« Sa Majesté lempereur dAllemagne déclare ne faire aucune guerre contre le monde musulman et ordonne que les prisonniers de guerre musulmans des troupes françaises soient mis immédiatement en liberté et envoyés au sultan de Constantinople en qualité de calife du Monde musulman. » (1)
Suite à lentrée en guerre de lEmpire ottoman aux côtés de lAllemagne, le sultan Mehmet V proclame la Guerre sainte (Djihad) par une Fetwa émise par le Cheikh ul Islam (2). Celle-ci appelle tous les musulmans de lEmpire et du monde entier à se soulever contre les puissances européennes. Cette déclaration, signée par les imams des quatre écoles juridiques de lorthodoxie musulmane, se révèle être une arme redoutable contre les Alliés.
LAllemagne envisage dès lors de promouvoir une propagande islamique afin de lutter contre les intérêts des Alliés et de provoquer des soulèvements dans leurs colonies musulmanes. Ainsi, une puissante machine de propagande panislamique se met en place dInde au Maroc en passant par lAfghanistan, la Perse et lEgypte. Les agents allemands et turcs sillonnent le monde, nourrissant intrigues politiques et soulèvements armés contre les intérêts français et britanniques. La Fetwa et la liberté de lIslam servent de pilier à la propagande anti-française diffusée chez les musulmans.
Développée et financée essentiellement par lAllemagne, lactive propagande panislamique touche toutes les colonies françaises dAfrique du Nord. De quelle manière les Allemands vont-ils organiser leurs activités ? Forts de lalliance avec le sultancalife ottoman, les Allemands trouvent un écho favorable au sein de certaines tribus marocaines courtisées par lancien sultan Moulay Hafid (3) et chez les dissidents du régime marocain. Raissouli et Abd el Malek sont les principaux acteurs marocains de la lutte contre la France orchestrée par lambassadeur dAllemagne en Espagne, le prince de Ratibor.
Dimportants réseaux de renseignements installés au Maroc mais aussi en Espagne permettent au Résident général à Rabat, le général Lyautey, dêtre au fait des agissements allemands et de les contrecarrer.
Cette étude nenvisage pas danalyser cette propagande dans son ensemble pendant la Grande Guerre, mais den examiner les répercussions au Maroc vers 1915 tout en observant les réactions françaises qui en découlent.
Vers une organisation solide
Laction des Allemands au Maroc se manifeste, dès 1915, sous deux formes distinctes : la contrebande de guerre et la propagande anti-française. Les menées allemandes sont signalées dans les rapports des différents bureaux de renseignement français au Maroc et en Espagne au sujet de la contrebande de guerre. Celle-ci nintéresse que partiellement notre étude et ne fait donc pas lobjet dun examen dans ce texte. En revanche, la propagande anti-française, organisée par les diplomates et les commerçants allemands en Espagne et au Maroc dès novembre 1914, est au coeur de notre réflexion.
Dès le mois de décembre 1914, Gaston Doumergue, ministre français des Affaires étrangères , prend connaissance de lenvoi dans le monde musulman et dans les pays neutres de délégués pour propager la Fetwa de la Guerre sainte. La commission de la Défense nationale à Istanbul, composée du Cheikh ul Islam, dEnver pacha (4) et de lambassadeur dAllemagne, désigne Bedbou pacha, de Scutari dAlbanie pour quil se rende à Algésiras où un comité musulman lattend. Le comité se charge alors de transmettre la Fetwa aux Marocains en vue de préparer une révolte. Les menées des agents allemands et turcs se caractérisent par la diffusion dune presse anti-française, par lencouragement des indigènes à la révolte et par lencouragement des légionnaires dorigine allemande à la désertion.
Afin de sensibiliser une grande partie de la population, les Allemands diffusent dans un premier temps de nombreux journaux à travers un service spécial dont le centre est à Barcelone sous la direction de Hofer. Derrière cet organisme, se trouvent les frères Mannesman dont le Quartier général est également à Barcelone (5). Outre la presse allemande éditée dans plus de cinq langues comme le Welt Im Bild, la presse dorigine espagnole financée par lAllemagne est perçue par les Services de renseignement français comme étant la plus dangereuse pour le Maroc. LA.B.C., très lu et répandu dans les ports marocains de la zone espagnole relate des fausses défaites françaises qui sont exagérées par les indigènes fréquentant les ports.
