Palestine : « Des victimes sans visages, des crimes sans criminels »

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اللهم إفتح لنا أبواب الخير وأرزقنا من حيت لا نحتسب
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Entretien avec Johann Soufi, avocat et procureur spécialisé en justice pénale internationale. Ancien conseiller juridique senior auprès des Nations Unies, il a mené des enquêtes sur des crimes internationaux au Rwanda, au Timor oriental, en Côte d’Ivoire, au Liban, en République centrafricaine, au Mali, en Ukraine et au Sri Lanka. Il a également participé aux procès de hauts responsables politiques et militaires devant plusieurs juridictions pénales internationales (Rwanda, Sierra Leone, Liban), avant de diriger le bureau juridique de l’UNRWA à Gaza entre 2020 et 2023. Chercheur au Centre Thucydide de l’Université Paris II – Panthéon-Assas, il est cofondateur et membre du conseil scientifique de JURDI, une association qui rassemble avocats, magistrats, professeurs, juristes et experts en droit international, pour promouvoir le respect et l’application du droit international dans le contexte du conflit qui oppose Israël aux Palestiniens.

À propos de la couverture médiatique récente​


Acrimed : Un tapis de bombes sur Gaza, des dizaines de morts chaque jour, des corps d’enfants décharnés et démembrés, un plan de colonisation voire d’annexion assumé publiquement par le cabinet de défense israélien... Que t’inspire la couverture médiatique actuellement, tout particulièrement depuis qu’Israël a rompu la « trêve » à la mi-mars ?

Johann Soufi :
Depuis quelques semaines, on assiste à une évolution du traitement médiatique de la situation à Gaza, en France notamment. On constate un regain d’attention après des mois, des années, d’indifférence. On a le sentiment que la parole s’ouvre progressivement, que des voix jusque-là marginalisées – humanitaires, juristes, sociologues – commencent enfin à être entendues. Selon moi, cette évolution ne relève pas d’une prise de conscience spontanée de la part des médias et des responsables politiques, mais d’un effet d’accumulation, de saturation.

D’abord en raison de l’ampleur des massacres, et des violations du droit international. On en est à plus de 53 000 morts et 120 000 blessés, selon les chiffres officiels. Et cela ne tient pas compte de tous ceux qui mourront tôt ou tard de leurs blessures ou de maladies non soignées, ni de ceux qui vivront avec des séquelles physiques et psychologiques permanentes, après dix-neuf mois de crimes, de persécutions et de privations. Depuis octobre 2023, un enfant est tué ou blessé toutes les 20 minutes à Gaza. L’aide humanitaire est entravée, instrumentalisée, la famine menace toute la population gazaouie. Les images qui nous parviennent nous rappellent les heures les plus sombres de l’histoire humaine. Chaque jour apporte son lot de nouvelles horreurs, de nouveaux traumatismes.

À ces crimes s’ajoutent des discours de responsables israéliens qui assument de plus en plus clairement leur projet colonial, voire leur intention génocidaire. Israël Katz, ministre de la Défense, a récemment parlé de la « destruction totale » de Gaza et de la déportation de ses habitants. D’autres, comme Bezalel Smotrich, tiennent des propos similaires. Des appels publics au meurtre des Gazaouis – hommes, femmes, enfants – sont diffusés sur des chaînes israéliennes sans la moindre censure. Cette intention génocidaire de plus en plus claire rend le silence des élites médiatiques et politiques d’autant plus intenable.

Un autre facteur essentiel de ce changement tient, j’en suis convaincu, à la pression croissante de la société civile, qui refuse l’immobilisme face à ces atrocités commises sous nos yeux. Les manifestations hebdomadaires, les appels au boycott et aux sanctions, mais aussi les actions judiciaires menées par des collectifs de juristes comme notre association JURDI contribuent à faire évoluer le positionnement des médias et des responsables politiques. Face à cette pression populaire, le prix du silence devient simplement trop lourd à porter – pour les médias, les artistes, les élus. Leur crédibilité et leur respectabilité sont aujourd’hui directement mises en cause. Il devient de plus en plus difficile – voire impossible – de continuer à ignorer ou à relativiser ce qui se passe à Gaza. Le silence est perçu comme une complicité.


Cette évolution – relative, tant elle ne remet pas fondamentalement en cause le cadrage médiatique initial édicté au lendemain du 7 octobre 2023 – arrive en plus bien tardivement.............
 
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