Explication :
LA PLACE DE LA COMMUNAUTÉ JUIVE :
Pour comprendre comment les relations turco-israéliennes ont pu survivre et régulièrement renaitre, il est important d’identifier ce qui contribue à les structurer durablement. La solidité des liens économiques constitue le premier axe de cette continuité. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler qu’au cours des années conflictuelles que nous venons d’évoquer, la Turquie a triplé ses exportations en direction d’Israël, ces dernières passant de 2,3 milliards de dollars en 2011 à 7,03 milliards de dollars en 2022. Assurant 5,2 % de ses importations, la Turquie est ainsi le cinquième fournisseur d’Israël, et son septième client pour 2,2 % de ses exportations, représentant un montant de 2,5 milliards de dollars annuellement. Ces flux commerciaux concernent des domaines essentiels. Au premier rang des importations israéliennes en provenance de Turquie on trouve l’acier, le fer, le textile, les véhicules automobiles, le ciment, sans oublier le pétrole azerbaïdjanais qui transite via le Caucase et l’Anatolie orientale par l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) et le port de Ceyhan, couvrant 40 % des approvisionnements annuels en brut d’Israël. Le groupe turc Zorlu fournit en outre 7 % de l’électricité consommée par Israël. Pour sa part, ce dernier exporte surtout vers la Turquie des produits chimiques et des articles de haute technologie. Ces exportations ont joué un rôle non négligeable dans la modernisation de la production industrielle turque au cours des dernières années, notamment dans le domaine de la défense.
La mémoire constitue un autre élément des relations entre les deux pays qui aide à surmonter les caprices du cours de leurs relations mutuelles. Les juifs ont été l’un des « millet » de l’Empire ottoman qui a accueilli, notamment dans ses villes portuaires emblématiques (Salonique, Istanbul, Izmir…), les sépharades chassés d’Espagne au XVe siècle. En dépit de la situation inégale qui a été la leur depuis les débuts de la République, ce dont témoignent différents épisodes d’antisémitisme avant, pendant et après la seconde guerre mondiale, ils restent l’une des dernières communautés juives du monde musulman, dans un pays qui ne les renie pas, comme l’a montré encore récemment le succès de la série turque Kulüp, basée sur une observation fidèle de leurs spécificités linguistiques et culturelles. Ce passé et cette atmosphère a contribué à l’afflux de touristes israéliens en Turquie qui, en dépit des crises successives, sont finalement venus et revenus dans ce pays où ils étaient l’une des premières populations de visiteurs étrangers avant octobre 2023.
INTÉRÊTS STRATÉGIQUES
Enfin, quelle que soit la conflictualité ambiante de leurs liens, il ne faut pas sous-estimer l’importance des intérêts stratégiques communs aux deux pays. La Turquie, qui reste un allié des Occidentaux du fait de son appartenance à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), abrite des bases importantes : commandement des forces terrestres alliées du flanc sud de l’Alliance à Izmir, radar de défense antimissile balistique de Kürecik principalement tourné contre l’Iran, aéroport d’Incirlik qui accueille le cas échéant des avions livrant du matériel militaire à Israël. En février 2024, Ankara a rejoint le bouclier antimissile européen European Sky Shield Initiative (ESSI), qui repose sur une initiative lancée par l’Allemagne en 2023, et qui est soutenu par 17 pays. Or, ce projet boudé par la France, utilisera entre autres le missile israélien à longue portée Arrow 3.
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