En dehors de la diffusion de journaux hostiles aux intérêts français, les activités allemandes consistent à « pousser » les indigènes à la révolte contre la France. Les bureaux de renseignement français signalent toujours les frères Mannesman comme étant à lorigine de chaque événement. Ces derniers ont établi de véritables réseaux grâce à leurs agents qui parcourent tout le Maroc et prennent à leur solde des agents indigènes (6). Ceux-ci sont signalés comme étant des agents accrédités auprès des consuls ou agents consulaires allemands du sud de lEspagne, notamment Ali ben Mohammed à Tétouan, Ben Hima à Chiclana, Bou Megait à Algésiras, Chaib Tensamani à Malaga et Si Mohammedi à Séville. Grâce aux réseaux formés, la pénétration allemande au Maroc se fait sur trois lignes principales.
La ligne Malaga-Melilia est la plus importante car Malaga est le centre dun groupe dAllemands visité régulièrement par Henri Mannesmann. Ce groupe, composé dune dizaine de personnes, agit surtout à Melilia où un nommé Bachir Ben Sennah, ancien fonctionnaire au Makhzen, délégué du sultan dans cette même localité, coopère avec les Allemands. Il se charge essentiellement de la propagande par les journaux et les brochures et est impliqué dans les questions de désertion de soldats de la Légion étrangère à Taza.
La seconde ligne par laquelle seffectue la pénétration allemande au Maroc est la ligne Algésiras, Ceuta ou Tétouan. Cest à Algésiras que réside Walther, agent consulaire dAllemagne et dAutriche. Ce dernier est entouré dun certain nombre dindividus connus pour leur francophobie et leurs menées antifrançaises. Parmi ces personnalités,Westheimer, négociant en fruits et légumes, est le principal correspondant à Algésiras de lagence de propagande dirigée à Barcelone par Hofer. A Ceuta et Tétouan, lactivité allemande est entre les mains de lagence Tornow (maison de commerce) qui est propriétaire des quotidiens francophobes Heraldo et El Defensor.
La dernière région doù les Allemands agissent contre la France au Maroc est celle de Séville et Cadix. Lobjectif de la propagande est Larache, sur la côte marocaine. Monsieur Otto Engelhardt, directeur de la Compagnie déclairage électrique et des tramways, représentant des firmes Siemens et AEG, le plus grand industriel de Séville jouissant dune très grande considération, en est reponsable. Séville et Cadix approvisionnent Larache et cest à travers ce circuit commercial que les Allemands mènent leur propagande. Ils recourent à un officier espagnol, Don Manuel Vigueras qui prend en 1915 un an de congé sans solde afin de remplir une mission de propagande contre la France.
Lencouragement des Marocains à la révolte se fait par ces différents réseaux où les Espagnols jouent un rôle considérable. Au premier chef, le Haut-commissaire espagnol, le général Marina, est « accusé », à juste titre, par les Services de renseignement français, de faciliter lactivité des dissidents marocains. En effet, le général Marina espère réaliser la pacification de la zone espagnole du Maroc grâce à Raissouli multipliant les proclamations et les discours anti-français aux Marocains de cette région. Raissouli affirme quil peut « compter sur lappui des Allemands et des Turcs (7) ». Il veut rendre « le Maghreb à lIslam (8) » en chassant les Français qui, à ses yeux, sont les premiers chrétiens ayant occupé et asservi les musulmans de la région. De plus, le général Marina, qui approuve les proclamations de Raissouli, accroît le recrutement des Marocains dans le but de les lui transférer « avec armes et bagages » afin quil puisse simposer dans les tribus.
Cette organisation de la propagande allemande est accentuée par lencouragement à la désertion des légionnaires dans la région de Taza où ils sont bien accueillis par les tribus (9) dont certaines, telle les Riata, ont des liens avec les agents allemands et Bachir Ben Sennah. Ce dernier exhorte les tribus à se montrer favorable aux projets allemands avec « la raison bruyamment évoquée du salut de lIslam (10) ». La propagande allemande au sein des tribus se fait à travers lIslam qui est instrumentalisé au service de la politique de déstabilisation envisagée par lAllemagne contre la France. Lenlisement des opérations aux Dardanelles correspond aussi au regain dactivité des menées germano-turques au Maroc en 1915.
