La nature de mon travail me conduit souvent à rédiger des textes, rapports ou dossiers, pour le compte d’organismes ou d’entreprises, dans les deux langues arabe et française. Souvent, on me demande d’écrire d’abord en français, puis de traduire en arabe, partant du principe que la langue de Molière offre une souplesse impossible à trouver en arabe du fait de la complexité et de la redondance de cette dernière.
Souvent, il m’arrive de m’élever contre cette approche car le problème ne réside pas tant dans la langue arabe que dans le style de certains auteurs qui l’emploient dans leurs écrits, et qui d’ailleurs produiront le même effet quelle que soit la langue dans laquelle ils écrivent, arabe, français ou russe. En effet, l’arabe est une très belle langue, qui offre d’immenses attraits et avantages, ainsi qu’ont su le montrer tant d’auteurs d’un bout à l’autre du monde arabe que nous n’aurions pas assez d’espace ici pour les énumérer tous. Ainsi, le débat sur la langue arabe et sa complexité, comparativement au français (mais pourquoi le français précisément ?) et la darija est utile en soi… sauf que la façon dont il est mené me conduit à penser qu’il est très souvent le fait de personnes qui défendent moins la darija que leur propre ignorance de l’arabe.
Les Marocains n’ont jamais eu de problème avec leur darija, une langue qui a permis, permet et permettra encore de belles créations artistiques. En témoigne le très riche patrimoine en arts musical, dramatique ou poétique, entre autres formes artistiques : le malhoun et ses splendides et puissants poèmes, la chanson populaire et ses profondes morales, le théâtre de Taïeb Seddiki, ou de Touria Jabrane, ou encore d’Ahmed Taïeb Laâlej, les grandes fresques musicales populaires de Nass el Ghiwane, de Jil Jilala, deMchaheb… Défendre la darija est donc une bien belle chose, mais les défenseurs savent-ils au moins l’existence de tout ce patrimoine pour comprendre une fois pour toutes que la darija n’a jamais posé problème sur le plan de la communication ou de celui de la création artistique ?…Mais peut-être que ces gens ne connaissent de notre si belle darija que ces expressions nouvelles, généralement casaouies, comme essat (mec), essata (nana), lle3a9a (pognon), le3ya9a (la frime), et bien d’autres encore…
Osons donc dire, aujourd’hui, qu’il n’est définitivement pas sérieux que ce débat si important soit ouvert et lancé aujourd’hui par des gens qui ont suivi leur enseignement fondamental dans les missions étrangères et qui, en conséquence, n’ont jamais eu l’occasion d’étudier vraiment la langue arabe… sachant que l’enseignement en arabe, de la manière dont il est assuré, y compris dans l’école marocaine, doit être revu et repensé. Ces gens qui défendent la darija sont en général les derniers à en maîtriser les subtilités et les finesses au niveau du vocabulaire et de la syntaxe, et ignorent également que la darija n’est pas une, mais qu’elle est plurielle, de la darija gouailleuse de Marrakech à celle plus directe d’Oujda, de la darija de Fès et ses déclinaisons délicieusement andalouses à celle de Tanger à l’accent savoureusement chantant…
Et puis il existe tant de gens qui préfèrent s’exprimer en français pour grimper dans l’échelle sociale car, à leurs yeux, le must est de parler et d’échanger dans cette langue. Pire encore, certaines gens dépassent même le fait de parler français pour « gagner quelques points » en société… alors ils déclarent que non seulement ils maîtrisent la langue française, mais qu’ils ne savent même pas parler en arabe !
Si notre enseignement se vautre aujourd’hui en queue de peloton dans tous les classements internationaux, il serait de mauvaise foi d’imputer cela à la langue arabe car, en effet, et pour être objectif, il est important de considérer que la responsabilité du fiasco éducationnel incombe à la méthodologie de l’enseignement et non à la langue d’enseignement. Oui, l’apprentissage de l’arabe dans notre système éducatif doit être revu et corrigé car elle y est réduite à une langue morte, alors qu’elle est si vivante dans la bouche ou sous la plume de tant d’artistes, écrivains, chanteurs… Oui, lier la langue arabe au Coran et en faire une langue sacrée est une grossière erreur car seul est sacré le texte coranique, et non l’arabe.
Alors donc, cette indigence linguistique que nous connaissons requiert de notre part une profonde réflexion quant à notre relation avec notre langue, nos langues, en l’occurrence l’arabe, la darija, le français, le hassani et l’amazigh… en plus de la nécessaire ouverture sur les autres langues du monde comme l’anglais, l’espagnol ou encore le chinois… Alors rendons grâce à cette diversité qui est la nôtre au lieu de nous attaquer à la langue arabe, moins d’ailleurs pour sa complexité que pour notre ignorance de ses règles.
