prétendument fourni des « services d’espionnage » à des gouvernements, entreprises et organisations étrangers. Des médias proches des services de sécurité, qui se spécialisent dans la calomnie des opposants, ont publié de nombreux articles insultant Radi, ses parents, ses amis et ses défenseurs, révélant des détails de sa vie privée et pronostiquant (sans se tromper) la date de son arrestation. Un de ces articles, qui divulguait les détails de l’enquête policière sur Radi, a été brièvement accessible en ligne avant d’être supprimé. Human Rights Watch s’en est procuré une version PDF.


Driss Radi, le père d’Omar, a déclaré à Human Rights Watch que les interrogatoires policiers intensifs et la féroce campagne de diffamation subis par son fils, relevaient de la « torture psychologique ». Il a produit un certificat médical, signé par un psychiatre le 28 juillet, attestant que la santé mentale d’Omar nécessitait un arrêt de travail de 30 jours avec effet immédiat. La police l’a arrêté le lendemain.


Radi a été placé en détention provisoire le 29 juillet par le juge d’instruction, qui a justifié cette mesure par « le caractère dangereux des actes criminels, l’atteinte à l’ordre public et la présence de moyens de preuve », ont rapporté ses avocats à Human Rights Watch. La défense a contesté cette décision le 2 septembre, arguant que la détention provisoire devait être réservée aux cas exceptionnels, conformément à la Constitution et aux lois marocaines, ainsi qu’au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le juge a rejeté la demande de liberté provisoire de Radi le 3 septembre.


Le dossier d’accusation contre Radi se fonde apparemment sur des échanges de SMS avec un diplomate étranger, des contrats qu’il a signés avec des sociétés de consulting étrangères pour effectuer des recherches au Maroc, ainsi que des recherches journalistiques sur l’impact social des expropriations de terres collectives, pour lesquelles il avait obtenu une bourse.


En se basant sur les conclusions de la police, le procureur avance que les activités de Radi violent l’article 191 du code pénal car elles « portent atteinte à la sûreté extérieure de l’État [en entretenant] avec les agents d’une autorité étrangère des intelligences ayant pour objet ou ayant eu pour effet de nuire à la situation diplomatique du Maroc ». Les activités de Radi, estime le procureur, permettent également de le poursuivre en vertu de l’article 206 pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’État [en recevant] d’une personne ou d’une organisation étrangère [une rémunération pour] une activité ou une propagande de nature à ébranler la fidélité que les citoyens doivent à l’État et aux institutions du peuple marocain ».
 
Les accusations d’espionnage et d’atteinte à la sûreté de l’État ne semblent fondées sur aucune preuve que Radi ait fait autre chose que des travaux journalistiques ou de recherche sur des entreprises (« due diligence ») ordinaires, et maintenir le contact avec des diplomates, comme le font beaucoup de journalistes et de chercheurs de manière routinière. Il n’y a apparemment aucun élément prouvant qu’il ait fourni des informations secrètes à quiconque.


Les accusations de viol et d’attentat à la pudeur contre Radi, elles, sont fondées sur une plainte déposée le 23 juillet par une femme travaillant pour le même site d’information que lui. Radi affirme que la relation sexuelle, qui avait eu lieu dix jours plus tôt, était consensuelle. Toutes les plaintes pour agression sexuelle doivent donner lieu à des enquêtes sérieuses, et méritent punition si la culpabilité est formellement prouvée. Cela étant dit, il y a au Maroc des précédents de journalistes indépendants, activistes et politiciens arrêtés, jugés ou emprisonnés suite à des accusations douteuses de délits sexuels.


Dans le passé récent, le Maroc a fait emprisonner d’autres journalistes connus en vertu d’accusations sans lien avec leur travail, de même que plusieurs commentateurs sur Internet, activistes et artistes, condamnés pour des délits d’expression sur les médias sociaux.


