Philip Roth hanté par le point final

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Un écrivain prend toujours des risques à annoncer qu’il n’écrira plus. Peter Handke l’a fait récemment, on verra si il tient. A l’occasion de la parution de son nouveau roman Indignation aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, Philip Roth, 75 ans, vient d’en faire autant au cours d’un récent entretien accordé chez lui dans le Connecticut à Robert McCrum du Guardian, après un bon demi-siècle de vie littéraire, des journées et des soirées entières à écrire toute l’année et 29 livres au compteur. On ne dira pas qu’il s’est laissé aller, happé par la conversation, ni que sa pensée a été interprétée ; le journaliste précise en effet, ce qui est assez surprenant, que l’entretien était extrêmement contrôlé, ses questions soumises à l’avance, la retranscription soigneusement relue par l’intéressé, son agent et son service de presse.

Indignation, qu’il présente comme quelque chose entre la novella et la novelette et non comme un roman contrairement à son éditeur (230 pages, tout de même), est l’histoire d’un ancien combattant blessé à la guerre de Corée, un garçon dont la biographie emprunte de nombreux jalons à celle de l’auteur ; cela n’étonnera guère ceux qui se souviennent qu’aux yeuxde Roth, il n’est pas d’individu plus intéressant que lui-même. Je n’est pas un autre, je n’est autre que moi, il ne cesse de le revendiquer. Si ça a l’air d’une prosopopée, elle est ambiguë car le cadavre n’en est pas tout à fait un : sous morphine, il se croit mort (lire un extrait du premier chapitre). Le procédé est loin d’être inédit et on ne pourra s’empêcher de penser au héros de Dalton Trumbo qui a hanté durablement tout lecteur (1939) et tout spectateur (1971) de Johnny got his gun. On y trouve recyclés des thèmes, des situations, des personnages de ses précédents romans, procédé récurrent dans son oeuvre, ce qui n’a pas gâté le plaisir de Peter Kemp du Sunday Times qui convoque la tragédie grecque pour louer cette fable de la némésis, ni celui de David Gates dans le New York Times pour qui le romancier a franchi les limites de l’inconnaissable ; même l’implacable Michiko Kakutani du même journal s’est laissée prendre. Dans leur ensemble, les critiques sont toujours aussi admiratifs de son métier, de sa technique, de sa profondeur et, pourquoi le dissimuler, de sa roublardise. Rare note discordante dans le concert, mais de poids, celle de Christopher Hitchens ; lui qui fut longtemps un inconditionnel, il lui reproche dans The Atlantic monthly, de cracher sur sa jeunesse en reprenant les mêmes rengaines : “Tant d’efforts pour si peu d’effet…”

Roth ne connaît pas de plus beau mot qu’indignation dans la langue anglaise. Mais on peut compter sur lui pour écrire tout un livre à seule fin de montrer que cela veut dire bien autre chose que ce que cela dit. D’après Robert McCrum, nul mieux que la biographe Hermone Lee n’a résumé le double jeu au coeur de ses livres : des histoires dans des vies, des vies dans des histoires. Dans celui-ci, le narrateur contemple sa fin annoncée tout en examinant sa jeunesse. Ce n’est pas un hasard si les pages d’Indignationsont hantées par ses lectures d’adolescent (Sherwood Anderson, Mark Twain, Thomas Wolfe, Dos Passos). Ces dernières années, il a entrerré ses amis Saul Bellow, William Styron, Richard Widmark, Arthur Miller… Si sa capacité à s’exposer a longtemps oscillé entre l’invisibilité d’un J.D Salinger et le tapage d’un Norman Mailer, l’écrivain séculier semble s’être fait de plus en plus régulier, jamais aussi heureux que seul dans sa bibliothèque.

Il ne lit plus, désormais : il relit. La peste de Camus, Tourgueniev, Conrad. Sans oublier Shakespeare et Orwell qu’il place au plus haut. C’est peut-être par crainte de se réécrire qu’il a annoncé sa décision de ne plus écrire. Si ce n’est le crépuscule d’un grand écrivain mélancolique, ça y ressemble fort. Le suicide sera central dans son prochain livre, encore une novelette, qu’il vient juste de terminer. Mais le problème avec ces courtes distances, c’est qu’elles sont vite emballées. Roth dit chercher désormais un sujet pour un grand roman qui le mènera jusqu’au bout de la route afin de mettre le point final à sa vie rêvée en même temps qu’il sera mis un point final à sa vie.
 
Un grand romancier, candidat sérieux pour le prix Nobel de littérature 2008, qui sera octroyé ce soir…je ne conseillerai jamais assez « le complexe de Portnoy », « la bête qui meurt », "Professeur de désir" et son dernier roman traduit en français « Un homme », un très beau roman sur la mort et l’angoisse de vieillir….mais pour le Nobel, j’aimerai bien que ce soit, Adonis, le grand poète syrien, qui le remporte….
 
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