Le relativisme?

Ebion

Ça a l'air que je suis l'esclave da partida
VIB
Bonjour :timide:

Voilà, depuis plusieurs années, je vois des auteurs chrétiens et aussi plusieurs athées issus des sciences s'acharner rageusement sur le relativisme.

Si on les en croyait, le relativisme serait une véritable « pandémie » dans notre société, pour ce qui est des idéologies.

Et ces auteurs le combattent férocement, comme si la menace était très grave.

Ont-ils raison? Et même s'ils ont raison, la critique du relativisme devrait-elle être la priorité?

Qu'est-ce que le relativisme, pour commencer? Prenons la définition suivante : c'est la doctrine selon laquelle il y a pas de vérité absolue et indépendante de l'observateur, que ce soit dans un domaine restreint ou dans tous les domaines (excepté peut-être des vérités de logique et de mathématiques que personne ne conteste vraiment).

En d'autres termes, nous serions des observateurs situés dans un contexte social, historique, déterminé, avec des sensibilités qui dépendent aussi d'éléments individuels et biographiques, l'hérédité, le milieu, les valeurs, etc. Nos affirmations dépendraient de nos perceptions, et ces perceptions n'attendraient jamais la réalité objective sans déformation ou coloration (pour parler comme Kant).

D'autres groupes, sociétés ou personnes pourraient avoir d'autres perceptions, et elles ne seraient pas mieux ou pires que les nôtres, mais simplement plus conformes à leur situation et condition...

On peut distinguer grosso modo le relativisme en matière de vérité théorique et le relativisme en matière de jugements moraux.

Par exemple un relativiste pourrait affirmer qu'il y a pas de vraie ou de fausse religion en soi, mais seulement des religions qui sont vraies pour certaines personnes et fausses pour d'autres. Cela est du domaine théorique, car les religions font en principe des affirmations sur la réalité (Dieu existe-t-il? L'âme? Les prophéties? Les miracles? etc.)

Le relativiste en matière de jugement moraux dirait qu'il y a pas de norme universelle et transcendant l'histoire, mais seulement des normes qui sont acceptées par certains et pas par d'autres dans certains lieux et à certains moments de l'histoire. Donc par exemple l'avortement est acceptable pour une partie de la planète, et inacceptable pour une autre partie. Ou encore l'euthanasie. Et il y a pas réellement de norme qui serait en soi supérieure et qu'on pourrait connaître avec certitude.

En l'occurrence, il peut s'agir d'un relativisme à l'échelle de l'individu (ce qu'on appelle aussi le subjectivisme) ou d'un relativisme à l'échelle d'un groupe, d'une culture (le relativisme culturel). Il est toutefois plus difficile de saisir ce dernier actuellement, car les sociétés sont beaucoup moins homogènes qu'autrefois, du moins en Occident, de sorte que dans un même pays, il y a plusieurs sous-cultures et communautés avec des valeurs propres. Ce forum en est l'illustration.

(à suivre)
 

Ebion

Ça a l'air que je suis l'esclave da partida
VIB
(suite)

Je comprends bien qu'il y a des objections à faire au relativisme.

Par exemple s'il y a pas de norme objective, mais que tout est question de perception, pourquoi chercher à changer les normes dans une société, comme l'ont fait tant de réformateurs? Le résultat ne serait ni plus ni moins bon que le point de départ. Il y aurait pas réellement de progrès. C'est pas comme en science, où on a l'espoir de connaître de mieux en mieux l'univers et l'être humain, ce qui suppose qu'il y a réellement un univers à connaître, et qu'on ne fait pas simplement inventer des mythes sur lui.

Donc par exemple l'esclavage et l'infanticide étaient « bons » dans la Rome antique, mais sont mal dans notre société, mais sans que cela soit un progrès objectivement ou un développement linéaire de notre perception morale. C'est simplement un changement de situation. Et d'ailleurs si les Romains nous connaissaient, ils nous trouveraient sans doute toutes sortes de défauts, et ne se croiraient pas moins « évolués » que nous.

De plus, si la vérité objective et universelle fait défaut, les débats en matière d'éthique deviennent en réalité des rapports de force ou des stratégies de manipulation dans le but de faire triompher son propre point de vue. Quand on perd de vue la vérité, elle est remplacée par la recherche du pouvoir, par des moyens peu recommandables. Croire en une vérité, c'est justement croire que le plus puissant ou plus rusé n'ont pas raison par le fait même, mais que tout le monde est soumis à une règle qui les transcende. Et justement, les religieux l'identifient à leur divinité.

Le problème, cependant, dans ce débat sur le relativisme, est que je crois vraiment pas que ce soit la vraie menace à l'heure actuelle. Dans le monde actuel, c'est pas le relativisme qui cause le plus de conflits et de violence et de régressions. C'est bien plus le dogmatisme, le fanatisme (pas uniquement religieux), le tribalisme, la xénophobie, l'obscurantisme, le complotisme, autant de positions qui sont l'opposé du relativisme, et qui reposent pourtant sur des illusions encore plus puissantes.

