Pillage du patrimoine météoritique algérien dans le sud

Pillage du patrimoine météoritique algérien dans le sud​


Ce commerce très lucratif, qui se chiffre en milliers de dollars, serait piloté par un réseau de trafiquants marocains qui écoulent les pierres précieuses en Europe.
Ce sont des milliers ou plutôt des millions de dollars que l’Algérie perd, presque sans le savoir, dans le pillage répétitif des météorites - ces pierres précieuses qui tombent du ciel - enfouies dans les immensités désertiques du Sahara.
Des “touristes” étrangers, envoyés spéciaux, de différentes nationalités se livrent, depuis quelques années déjà, au vol de ce patrimoine de très grande valeur scientifique, mais surtout... marchande. La Gendarmerie nationale a enfin découvert le pot aux “ronces” et a décidé de mettre en place un dispositif pour barrer la route aux pillards qui exploitent impunément les richesses naturelles du pays. Une promotion de vingt-cinq gendarmes vient d’être formée par les chercheurs de l’Université de Bab-Ezzouar dans les techniques de reconnaissance des météorites, précise un communiqué du commandement de cette institution rendu public hier.
Ces éléments dotés des moyens techniques appropriés devraient être en mesure de reconnaître la précieuse pierre à ses caractéristiques dans les régions sous leur contrôle que sont Tamanrasset, Béchar et Ouargla.
Ce phénomène est évidemment loin d’être un fait divers puisque un seul gramme d’une météorite coûte entre 10 000 et 20 000 dollars, selon les précisions de la gendarmerie. Mieux encore, le gramme d’une météorite de type “chassignite” culmine à... 70 000 dollars US. Il est donc loisible d’imaginer les sommes faramineuses engrangées par ces touristes pillards sur le dos des Algériens. Et les laboratoires étrangers de recherche en géologie, en astronomie et en géophysique, entre autres, sont particulièrement friands pour ces petits objets qui valent de l’or en raison de leur valeur scientifique.
Et ils sont prêts à mettre le prix fort pour les obtenir... du désert algérien. Ce commerce très lucratif, comme le souligne le communiqué de la gendarmerie, est ainsi devenu le sport de prédilection des touristes qui prennent la destination Sud. En l’occurrence, la gendarmerie fait référence à l’arrestation, le 20 novembre dernier, du groupe de “touristes” allemands à 23 h au Parc national du Tassili en possession des pièces archéologiques, mais également de météorites. Ces derniers s’en sont sortis à bon compte puisque après trois mois d’emprisonnement, ils ont été libérés. Une source bien informée contactée hier par Liberté précise, cependant, que c’est un réseau organisé de trafiquants marocains qui se trouve derrière le détournement de cette ressource.
En effet, une coopérative dénommée Tafilalit Derfoud, basée au royaume, envoie ses “touristes” ou travaillent directement avec des autochtones à qui elle remet des sommes dérisoires moyennant les fameuses pierres.
Une fois la marchandise réceptionnée, la boîte l’estampille du “label” marocain - comprendre le désert marocain - pour ne pas éveiller les soupçons et l’expédie aux différents laboratoires occidentaux en contrepartie de devises sonnantes et trébuchantes. Nos sources ajoutent que ce réseau de pilleurs opère, notamment dans les périmètres de Amgoud et Tinbiter dans le Sud algérien, réputé pour sa richesse en météorites qui représente 27% des cratères météoritiques africains
. La Gendarmerie nationale note que ces pierres sont particulièrement prisées par les chercheurs “pour comprendre le fonctionnement du système solaire, mais aussi pour détecter la présence des molécules d’eau sur la planète Mars”.
Aussi de récentes études ont-elles conclu que la découverte de ces météorites dans le sous-sol est un indice presque infaillible de la présence des hydrocarbures. Il y a donc une double nécessité à protéger ce patrimoine naturel “menacé par la convoitise des collectionneurs étrangers et les laboratoires de recherche” pour paraphraser le communiqué de la gendarmerie.

 

Entretien/Pr Mouley Charaf Chabou: «Sur les 1 140 météorites découvertes en Algérie, presque aucune n’est en possession du pays»​

C’est une situation qui a toujours été de règle. Sur les 1 140 météorites officiellement découvertes en Algérie, aucune n’est en possession du pays (à quelques exceptions près, deux ou trois à l’USTHB et quelques-unes à l’université d’Oran). Cela représente près de 3,48 tonnes de météorites sorties illégalement du pays. Ce pillage de notre patrimoine météoritique se faisait jusqu’au début des années 2000 au vu et au su de tout le monde. Des expéditions étaient organisées dans le Sud algérien par des soi-disants touristes (principalement venus d’Allemagne) avec tout le matériel de prospection et des 4×4, chaque expédition durait des semaines sachant qu’il est très difficile de trouver une météorite même en terrain désertique (une moyenne d’une ou deux trouvailles par jour après 10 ou 12 heures de recherche sans interruption dans un terrain favorable à la préservation des météorites). C’est ainsi que tout un champ de météorites localisé près d’Aïn Salah (champ d’Acfer) a été pillé, avec plus de 400 météorites trouvées dans l’Erg Acfer. Après les années 2000 et la prise de conscience des autorités de l’ampleur de ce trafic, il n’est plus possible à des touristes étrangers d’organiser des expéditions ou d’exporter des échantillons rocheux du pays. Le trafic a donc changé de méthodes, et désormais notre patrimoine météoritique est exporté à l’étranger via des réseaux de contrebande qui opèrent le long de notre frontière de l’Ouest.
Toutes les météorites découvertes en Algérie depuis maintenant 20 ans atterrissent dans les marchés de météorites du Sud marocain, où les étrangers viennent s’approvisionner, sachant que la vente et l’exportation de météorites à partir du Maroc sont tout à fait légales. C’est de cette façon que la météorite Erg Chech 002 a quitté notre pays en mai 2020 et s’est retrouvée entre les mains de chasseurs de météorites marocains qui l’ont vendu à des collectionneurs et revendeurs étrangers. Aujourd’hui, des laboratoires et musées du monde entier sont en train de se l’arracher. Il y a enfin les météorites historiques tombées ou trouvées en Algérie avant 1962, et celles découvertes par des coopérants durant les années 1960 et 1970 et qui sont pour la plupart conservées au Muséum d’Histoire naturelle de Paris.
 
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