Nos lieux interdits

un documentaire sur les années de plomb, et les familles des victimes de la violence politique au Maroc, sous Hassan II...dans les salles en France cette semaine



De 1960 à 1980, au Maroc, des centaines d'opposants politiques à la monarchie absolue du roi Hassan II ont été victimes de disparitions, finissant le plus souvent leur vie dans des centres de rétention secrets. En 2004, le roi Mohammed VI, fils d'Hassan II, a créé une commission, l'Instance équité et réconciliation, présidée par un ex-prisonnier, Driss Benzekri, qui a croupi dix-sept ans dans ces geôles d'exception.

L'Instance est destinée à enquêter sur ces crimes et à en indemniser les victimes ou leurs familles, sans toutefois mettre en cause ou juger les responsables.

Leïla Kilani, cinéaste de 39 ans née à Casablanca et déjà auteur de deux documentaires, a pu approcher divers acteurs de ce processus entre 2004 et 2007, et en rapporte un film important, troublant. La réalisatrice choisit d'accompagner quatre familles touchées dans leur chair par l'emprisonnement ou la disparition d'un proche. Ce parti pris, qu'on pourrait lui contester au regard des disparitions globales, est pourtant très fort.

Où se trouve le corps ?

Il fait basculer le film du côté de la prospection intime, de la recherche intuitive, de l'ineffable de la souffrance. Il prend, en un mot, le parti inverse à celui qu'adopte l'Instance de réconciliation dans sa mission de réparation à la fois matérielle et symbolique. Tourné dans le huis clos des appartements avec une sous-exposition quasiment constante, Nos lieux interdits, par-delà les discours et les intentions d'apaisement, braque une lumière si pâle qu'elle en devient aveuglante sur la terreur de ces années, sur la réalité de ceux qui ont disparu et dont le deuil est impossible pour les familles.

Ainsi de ce fils qui n'a jamais connu son père, et qui voudrait qu'on lui indique où se trouve son corps pour qu'il puisse le "réensevelir", c'est-à-dire construire, ne serait-ce qu'avec sa dépouille, le commencement d'un lien, et auquel on explique que l'état des cadavres dans les fosses ne le permet pas. Histoire bouleversante, qui rend dérisoire l'idée d'une possible réparation, a fortiori quand la justice en est absente.

A côté de la nécessité collective de l'Instance de réconciliation, ce film introduit, à travers la parole et la conscience meurtries des familles, un contrepoint malséant : l'idée de l'irréparabilité des crimes commis. Par l'écoute de cette parole dans ce qu'elle a de non justifiable, et par l'absence des corps à laquelle elle ne cesse de renvoyer, Leïla Kilani entend se confronter à la grande question cinématographique inaugurée par les désastres du siècle passé : comment incarner ce que la barbarie a effacé de la surface de la terre ?

http://www.lemonde.fr/archives/arti...-sous-la-dictature-d-hassan-ii_1246743_0.html
 
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