On va tous mourir.
Après ma mort, vous pouvez en rire mais épargnez-moi vos larmes et vos hommages, j'en serais indifférent, bien que j'aurai aimé faire partie du Club des 27. Ce qu'il en reste de moi après ma mort? jetez le aux chiens ou laissez les corbeaux du bois d'à côté en faire leur festin. Ce que je redoute le plus, c'est la façon de mourir, le timing, les circonstances... Personne ne peut nier que la mort de Christopher Walken dans Sleepy Hollow, après un sanglant combat, reste tout de même plus classe que de se faire massacrer par les oiseaux de Hitchcock à la sortie d'une boulangerie...
«Que la mort a de façons de surprendre… je laisse à part les fièvres et les pleurésies. Qui eût jamais pensé qu’un Duc de Bretagne dût être étouffé par la foule comme le fut celui qui assistait à l’entrée du Pape Clément à Lyon ? N’as-tu pas vu tuer un de nos rois se livrant à un jeu ? Et un de nos ancêtres ne mourut-il pas heurté par un pourceau. Eschyle, menacé par la chute d’une maison, a beau se tenir en plein air, le voilà assommé par la carapace d’une tortue qui a échappé aux pattes d’un aigle en l’air. Tel autre mourut à cause d’un grain de raisin ; un empereur d’une égratignure de peigne, en s’attifant ; Emilius Lepidus pour avoir heurté du pied contre le seuil de sa porte et Aufidius pour s’être donné un coup, en entrant, contre la porte de la chambre du conseil ; et, entre les cuisses des femmes, Cornelius Galus, préteur, Tigillinus, capitaine du guet, Ludovic, fils de Guy de Gonzague, Speusippe, philosophe platonicien, et même l’un de nos papes ! Le pauvre Bebius, juge pendant qu’il donne un délai d’une huitaine à une partie, le voilà saisi, son délai de vie étant expiré. Caïus Julius, médecin, tandis qu’il oint les yeux d’un patient, voilà la mort qui clôt les siens. Et s’il me faut mêler à ces exemples, un mien frère, le capitaine Saint-Martin, âgé de 23 ans, qui avait déjà donné une assez bonne preuve de sa valeur, jouant à la paume, reçut un coup de la balle qui le frappa un peu au-dessus de l’oreille droite, sans aucune apparence de contusion ni de blessure. A la suite de cela il ne s’assit ni ne se reposa, mais, cinq ou six heures après, il mourut d’une apoplexie que ce coup lui causa. Ces exemples si fréquents et si ordinaires nous passent devant les yeux, comment est-il possible qu’on puisse se défaire de la pensée de la mort, et qu’à chaque instant il ne nous semble pas qu’elle nous tienne au collet ?
Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent, de la mort nulles nouvelles. Tout cela est beau. Mais aussi quand elle arrive, ou à eux, ou à leurs femmes, enfants et amis, les surprenant à l’improviste et sans défense, quels tourments, quels cris, quelle rage et quel désespoir les accable ! Votes-vous jamais créature si rabaissée, si changée, si bouleversée ? Il faut pourvoir à cela de meilleure heure : et cette insouciance bestiale, quand bien même elle pourrait loger dans la tête d’un homme intelligent – ce que je trouve entièrement impossible – nous vend trop cher ses denrées. Si la mort était un ennemi qui peut être évité, je conseillerais d’emprunter les armes de la couardise. Mais puisqu’il ne peut pas l’être, puisqu’il vous attrape fuyant et poltron aussi bien qu’homme d’honneur, apprenons à soutenir son assaut de pied ferme et à le combattre. Et pour lui ôter son plus grand avantage contre nous, prenons une voix toute contraire à la voie commune. Otons-lui son étrangeté, fréquentons-le, accoutumons-nous à lui. n’ayons rien aussi souvent dans la tête que la mort. A tous instants, représentons-la à notre imagination et avec tous ses visages. Au faux pas d’un cheval, à la chute d’une tuile, à la moindre piqûre d’épingle… Faisons effort sur nous-mêmes. Au milieu des fêtes et de la joie, ayons toujours le refrain que constitue le souvenir de notre condition… comme les Egyptiens qui, au milieu de leurs festins et parmi leurs meilleurs plats, faisaient apporter le squelette d’un homme mort pour servir d’avertissement aux convives. Nous ne savons pas où la mort peut nous attendre, attendons-la partout. La méditation préalable de la mort est aussi celle de la liberté. Celui qui a appris à mourir a désappris à être esclave. Il n’y a rien de mal dans la vie pour celui qui a compris que la privation de la vie n’était pas un mal.»
Michel de Montaigne
Sérieusement, lorsque vous croisez un oiseau en colère, gardez votre sang froid, faites-vous tout petit et respectez son autorité. C'est une question de vie ou de mort.