Suite à lentrée en guerre de lEmpire ottoman aux côtés de lAllemagne, le sultan Mehmet V proclame la Guerre sainte (Djihad) par une Fetwa émise par le Cheikh ul Islam (2). Celle-ci appelle tous les musulmans de lEmpire et du monde entier à se soulever contre les puissances européennes. Cette déclaration, signée par les imams des quatre écoles juridiques de lorthodoxie musulmane, se révèle être une arme redoutable contre les Alliés.
LAllemagne envisage dès lors de promouvoir une propagande islamique afin de lutter contre les intérêts des Alliés et de provoquer des soulèvements dans leurs colonies musulmanes. Ainsi, une puissante machine de propagande panislamique se met en place dInde au Maroc en passant par lAfghanistan, la Perse et lEgypte. Les agents allemands et turcs sillonnent le monde, nourrissant intrigues politiques et soulèvements armés contre les intérêts français et britanniques. La Fetwa et la liberté de lIslam servent de pilier à la propagande anti-française diffusée chez les musulmans.
Développée et financée essentiellement par lAllemagne, lactive propagande panislamique touche toutes les colonies françaises dAfrique du Nord. De quelle manière les Allemands vont-ils organiser leurs activités ? Forts de lalliance avec le sultancalife ottoman, les Allemands trouvent un écho favorable au sein de certaines tribus marocaines courtisées par lancien sultan Moulay Hafid (3) et chez les dissidents du régime marocain. Raissouli et Abd el Malek sont les principaux acteurs marocains de la lutte contre la France orchestrée par lambassadeur dAllemagne en Espagne, le prince de Ratibor.
Dimportants réseaux de renseignements installés au Maroc mais aussi en Espagne permettent au Résident général à Rabat, le général Lyautey, dêtre au fait des agissements allemands et de les contrecarrer.
Cette étude nenvisage pas danalyser cette propagande dans son ensemble pendant la Grande Guerre, mais den examiner les répercussions au Maroc vers 1915 tout en observant les réactions françaises qui en découlent.
Vers une organisation solide
Laction des Allemands au Maroc se manifeste, dès 1915, sous deux formes distinctes : la contrebande de guerre et la propagande anti-française. Les menées allemandes sont signalées dans les rapports des différents bureaux de renseignement français au Maroc et en Espagne au sujet de la contrebande de guerre. Celle-ci nintéresse que partiellement notre étude et ne fait donc pas lobjet dun examen dans ce texte. En revanche, la propagande anti-française, organisée par les diplomates et les commerçants allemands en Espagne et au Maroc dès novembre 1914, est au coeur de notre réflexion.
Dès le mois de décembre 1914, Gaston Doumergue, ministre français des Affaires étrangères , prend connaissance de lenvoi dans le monde musulman et dans les pays neutres de délégués pour propager la Fetwa de la Guerre sainte. La commission de la Défense nationale à Istanbul, composée du Cheikh ul Islam, dEnver pacha (4) et de lambassadeur dAllemagne, désigne Bedbou pacha, de Scutari dAlbanie pour quil se rende à Algésiras où un comité musulman lattend. Le comité se charge alors de transmettre la Fetwa aux Marocains en vue de préparer une révolte. Les menées des agents allemands et turcs se caractérisent par la diffusion dune presse anti-française, par lencouragement des indigènes à la révolte et par lencouragement des légionnaires dorigine allemande à la désertion.
Afin de sensibiliser une grande partie de la population, les Allemands diffusent dans un premier temps de nombreux journaux à travers un service spécial dont le centre est à Barcelone sous la direction de Hofer. Derrière cet organisme, se trouvent les frères Mannesman dont le Quartier général est également à Barcelone (5). Outre la presse allemande éditée dans plus de cinq langues comme le Welt Im Bild, la presse dorigine espagnole financée par lAllemagne est perçue par les Services de renseignement français comme étant la plus dangereuse pour le Maroc. LA.B.C., très lu et répandu dans les ports marocains de la zone espagnole relate des fausses défaites françaises qui sont exagérées par les indigènes fréquentant les ports.
