Netanyahou va bientôt se rendre compte qu’Israël a perdu les États-Unis, mais aussi le reste du monde.

«Gaza est en feu ; l’État juif ne cédera pas», proclame avec enthousiasme le ministre israélien de la Défense, Katz : «L’armée israélienne frappe de poing de fer les infrastructures terroristes». En fait, au cours des dernières semaines, Israël a frappé des «infrastructures» en Cisjordanie, en Iran, en Syrie, au Liban, au Yémen et en Tunisie, en plus de Gaza.

Le projet dit «d’ordre fondé sur des règles» (s’il a jamais réellement existé au-delà du discours) a été déchiré au profit d’un sionisme violent : génocide, attaques sournoises sous le couvert de négociations de paix en cours, assassinats et décapitation des dirigeants politiques. C’est une guerre sans limites, sans règles, sans loi et au mépris total de la Charte des Nations unies. Les limites éthiques, plus particulièrement, sont rejetées comme un simple «relativisme moral».

Quelque chose de profond est en train de remodeler la politique étrangère israélienne. Cette transformation doit être comprise comme un revirement au cœur même de la pensée sioniste (un voyage de Ben Gourion à Kahane), comme l’a écrit Yossi Klein.

La stratégie d’Israël depuis plusieurs décennies continue de reposer sur l’espoir de parvenir à une «déradicalisation» chimérique et transformatrice des Palestiniens et de la région dans son ensemble, une déradicalisation qui rendra «Israël sûr». C’est l’objectif «sacré» des sionistes depuis la création d’Israël.

Le ministre israélien des Affaires stratégiques, Ron Dermer, affirme qu’une telle mutation radicale de la conscience ne pourra venir que du bombardement des opposants jusqu’à leur soumission totale. (C’est la leçon qu’il tire de la Seconde Guerre mondiale). Un aspect – la politique étrangère d’Israël – est donc clair : il s’agit d’une «guerre de jungle».

Mais il y a un autre aspect, peut-être plus troublant : ces normes et principes éthiques qu’Israël cherche ouvertement à détruire sont, en dernier ressort, des normes et des valeurs proclamées par les États-Unis. Il est frappant de constater que les États-Unis ont abandonné leur éthique traditionnelle en ce qui concerne Israël. Et plutôt que de critiquer ou de chercher à limiter le recours par Israël à des actions militaires qui enfreignent ces normes, l’administration Trump les imite : attaques surprises sous couvert de pourparlers de paix, tentatives de décapitation et frappes de missiles contre des navires inconnus au large du Venezuela, vaporisant l’équipage.
 
Les États-Unis agissent ouvertement, faisant fi, comme Israël, du droit international et des conventions.

Il semble que les principaux acteurs de l’establishment américain favorisent de plus en plus les stratégies militaires d’Israël et s’éloignent même de l’éthique morale de la «guerre juste», pour se rapprocher de l’éthique hébraïque de «Amalek». Cela revient à mettre à jour le «logiciel» moral occidental avec la «justice» alternative de la guerre absolue.

L’État d’Israël a-t-il un avenir ? Israël mène actuellement une deuxième Nakba à Gaza et en Cisjordanie, la société juive restant prisonnière de la répression et du déni, tout comme en 1948. L’historien israélien Ilan Pappe a écrit en 2006 dans son ouvrage fondateur sur la Nakba de 1948 l’importance fondamentale de «sortir [les événements de 1948] de l’oubli» :

«Une fois la décision prise [le 10 mars 1948], il a fallu six mois pour mener à bien la mission. À son terme, plus de la moitié de la population indigène de Palestine, soit près de 800 000 personnes, avait été déracinée, 531 villages… détruits et onze quartiers urbains vidés de leurs habitants. Le plan (…) et surtout sa mise en œuvre systématique au cours des mois suivants, constituaient clairement une opération de nettoyage ethnique, considérée aujourd’hui par le droit international comme un crime contre l’humanité (…)

L’histoire de 1948 n’est pas compliquée (…) C’est l’histoire simple mais horrible du nettoyage ethnique de la Palestine, un crime contre l’humanité qu’Israël a voulu nier et faire oublier au monde. Il nous incombe de le sortir de l’oubli, non seulement comme un acte de reconstruction historiographique ou un devoir professionnel grandement retardé, mais aussi comme une décision morale, la toute première étape que nous devons franchir si nous voulons que la réconciliation ait une chance».


