Thématique: Qu'est-ce que réfléchir ?
Aujourd'hui, dans "La Question Philo", Charles Pépin répond à Mathilde, qui s'interroge : "Qu'est-ce que réfléchir ?"
Eh bien d’abord, chère Mathilde, je voudrais vous dire ce que réfléchir n’est pas :
Réfléchir n’est pas balancer son opinion, car « l’opinion est du genre du cri » (sic
Réfléchir n’est pas exprimer sa conviction car bien souvent nos convictions sont non réfléchies (sic
Réfléchir ce n’est donc pas exprimer ses convictions ?
Rarement, car nos convictions, le plus souvent, disent d’avantage notre soumission à différents déterminismes, sociaux ou familiaux par exemple, qu’une véritable réflexion libre (sic)Réfléchir n’est pas vouloir avoir raison à tout prix, mais bien plutôt savoir reconnaître qu’on a tord (sic)
Réfléchir n’est pas non plus crier son identité, et c’est bon de le rappeler aujourd’hui que chaque débat devient une polémique au cœur de laquelle chacun semble jouer son identité toute entière (sic)
Réfléchir n’est pas non plus chose purement intellectuelle, coupée du corps, des émotions et des affects car on réfléchit aussi, évidemment, avec son corps, et c’est pourquoi d’ailleurs, comme Socrate en son temps accompagnant ses interlocuteurs, on réfléchit très bien en marchant, on met sa pensée en mouvement en même temps que ses jambes
Réfléchir enfin n’est pas avoir la tête farcie de choses à faire : cette charge mentale serait plutôt une entrave à la pensée
Mais alors qu’est-ce que c’est, réfléchir, penser, ce que Platon appelait un dialogue de l’âme avec elle-même ? (Et oui)
Oui, c’est bien la question de Mathilde, qu’est-ce que réfléchir ?
Réfléchir, c’est revenir à soi comme le rayon qui se réfléchit sur le miroir, revenir à soi après avoir écouté d’autres arguments, d’autres points de vue, et faire résonner ce voyage au cœur de sa raison, de sa penséeDans réflexion, il y a donc résonner avec un "é" et pas simplement raisonner avec "ai". (sic olma) Et c’est pourquoi, quand je réfléchis, je me sens vivant, (sic à moi, c'est pourquoi je suis vivant) vivant de m’ouvrir à d’autres avis que les miens, vivant de douter et surtout de supporter le doute, car c’est précisément quand on ne supporte plus le doute que l’on cesse de réfléchir et sombre dans l’idéologie, qu’Hannah Arendt définissait parfaitement comme l’enfermement dans la logique d’une idée : « idéologie, enfermement dans la logique d’une idée »
Réfléchir, c’est avoir en horreur l’idéologie autant que la certitude, bref tout ce qui est figé, mortifère, et voila pourquoi on ressent lorsque l’on pense vraiment cette joie de penser qui est une expression de notre vitalité. Montaigne dans les Essais dit penser « par sauts et gambades », réfléchir c’est cela, des sauts et des gambades, des élans et des écarts, des ivresses et des retours en arrière, du concret à l’abstrait et de l’abstrait au concret,
Réfléchir c’est rebondir, faire preuve de sens critique, être intranquille toujours, en éveil, réactif, et voila pourquoi je crois toute vraie pensée est sceptique, voila pourquoi je crois la vraie philosophie, celle qui est à l’extrême opposé de l’idéologie, est le scepticisme, et j’aurais même envie de dire : le scepticisme gai
Réfléchir, c’est assumer sa pleine humanité : nous sommes au monde, c’est déjà une bonne nouvelle, même si ce monde ne tourne pas rond, mais nous ne nous contentons pas d’être au monde - nous le questionnons, nous l’interrogeons, nous le pensons, car ce monde, et notre être au monde, ne vont pas de soi
Réfléchir, c’est enfin être ensemble, être ensemble jusque dans nos désaccords, et c’est bien en quoi réfléchir ne relève pas simplement d’une logique de l’opinion, car nos opinions nous opposent, tandis que réfléchir ensemble nous rapproche et nous rappelle ce que nous avons en commun : ce monde dont l’existence ne va pas de soi et cette raison curieuse, inquiète, intranquille, par laquelle nous essayons de le penser
Comment notre existence peut-elle être à la fois si miraculeuse et si douloureuse ? Réfléchir, ce n’est pas se prendre la tête mais prendre cette question à bras le corps et découvrir alors que nous n’avons pas besoin d’avoir la réponse pour nous trouver, tout contre cette belle question, au cœur même de la joie de penser, plus humains, et plus vivants.

Qu'est-ce que réfléchir ?
Aujourd'hui, dans "La Question Philo", Charles Pépin répond à Mathilde, qui s'interroge : "Qu'est-ce que réfléchir ?"

Dernière édition: