L’évocation de leur nom a longtemps provoqué la gêne des deux côtés de la Méditerranée. Ces auxiliaires algériens de l’armée française se retrouvèrent, la décolonisation venue, pris en étau entre une France ingrate et une Algérie vengeresse.
Un passé qui ne passe pas… L’expression a été popularisée en France à propos de la collaboration avec l’Allemagne nazie, objet de violentes polémiques. Elle qualifie aussi fort bien la guerre d’Algérie et ses blessures mal cautérisées, à la différence près que nombre de ses protagonistes sont encore vivants. Parmi eux, les harkis, cette population algérienne embrigadée plus ou moins volontairement dans l’armée française et dont le destin tragique ajoute au passif entre la France et l’Algérie. Sans signe d’apaisement à leur sujet d’une rive de la Méditerranée à l’autre.
"Loin de s’effacer, le traumatisme harki a prospéré de génération en génération, constate l’historien spécialiste Benjamin Stora (auteur d’un rapport intitulé La Mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, remis au président Emmanuel Macron). La vérité sur ce qui s’est passé après la signature des accords de paix d’Évian en 1962 et l’envie de savoir si les choses auraient pu tourner autrement sont toujours aussi grands". Tabou partagé ? Benjamin Stora réfute le mot, préférant évoquer une "guerre de mémoire" entre les deux pays au sujet de ces soldats perdus et de leurs descendants.
Pour beaucoup d'harkis, l'attachement à la France est profond
À l’origine, le mot harki désigne en arabe le membre d’une harka, c’est-à-dire une unité d’auxiliaires, tels ceux employés par l’armée française à partir de 1956. Puis le terme a fini par englober l’ensemble des 180 000 à 250 000 "Français de souche nord-africaine", comme on disait alors, musulmans, ayant aidé les militaires français pendant la guerre d’Algérie. Des soldats mais aussi des cuistots, des maçons, des chauffeurs recrutés en masse pour tenir le pays et démontrer la faible représentativité des indépendantistes du FLN (Front de libération nationale).Pour nombre d’entre eux, ce lien avec la France remontait aux origines de la colonisation au début des années 1830. Dans certaines familles, on s’était battu pour la "mère patrie" lors des deux guerres mondiales. L’attachement aux couleurs s’y révélait profond. Le 18 mars 1962, les accords d’Évian, qui mirent fin à la guerre d’Algérie, cherchèrent implicitement à protéger les harkis en stipulant que nul ne pourrait être sanctionné, discriminé, empêché de quitter l’Algérie ou d’y retourner suite à ses actions durant les "événements".
Paris a-t-il péché par naïveté en croyant que ce principe serait respecté ? Ou a-t-il lâchement abandonné les harkis au sort atroce qui les attendait ? Le 3 avril 1962, lors d’une réunion du Comité des affaires algériennes, de Gaulle les avait qualifiés de "magma qui n’a servi à rien et dont il faut se débarrasser sans délai". Aujourd’hui, le Général concentre les reproches. Sa volonté de tourner la page coloniale coûte que coûte, sa crainte de propager les tensions dans l’Hexagone, ses doutes quant à l’assimilation des musulmans ont pu l’amener à détourner le regard des vengeances prévisibles.