J’ai récemment écrit que le documentaire controversé de la cinéaste israélienne Neta Shoshani sur la Nakba de 1948 montrait que les limites éthiques et juridiques israéliennes avaient été effacées dans une vague de sanglants massacres et de viols. Selon Shoshani, la perte totale de l’éthique (il n’y a eu ni reddition de comptes ni justice) a mis en péril la légitimité du projet de fondation de l’État. Elle prévient que si cela se reproduit une deuxième fois – avec la guerre actuelle -, «cela pourrait être la fin d’Israël».

Les commentaires de Shoshani font allusion au traumatisme ressenti par les juifs laïques et libéraux qui voient les normes et le mode de vie de leur société largement laïque et libérale bouleversés par le virage vers les objectifs militaristes et eschatologiques de la droite israélienne. Le ministre des Finances Smotrich a déclaré récemment que le peuple juif vit «le processus de rédemption et le retour de la présence divine à Sion – alors qu’il s’engage dans la «conquête de la terre»».
 
De nombreux juifs européens sont effectivement arrivés dans le nouvel État israélien pour y trouver sécurité et protection, mais ils sont également venus pour participer au projet sioniste en Palestine.

Pour l’instant, Netanyahou affirme bénéficier du soutien «à 100%» de Trump et d’un «crédit illimité» pour le chaos qui règne dans la région. Comme l’écrit Ben Caspit, citant un haut diplomate israélien :

«Le fait que Rubio soit arrivé ici quelques jours seulement après l’attaque [de Doha] et n’ait formulé pratiquement aucune critique – bien au contraire – donne un coup de pouce à l’opération israélienne à Gaza… Israël n’a jamais bénéficié d’une ligne de crédit aussi généreuse et longue de la part d’aucune administration américaine».

Et Trump semble s’éloigner du surnom de «pacificateur mondial» pour se concentrer davantage sur la démonstration de la «grandeur exceptionnelle» de l’Amérique – par le biais de droits de douane, de sanctions ou d’opérations militaires – démontrant ainsi une Amérique, sinon grande, dominante.

Pourtant, les problèmes sont trop évidents : au cours des années précédentes, Israël avait été largement relégué au second plan lors de la Conférence nationale sur le conservatisme américain. Cette fois-ci, l’État juif et ses guerres étaient incontournables. La dernière conférence sur le conservatisme a dégénéré en une «guerre civile» entre les «réalistes» néoconservateurs soutenant Israël et ceux qui demandaient : «Pourquoi ces guerres sont-elles les nôtres ? Pourquoi les problèmes sans fin d’Israël sont-ils à la charge des États-Unis ? Pourquoi devrions-nous accepter [Israël comme faisant partie de] l’«America First» ?», comme l’a déclaré avec véhémence le rédacteur en chef de The American Conservative : «Nous ne devrions pas, ****** !»

La tension au sein du parti républicain est évidente : les partisans de MAGA souhaitent soutenir Trump, mais les grands donateurs et commentateurs juifs, tels que le faucon pro-israélien Max Abrahms, se sont moqués des «isolationnistes MAGA» admirateurs de Tucker Carlson lors de la conférence, qui étaient devenus «fous» dans leur volonté de se désengager du Moyen-Orient.

Trump a averti Netanyahou que le génocide à Gaza faisait perdre à Israël le soutien des républicains, en particulier des jeunes. Néanmoins, Trump n’a pas modifié son soutien indéfectible à Israël (pour une raison quelconque), mais il a pris note de l’«ambiance» qui règne parmi sa base.

Si Trump a effectivement remarqué ce changement, Netanyahou s’en moque. Comme le rapporte Amir Tibon dans Haaretz :

«Si Trump pense que ses commentaires sur la perte de «contrôle sur le Congrès» par Israël vont réveiller Netanyahou, il se trompe. Les Israéliens n’avaient pas besoin de Trump pour savoir que leur pays est en train de perdre la bataille de l’opinion publique mondiale.

Netanyahou et Ron Dermer (…) sont en paix avec la perte du soutien international d’Israël, son isolement accru, les menaces de sanctions à son encontre et les mandats d’arrêt contre ses dirigeants (y compris Netanyahou lui-même). Les deux hommes semblent s’en moquer, et la raison, ironiquement, est précisément celui qui tire la sonnette d’alarme : Donald Trump.

Du point de vue de Netanyahou, tant qu’il a le soutien de Trump, rien de tout cela n’a d’importance».


Les guerres d’Israël ont perdu une génération de jeunes conservateurs américains, et ceux-ci ne reviendront pas. Quelles que soient les circonstances du meurtre de Charlie Kirk, sa mort a libéré le génie de la domination «Israël d’abord» dans la politique républicaine.

Lorsque Netanyahou sortira de sa torpeur, il constatera qu’Israël a perdu l’Amérique (et le reste du monde aussi).

source : Strategic Culture Foundation
 
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