Soutien à la Palestine. Les universités bâillonnées
LE DÉVOIEMENT DE LA LOI ANTITERRORISTE
Les poursuites pour « apologie du terrorisme » se sont multipliées depuis le 7 octobre 2023, comme exposé dans Orient XXI le 9 mai 2024.
La loi Cazeneuve du 13 novembre 2014, qui a extrait l’infraction d’apologie du terrorisme de la loi sur la liberté de la presse de 1881, pour l’inscrire dans le Code pénal, en a durci le régime.
Alors qu’elle était initialement conçue pour lutter contre les filières de recrutement du terrorisme, son utilisation aujourd’hui pour réprimer l’expression d’opinions est jugée abusive par ceux-là mêmes qui la défendaient hier.
C’est le cas notamment de l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic qui dénonce, dans les colonnes de L’Humanité, le 8 octobre 2024, « un véritable abus » et un « usage totalement dévoyé de la loi » et appelle à « oser faire marche arrière
Les exemples sont légion. Les manifestations de soutien public au peuple palestinien sont ciblées, traquées et stigmatisées comme relevant de l’antisémitisme, et leurs auteurs, vilipendés en haut lieu.
Ces campagnes aboutissent à un résultat, sans doute escompté : l’autocensure, notamment parmi les enseignants.
Dès le 9 octobre 2023, Sylvie Retailleau, alors ministre de l’enseignement supérieur, adressait un courrier aux présidents d’établissement, les appelant à sanctionner les « actions et propos » relevant de « l’apologie du terrorisme, l’incitation à la haine ou à la violence », les encourageant à y apporter des « sanctions disciplinaires et suites judiciaires appropriées », y compris en les signalant au procureur de la République.
Le gouvernement a généreusement élargi la notion d’« incitation à la haine » à toute critique de l’action génocidaire d’Israël à Gaza.
« Un professeur dérape » à Toulouse.
C’est le titre d’un article de La Dépêche 31 le 4 septembre 2024. La veille, Benoit Huou, chargé d’enseignement en mathématiques à la Toulouse School of Economics (TSE), décidait d’ouvrir son premier cours de l’année par une adresse à ses deux cents étudiants sur la situation à Gaza et l’émotion qu’elle provoquait en lui. « Tout le monde y passe, les enfants, les vieillards.
J’ai 35 ans et je n’ai jamais vécu ça, une telle boucherie », dit l’enseignant avant d’exprimer un sentiment d’impuissance « face à ce carnage » et de dénoncer le « soutien tacite » du gouvernement français aux dirigeants d’extrême droite israéliens.
« Malheureusement, ça n’a pas commencé le 7 octobre et c’est totalement malhonnête de dire que le responsable de ce qui se passe actuellement, c’est le Hamas », ajoute-t-il. Et de rappeler qu’« avant le 7 octobre des organisations comme Amnesty International et d’autres dénonçaient déjà la politique d’apartheid » menée par Israël contre le peuple palestinien.
Posant la question de l’engagement à l’échelle individuelle, il suggère à ceux qui le souhaitent de participer aux campagnes de boycott et aux manifestations.
Le discours de Benoît Huou va se retrouver dès le lendemain matin dans un « signalement » sur le compte X anonyme pro-israélien Sword of Salomon qui traque les voix favorables aux Palestiniens, notamment dans le milieu universitaire, en interpellant directement les ministres.
Ce que l’enseignant ignore encore, c’est que quelqu’un dans l’amphithéâtre l’a enregistré. Son discours va se retrouver dès le lendemain matin dans un « signalement » sur le compte X anonyme pro-israélien Sword of Salomon qui traque les voix favorables aux Palestiniens, notamment dans le milieu universitaire, en interpellant directement les ministres.
Sword of Salomon exige « des mesures disciplinaires, allant jusqu’au licenciement » pour « sanctionner » les propos « dangereux et inacceptables » de Benoît Huou. Il pointe un discours qui « met en danger les étudiants juifs et/ou israéliens, dans une ville [Toulouse] marquée par le massacre d’écoliers juifs, abattus à bout portant pour “venger la Palestine” ».
Ce raccourci entre les propos du professeur et l’action criminelle de Mohammed Merah (en 2012) va mettre le feu aux poudres.
En l’espace de quelques heures, Benoît Huou va brutalement sortir de l’anonymat et se retrouver au centre d’une tornade politico-médiatique. Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement, va immédiatement reprendre le post de Sword of Salomon, qualifiant les propos du professeur Huou d’« inadmissibles » et annonçant avoir « demandé à ce que les sanctions qui s’imposent soient prises » à son encontre.
Lui emboîtant le pas, le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, « condamne fermement » les propos de l’enseignant qui, selon lui, participent à « importer davantage le conflit et à mettre une cible sur les étudiants juifs dans l’enseignement supérieur ».
Reprenant l’argumentaire de Sword of Salomon, il conclut : « Blessés dans notre chair par les attentats de 2012 visant des élèves juifs, nous savons ce vers quoi ces propos peuvent nous conduire. »
.