Le problème actuellement, c'est peut-être justement que les gens ont « trop » confiance dans la vérité, à savoir dans leur propre capacité de connaître la vérité absolue, même sans avoir fait de longues recherches validées par la communauté scientifique, même sans appliquer des méthodes de recherche empiriques et des instruments mathématiques. Pire, même sans avoir confronté patiemment et méthodiquement les diverses perspectives ou divers arguments.

Au contraire, le problème actuellement est ce dogmatisme inébranlable et intolérant, associé à la plus grande paresse intellectuelle, qui fait qu'on croit aveuglément des vidéos de youtubeurs anonymes ou des groupes Facebook obscurs, quand ça nous paraît vrai, tout en se vantant de résister à « l'endoctrinement » des médias ordinaires et des sources universitaires et scientifiques...

Dans le domaine de la morale aussi, il y a pas beaucoup de place actuellement pour la nuance ou le doute. Il faut voir la rage aveugle avec laquelle on se combat dans des discussions sur l'avortement, l'homosexualité, le féminisme, le racisme, la politique économique, et quelques autres sujets.

Le problème le plus grave est donc pas le relativisme. Le relativisme est en déclin.

Triste époque
 

Dysmas

Le monde tourne, la Croix demeure
Le problème le plus grave est donc pas le relativisme. Le relativisme est en déclin.

Triste époque

Je pense que c'est bien le relativisme qui est la cause de la résurgence de l'obscurantisme. Dans les faits, le relativisme ne tue pas l'idée qu'il y a une vérité, il tue l'idée qu'il y en ait une seule. Puisque la vérité n'est pas une parce que tout dépend de l'observateur et du contexte dans lequel il observe, alors c'est l'observateur, ou plus exactement sa perception, qui devient la vérité. Chacun devient porteur de sa vérité, qu'il va utiliser avec plus ou moins de rage, de force, d'habileté, pour tenter de prendre le pouvoir sur les autres. Ce que je décris là, c'est le phénomène qui mène le relativisme à générer l'individualisme le plus forcené. Les individus sont ainsi privés d'un dénominateur commun, un point extérieur transcendant qui leur permettrait de communier ensemble autour d'une même vision de la vie, des hommes, de la société, des mœurs. L'individualisme enferme donc l'individu sur lui-même. Il devient la mesure de toute chose. Mais, et c'est là que les choses deviennent intéressantes, l'individu ne peut pas se satisfaire de cet enfermement, puisque l'être humain est par nature sociable. L'individu enfermé dans ses propres perceptions, isolé dans sa subjectivité, va alors désespérément chercher à rétablir un point d'équilibre entre vérité objective et vérité subjective. Il va se tourner vers la religion et/ou les idéologies politiques pour se transcender et communier avec les autres, et il va le faire avec d'autant plus de virulence et de fanatisme que l'individualisme dans lequel il baigne ne cessera jamais de le tenter et de le faire souffrir. Pour résumer, le fanatisme est le puissant retour de bâton généré par l'individualisme, lui-même étant le fruit du relativisme, (et on pourrait même remonter encore en disant que le relativisme est issu de l'affaiblissement de la croyance religieuse). Dit plus synthétiquement encore, le fanatisme est une réaction à une privation de sens collectif.​
 

Ebion

Ça a l'air que je suis l'esclave da partida
VIB
Je pense que c'est bien le relativisme qui est la cause de la résurgence de l'obscurantisme. Dans les faits, le relativisme ne tue pas l'idée qu'il y a une vérité, il tue l'idée qu'il y en ait une seule. Puisque la vérité n'est pas une parce que tout dépend de l'observateur et du contexte dans lequel il observe, alors c'est l'observateur, ou plus exactement sa perception, qui devient la vérité. Chacun devient porteur de sa vérité, qu'il va utiliser avec plus ou moins de rage, de force, d'habileté, pour tenter de prendre le pouvoir sur les autres. Ce que je décris là, c'est le phénomène qui mène le relativisme à générer l'individualisme le plus forcené. Les individus sont ainsi privés d'un dénominateur commun, un point extérieur transcendant qui leur permettrait de communier ensemble autour d'une même vision de la vie, des hommes, de la société, des mœurs. L'individualisme enferme donc l'individu sur lui-même. Il devient la mesure de toute chose. Mais, et c'est là que les choses deviennent intéressantes, l'individu ne peut pas se satisfaire de cet enfermement, puisque l'être humain est par nature sociable. L'individu enfermé dans ses propres perceptions, isolé dans sa subjectivité, va alors désespérément chercher à rétablir un point d'équilibre entre vérité objective et vérité subjective. Il va se tourner vers la religion et/ou les idéologies politiques pour se transcender et communier avec les autres, et il va le faire avec d'autant plus de virulence et de fanatisme que l'individualisme dans lequel il baigne ne cessera jamais de le tenter et de le faire souffrir. Pour résumer, le fanatisme est le puissant retour de bâton généré par l'individualisme, lui-même étant le fruit du relativisme, (et on pourrait même remonter encore en disant que le relativisme est issu de l'affaiblissement de la croyance religieuse). Dit plus synthétiquement encore, le fanatisme est une réaction à une privation de sens collectif.​

Ce que tu dis a du sens, mais je suis pas d'accord avec tout.