« Le Maroc a un long passif en termes de poursuites pénales contre des opposants pacifiques, mais l’accumulation des charges contre Omar Radi bat tous les records », a conclu Eric Goldstein. « Les autorités devraient abandonner toutes les accusations infondées contre lui, le libérer en attente de son procès, et garantir des procédures équitables et transparentes, pour lui et toutes les parties présentes au tribunal.


Radi, qui est détenu à la prison d’Oukacha à Casablanca depuis son arrestation le 29 juillet, comparaîtra devant un juge d’instruction le 22 septembre, sous les accusations d’« atteinte à la sûreté extérieure de l’État [en entretenant avec des agents étrangers] des intelligences ayant pour objet de nuire à la situation diplomatique du Maroc », d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’État [en recevant une rémunération étrangère] pour [...] ébranler la fidélité que les citoyens doivent à l’État et aux institutions du peuple marocain », d’« attentat à la pudeur avec violences », de viol, d’infraction au code général des impôts marocain et d’évasion fiscale.
 
Détention provisoire


Le 2 septembre, les avocats de Radi ont demandé que leur client soit placé en liberté provisoire en attendant son procès. Ils ont avancé que la détention provisoire devait rester exceptionnelle, conformément à la loi, et que ce type d’exception ne pouvait s’appliquer à Radi, qui fait l’objet d’une interdiction de quitter le territoire et s’est engagé à participer pleinement au processus judiciaire. Le 3 septembre, le juge d’instruction a rejeté la demande de libération au motif que « les actes [pour lesquels Radi est poursuivi] sont dangereux, l’enquête n’en est qu’à ses débuts [et sa] mise en liberté pourrait entraver les procédures d’instruction », a rapporté la défense à Human Rights Watch. La défense a fait appel de la décision au motif qu’elle était insuffisamment motivée. Le verdict d’appel est attendu le 23 septembre.


En l’absence de justification conséquente de son placement en détention provisoire, Radi devrait être immédiatement libéré en attendant son procès, a déclaré Human Rights Watch.


Accusations d’espionnage et d’atteinte à la sûreté de l’État


Le 2 juillet, un communiqué lu par le porte-parole du gouvernement, lors d’une conférence de presse tenue après une réunion gouvernementale, a annoncé que Radi était « soumis à une enquête judiciaire pour atteinte présumée à la sécurité de l'Etat, en raison de ses liens avec un officier de liaison d'un pays étranger ». Ce communiqué officiel a donné le ton à une campagne de diffamation contre Radi, qui a duré des mois, sur des sites d’information liés aux services de sécurité marocains. Ces sites ont divulgué des détails sur l’« agent secret étranger » en question, et ont accusé sans équivoque Omar Radi d’être un « espion ».


Fournir des informations à des gouvernements ou entités étrangers peut constituer un délit pénal reconnu, en fonction de la nature des informations, de leur destinataire et de l’intention du fournisseur. Mais dans le principe, le fait de recueillir des informations qui ne sont pas classées secrètes sur des situations sociales, des actions du gouvernement ou des activités commerciales, et de les transmettre à d’autres parties, via n’importe quel canal, est protégé par le droit internationalement reconnu à rechercher, recevoir et répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, d’après le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Maroc en 1979. Même si de telles informations s’avèrent peu flatteuses pour les détenteurs du pouvoir, ou si leur destinataire les utilise pour les critiquer, cela ne justifie pas de criminaliser le fait de les recueillir, ou de les partager.


De plus, des accusations telles que l’« atteinte à la situation diplomatique [d’une nation] » et l’« ébranlement de la fidélité que les citoyens doivent à l’État et aux institutions » sont trop floues et risquent de pénaliser des activités légitimes, comme la libre expression. Des infractions aussi vagues sont une porte ouverte à l’interprétation arbitraire des juges, à tel point que personne ne peut prédire raisonnablement quels actes seront considérés comme des crimes, a déclaré Human Rights Watch.

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