En dehors de la diffusion de journaux hostiles aux intérêts français, les activités allemandes consistent à « pousser » les indigènes à la révolte contre la France. Les bureaux de renseignement français signalent toujours les frères Mannesman comme étant à lorigine de chaque événement. Ces derniers ont établi de véritables réseaux grâce à leurs agents qui parcourent tout le Maroc et prennent à leur solde des agents indigènes (6). Ceux-ci sont signalés comme étant des agents accrédités auprès des consuls ou agents consulaires allemands du sud de lEspagne, notamment Ali ben Mohammed à Tétouan, Ben Hima à Chiclana, Bou Megait à Algésiras, Chaib Tensamani à Malaga et Si Mohammedi à Séville. Grâce aux réseaux formés, la pénétration allemande au Maroc se fait sur trois lignes principales.
La ligne Malaga-Melilia est la plus importante car Malaga est le centre dun groupe dAllemands visité régulièrement par Henri Mannesmann. Ce groupe, composé dune dizaine de personnes, agit surtout à Melilia où un nommé Bachir Ben Sennah, ancien fonctionnaire au Makhzen, délégué du sultan dans cette même localité, coopère avec les Allemands. Il se charge essentiellement de la propagande par les journaux et les brochures et est impliqué dans les questions de désertion de soldats de la Légion étrangère à Taza.
La seconde ligne par laquelle seffectue la pénétration allemande au Maroc est la ligne Algésiras, Ceuta ou Tétouan. Cest à Algésiras que réside Walther, agent consulaire dAllemagne et dAutriche. Ce dernier est entouré dun certain nombre dindividus connus pour leur francophobie et leurs menées antifrançaises. Parmi ces personnalités,Westheimer, négociant en fruits et légumes, est le principal correspondant à Algésiras de lagence de propagande dirigée à Barcelone par Hofer. A Ceuta et Tétouan, lactivité allemande est entre les mains de lagence Tornow (maison de commerce) qui est propriétaire des quotidiens francophobes Heraldo et El Defensor.
La dernière région doù les Allemands agissent contre la France au Maroc est celle de Séville et Cadix. Lobjectif de la propagande est Larache, sur la côte marocaine. Monsieur Otto Engelhardt, directeur de la Compagnie déclairage électrique et des tramways, représentant des firmes Siemens et AEG, le plus grand industriel de Séville jouissant dune très grande considération, en est reponsable. Séville et Cadix approvisionnent Larache et cest à travers ce circuit commercial que les Allemands mènent leur propagande. Ils recourent à un officier espagnol, Don Manuel Vigueras qui prend en 1915 un an de congé sans solde afin de remplir une mission de propagande contre la France.
Lencouragement des Marocains à la révolte se fait par ces différents réseaux où les Espagnols jouent un rôle considérable. Au premier chef, le Haut-commissaire espagnol, le général Marina, est « accusé », à juste titre, par les Services de renseignement français, de faciliter lactivité des dissidents marocains. En effet, le général Marina espère réaliser la pacification de la zone espagnole du Maroc grâce à Raissouli multipliant les proclamations et les discours anti-français aux Marocains de cette région. Raissouli affirme quil peut « compter sur lappui des Allemands et des Turcs (7) ». Il veut rendre « le Maghreb à lIslam (8) » en chassant les Français qui, à ses yeux, sont les premiers chrétiens ayant occupé et asservi les musulmans de la région. De plus, le général Marina, qui approuve les proclamations de Raissouli, accroît le recrutement des Marocains dans le but de les lui transférer « avec armes et bagages » afin quil puisse simposer dans les tribus.
Cette organisation de la propagande allemande est accentuée par lencouragement à la désertion des légionnaires dans la région de Taza où ils sont bien accueillis par les tribus (9) dont certaines, telle les Riata, ont des liens avec les agents allemands et Bachir Ben Sennah. Ce dernier exhorte les tribus à se montrer favorable aux projets allemands avec « la raison bruyamment évoquée du salut de lIslam (10) ». La propagande allemande au sein des tribus se fait à travers lIslam qui est instrumentalisé au service de la politique de déstabilisation envisagée par lAllemagne contre la France. Lenlisement des opérations aux Dardanelles correspond aussi au regain dactivité des menées germano-turques au Maroc en 1915.