Poutine utilise l’attentat de Moscou pour mobiliser les Russes contre l’Ukraine
Le président et ses réseaux d’information ne parlent pas de la revendication, par l’Etat islamique, de l’attaque dans la plus grande salle de concert de Moscou. Ils compensent l’échec sécuritaire en accusant, à demi-mot, l’ennemi ukrainien.
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Crocus, c’est avant tout l’histoire d’un fiasco politico-sécuritaire du Kremlin. Avec au moins 137 morts, dont trois enfants et 152 blessés dont cinq enfants, l’attaque de vendredi 22 mars dans la plus grande salle de concert de Moscou est l’attentat au plus lourd bilan en Russie depuis la prise d’otages de l’école de Beslan en septembre 2004 (334 morts). « Le spectre terroriste revient en force alors que la Russie semblait avoir négligé ce front, en se concentrant sur la guerre en Ukraine et la neutralisation de la “cinquième colonne” à l’intérieur du pays », insiste Tatiana Kastueva-Jean, de l’Institut français des relations internationales. « Cet attentat percute de plein fouet le mythe d’un pays stabilisé et sécurisé et fait sortir du placard les terribles souvenirs du premier mandat de l’époque poutinienne. »
Cinq jours après sa réélection et trois jours après un discours devant les dirigeants du FSB louant leur travail « pour le maintien de la sécurité et de la souveraineté » du pays, le chef du Kremlin a été rattrapé à Crocus par une réalité refoulée : la menace de l’Etat islamique qui a revendiqué l’attentat. Mais le président et ses réseaux de propagande n’en parlent pas. Ils compensent l’échec sécuritaire en accusant, à demi-mot, l’ennemi ukrainien. Deux ans après le début de son « opération militaire spéciale », le porte-parole du Kremlin venait enfin de la nommer officiellement « guerre ». C’était vendredi, coïncidence ou non, quelques heures avant l’entrée des terroristes dans le hall de Crocus. A la veille d’une possible deuxième mobilisation militaire pour le front du Donbass, le Kremlin s’efforce d’utiliser l’attentat islamiste pour mobiliser l’opinion publique contre Kiev.
Un narratif qui convainc
Parmi les Russes, cette version est largement reprise : les Ukrainiens sont responsables. « Bien sûr, une minorité ne croit pas le Kremlin. Mais, dans la société conditionnée par un quart de siècle de régime Poutine, la majorité est réduite à être passive et conformiste », rappelle Andreï Kolesnikov, l’un des rares politologues critiques du Kremlin encore présents à Moscou. « C’était le cas pour la présidentielle. C’est le cas après Crocus. La majorité se contente d’accepter la version officielle lui racontant que le pays est en guerre contre l’Occident. »Pour le Kremlin et ces Russes-là, le retour de la menace islamiste ne rentre tout simplement pas dans le narratif de deux ans de conflit en Ukraine. « Il est possible de convaincre la plus grande partie de la société de la responsabilité ukrainienne. Cela dépendra de la cohérence et de l’unité de toutes les agences russes pour pointer le doigt vers Kiev », explique Denis Volkov, le sociologue qui, à la tête du centre indépendant de sondage Levada, évalue à quelque 60-70 % la proportion de Russes les plus à même de croire et répéter la version officielle.