Ce serait quand même un drôle d'effet « dialectique » si le relativisme engendrait son contraire...

Je vois pas grand-chose de relativiste dans la posture des complotistes, des suprématistes, des antiféministes, islamophobes, homophobes et autres trolls haineux. Ces gens-là sont réellement convaincus qu'ils ont raison « objectivement » et que leurs opposants ont tort, et même pire : que leurs opposants sont des imbéciles, ou des naîfs manipulés et attardés, ou des individus dangereux qui menacent la civilisation et qu'il faut combattre!!

Les relativistes, du moins comme je les comprends, sont vraiment pas dans ce délire. Au contraire, le problème des relativistes serait justement de manquer de fermeté face à l'inacceptable...

Si ta thèse est que ce relativisme-là, étant insupportable, se mue en son contraire, c'est quand même assez paradoxal, et aussi je crois pas que tous ces dogmatiques qui sévissent soient pour la plupart des relativistes déçus et désenchantés. Tu parles du besoin de l'appartenance à un groupe, à des croyances partagées, mais cela existe depuis des millénaires. Bien avant la supposée domination culturelle du relativisme.

Je crois aussi que tu inverses la causalité : c'est pas le relativisme qui produit l'individualisme. Ce serait plutôt le contraire. Mais l'individualisme lui-même me paraît dépendre davantage du capitalisme et de la modernité. Dans la pensée capitaliste, le consommateur est roi, et les autres doivent concourir à satisfaire ses besoins et caprices, la seule limite étant sa capacité de payer... l'individualisme est l'idéologie du consommateur, et justement, cette mentalité finit par se transposer dans le domaine des croyances : les individus souverains sélectionnent alors leurs croyances selon leurs besoins, désirs et sentiments, indépendamment de la référence à une vérité absolue qui s'imposerait à eux et leur imposerait des contraintes.
 

Dysmas

Le monde tourne, la Croix demeure
Ce que tu dis a du sens, mais je suis pas d'accord avec tout.
Je n'ai pas dit que les complotistes et autres extrémistes sont des relativistes, mais qu'ils sont le fruit monstrueux du relativisme, en ce sens qu'ils émergent bien plus facilement lorsque la vérité est systématiquement mise en doute. C'est parce que nous vivons dans un monde qui a érigé le modèle du doute permanent que l'être humain s'est réfugié dans sa dernière et ultime certitude : qu'il ne peut se fier qu'à sa seule perception du monde, donc à son individualité. C'est pour cela que pour moi, le relativisme est la condition de la naissance de l'individualisme : puisque je ne crois plus en une vérité (Dieu), alors ne me reste plus que mon être (ma pensée). C'est le Cogito Ergo Sum de Descartes, qui remplace la cause première d'Aristote et des scolastiques. A partir de Descartes, il me semble que la notion de vérité se déporte de Dieu vers l'Homme. Ce n'est plus Dieu qui est la mesure de toute chose, c'est l'Homme, et plus particulièrement l'individu et son cogito. Pour moi, c'est donc à partir de Descartes que naît le relativisme, c'est-à-dire la mise en doute d'une vérité absolue indépendante de la perception humaine. Et c'est ce relativisme qui vient "consacrer" l'individu et sa raison. Ce triomphe de la raison humaine est à l'origine de la Renaissance, puis de l'émergence d'une économie capitaliste. Vous remarquerez que la domination de la raison humaine sur toute espèce de transcendance va de pair avec la rationalisation du vivant et la transformation de l'économie en science. Toute l'histoire de l'économie montre bien que les idées économiques épousent la logique rationaliste. Les innovations technologiques permises par le Progrès ne vont faire qu'aggraver le phénomène d'individualisme, lequel, comme vous le rappelez et comme je l'ai dit précédemment, pousse les êtres humains à chercher frénétiquement une vérité pour répondre à leurs frustrations. Pour résumer, je crois que le relativisme naît de l'affaiblissement de la foi, qu'il permet l'émergence de l'individualisme, lequel, par cette idée que c'est la somme des égoïsmes qui produit l'intérêt général, génère à son tour science économique et capitalisme, lequel capitalisme, en flattant les désirs illimités des individus, va générer toutes les frustrations qui pousseront ultimement les individus à rechercher une vérité qui les dépasse et les apaise : dans la nation, la religion, la science, la race, le genre etc... D'où cet immense paradoxe de la modernité ouverte par Descartes : en voulant s'affranchir de tout déterminisme pour être parfaitement libre, l'Homme se retrouve devant une angoisse infinie et est tenté de faire marche arrière en se vouant à des croyances archaïques.
 
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