MICHEL ONFRAY : l'art d'être français - Descartes

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DESCARTES

Voici une autre roche. C’est celle que taille Mr Descartes et qui nous permet de disposer de | l'épithète «cartésien». On dit des Français qu’ils le seraient. Là aussi, là encore, demandons au dictionnaire ce que signifie ce mot: les deux premiers sens disent : «Relatif à Descartes, à ses théories, à sa philosophie» et : « Partisan de la philosophie de Descartes». Mais c'est ce troisième sens qui m'importe ici: «Esprit cartésien : qui présente les qualités intellectuelles considérées comme caractéristique de Descartes.» Et de renvoyer sèchement, sans plus de détails, à : «clair,logique, méthodique, rationnel, solide » — les antonymes, qui en disent autant sur ce mot, sont : confus, mystique,obscur. Comme souvent avec les dictionnaires, si l’on connaît le sens du mot, on en comprend la définition; mais si on l’ignore, on ne se trouve guère avancé ! Car quiconque cherche à savoir ce que signifie le mot «cartésien » ignore par hypothèse ce que sont «les qualités intellectuelles considérées comme caractéristiques de Descartes», sinon il ne lui viendrait pas à l'esprit de consulter le Robert...

Reprenons les choses au début.
Descartes passe pour le premier philosophe français de la modernité : il invente la raison critique. Mais cette proclamation est celle des professeurs, car pourquoi pas Montaigne qui, un siècle avant lui, publie le premier grand livre de philosophie française qui va rendre possible la philosophie européenne? Parce que Montaigne propose une sagesse sans méthode et Descartes une méthode sans sagesse; or la corporation philosophante préfère un fabricant de méthode à un apôtre de sagesse. Il se fait que cette méthode passe pour qualifier l'esprit français. Quelle est-elle?
Descartes n’est pas un professeur de philosophie, cette corporation fut celle des scolastiques avant lui, elle sera après lui celle des scolastiques à venir en Allemagne au XIX° siècle avec l’idéalisme allemand de Kant, Hegel et quelques autres, dont Heidegger. Il était soldat et ne faisait nullement profession de philosophie.
Pour en finir avec la fausse méthode scolastique qui a sévi pendant mille ans et produit tant de choses inutiles, il se propose de partir de lui-même avec le projet d'obtenir une vérité sur laquelle, première pierre taillée de son édifice intellectuel, il entend bâtir l'édifice d’une pensée rationnelle.
Il se propose de faire table rase de tout son savoir passé, en prenant bien soin d'épargner «la religion de son roi et de sa nourrice » autrement dit, de ne toucher ni au catholicisme ni à la monarchie. Prudent, il active le doute cher aux philosophes pyrrhoniens de l'Antiquité. Il faut douter, mais on ne peut douter qu’on doute quand on doute, écrit-il. Penser, c’est être — ce que dit son fameux : «Je pense, donc je suis.» Voilà la première vérité et elle ne doit rien à Dieu qu’elle laisse là où il est — car Descartes y croit et donne même la preuve dite ontologique de son existence en affirmant : qui d'autre que Lui pourrait mettre en chacun l’idée et la vérité de Lui, sinon Lui ?
A partir de cette première vérité, il propose de rechercher ce qui peut être dit vrai et le voit dans ce qui apparaît comme clair et distinct. Il s’agit de bien conduire sa raison selon les règles de la méthode : autrement dit ne rien prendre pour vrai qui n'ait été prouvé comme tel. Bien juger, distinguer le vrai du faux, savoir user correctement de sa raison, procéder avec méthode. Descartes ne prétend pas proposer une méthode, mais sa méthode : il se fait qu’elle deviendra la méthode d’une raison conduite indépendamment des impératifs de la religion. Montaigne laïcise la pensée et Descartes propose une méthode pour donner à la Raison les pleins pouvoirs, ce qui définit l'esprit cartésien. C'est ce qui constitue le cartésianisme et qui va permettre à la philosophie française de s'émanciper petit à petit des oukases catholiques et de la tyrannie de l’Église. Ce cartésianisme, via une cohorte de philosophes, dont des penseurs matérialistes, constituera la philosophie des Lumières
 
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