Soyons fiers et heureux de notre richesse linguistique… le développement ne se décline pas plus en français que le sous-développement n’incombe à l’arabe.
par
Sanaa Elaji
http://www.panorapost.com/non-larabe-nest-pas-une-langue-sous-developpee-par-sanaa-elaji/
Souvent, il m’arrive de m’élever contre cette approche car le problème ne réside pas tant dans la langue arabe que dans le style de certains auteurs qui l’emploient dans leurs écrits, et qui d’ailleurs produiront le même effet quelle que soit la langue dans laquelle ils écrivent, arabe, français ou russe. En effet, l’arabe est une très belle langue, qui offre d’immenses attraits et avantages, ainsi qu’ont su le montrer tant d’auteurs d’un bout à l’autre du monde arabe que nous n’aurions pas assez d’espace ici pour les énumérer tous. Ainsi, le débat sur la langue arabe et sa complexité, comparativement au français (mais pourquoi le français précisément ?) et la darija est utile en soi… sauf que la façon dont il est mené me conduit à penser qu’il est très souvent le fait de personnes qui défendent moins la darija que leur propre ignorance de l’arabe.
Les Marocains n’ont jamais eu de problème avec leur darija, une langue qui a permis, permet et permettra encore de belles créations artistiques. En témoigne le très riche patrimoine en arts musical, dramatique ou poétique, entre autres formes artistiques : le malhoun et ses splendides et puissants poèmes, la chanson populaire et ses profondes morales, le théâtre de Taïeb Seddiki, ou de Touria Jabrane, ou encore d’Ahmed Taïeb Laâlej, les grandes fresques musicales populaires de Nass el Ghiwane, de Jil Jilala, deMchaheb… Défendre la darija est donc une bien belle chose, mais les défenseurs savent-ils au moins l’existence de tout ce patrimoine pour comprendre une fois pour toutes que la darija n’a jamais posé problème sur le plan de la communication ou de celui de la création artistique ?…Mais peut-être que ces gens ne connaissent de notre si belle darija que ces expressions nouvelles, généralement casaouies, comme essat (mec), essata (nana), lle3a9a (pognon), le3ya9a (la frime), et bien d’autres encore…
Osons donc dire, aujourd’hui, qu’il n’est définitivement pas sérieux que ce débat si important soit ouvert et lancé aujourd’hui par des gens qui ont suivi leur enseignement fondamental dans les missions étrangères et qui, en conséquence, n’ont jamais eu l’occasion d’étudier vraiment la langue arabe… sachant que l’enseignement en arabe, de la manière dont il est assuré, y compris dans l’école marocaine, doit être revu et repensé. Ces gens qui défendent la darija sont en général les derniers à en maîtriser les subtilités et les finesses au niveau du vocabulaire et de la syntaxe, et ignorent également que la darija n’est pas une, mais qu’elle est plurielle, de la darija gouailleuse de Marrakech à celle plus directe d’Oujda, de la darija de Fès et ses déclinaisons délicieusement andalouses à celle de Tanger à l’accent savoureusement chantant…
Et puis il existe tant de gens qui préfèrent s’exprimer en français pour grimper dans l’échelle sociale car, à leurs yeux, le must est de parler et d’échanger dans cette langue. Pire encore, certaines gens dépassent même le fait de parler français pour « gagner quelques points » en société… alors ils déclarent que non seulement ils maîtrisent la langue française, mais qu’ils ne savent même pas parler en arabe !
Si notre enseignement se vautre aujourd’hui en queue de peloton dans tous les classements internationaux, il serait de mauvaise foi d’imputer cela à la langue arabe car, en effet, et pour être objectif, il est important de considérer que la responsabilité du fiasco éducationnel incombe à la méthodologie de l’enseignement et non à la langue d’enseignement. Oui, l’apprentissage de l’arabe dans notre système éducatif doit être revu et corrigé car elle y est réduite à une langue morte, alors qu’elle est si vivante dans la bouche ou sous la plume de tant d’artistes, écrivains, chanteurs… Oui, lier la langue arabe au Coran et en faire une langue sacrée est une grossière erreur car seul est sacré le texte coranique, et non l’arabe.
Alors donc, cette indigence linguistique que nous connaissons requiert de notre part une profonde réflexion quant à notre relation avec notre langue, nos langues, en l’occurrence l’arabe, la darija, le français, le hassani et l’amazigh… en plus de la nécessaire ouverture sur les autres langues du monde comme l’anglais, l’espagnol ou encore le chinois… Alors rendons grâce à cette diversité qui est la nôtre au lieu de nous attaquer à la langue arabe, moins d’ailleurs pour sa complexité que pour notre ignorance de ses règles.
Soyons fiers et heureux de notre richesse linguistique… le développement ne se décline pas plus en français que le sous-développement n’incombe à l’arabe.
par
Sanaa Elaji
http://www.panorapost.com/non-larabe-nest-pas-une-langue-sous-developpee-par-sanaa-elaji/