Bonjour
Voilà, cette formule qui vient évidemment de Marx est reprise en boucle par des internautes et des athées militants, comme une sorte de slogan ou de
punchline.
Je pense qu'en réalité, il faut se méfier d'un tel slogan, isolé de son contexte, et aux prétentions aussi exorbitantes : parler de « la » religion!
En général, les phrases d'une ligne qui prétendent nous dire ce en quoi consiste « la » religion nous égarent plus qu'autre chose, et témoignent d'une compréhension très limitée du religieux et DES religions.
On peut bien accepter que la religion dont Marx avait l'expérience dans l'Europe du 19e siècle avait cet aspect-là. Je doute que ce soit le seul aspect, même à cette époque. En général, le négatif est plus visible que le positif, sans pour autant être toujours plus gros.
Bien sûr qu'une religion peut être utilisée comme moyen de domination des masses, par une élite, en proposant des consolations et des promesses intangibles aux exploités et aux damnés de la Terre pour les soumettre et les endormir, tandis que l'élite prospère et profite des injustices des structures en place.
Mais cela est-il la religion? Si on se limite au christianisme, cette religion a souvent eu l'effet exactement inverse : susciter la contestation, susciter des revendications de groupes exploités ou marginalisés, des protestations et des résistances à des régimes autoritaires et à des dictateurs ubuesques.
Regardez par exemple les premiers chrétiens, comment ils contestaient la prétention des empereurs romains à se diviniser, et comment ils ont organisé des oeuvres de charité et de soins pour les pauvres et les exclus de l'Empire romain.
Regardez certains missionnaires de l'ère moderne qui prenaient la défense des Autochtones d'Amérique, alors que les grands propriétaires, les aventuriers et les rois ne pensaient qu'à les exploiter et les réduire en esclavage.
Regardez les mouvements abolitionnistes chrétiens aux 18e et 19e siècle, comme la figure de William Wilberforce.
Ou les chrétiens confessants de l'époque d'Hitler, qui étaient convaincus que leur foi leur commandait de résister à Hitler et à son régime néo-païen et inhumain. Il y avait aussi quelques catholiques dans la Résistance durant l'Occupation.
Regardez aussi le pape Jean-Paul II et son opposition ferme au communisme. JPII venait de Pologne, et il n'avait aucune illusion sur la monstruosité du communisme (alors que la plupart des intellectuels de France étaient en admiration béate devant ce communisme).
Regardez le clergé de certains pays du Tiers-Monde, surtout en Amérique Latine et en Afrique, qui constituent un contre-pouvoir qui est capable de tenir tête à de petits dictateurs qui brutalisent le peuple et ne respectent pas ses droits et s'enrichissent par la corruption. Dans certains cas, les Églises sont le seul recours qui reste à des personnes du petit peuple qui sont trahies par leur gouvernement et qui sont laissées vulnérables à la misère et aux bandes de criminels.
Bien sûr, pour tous ces exploits, on trouve aussi des crimes et des complicités dans d'autres cas, mais du moins cela montre qu'on ne peut pas en rester à une formule comme « la religion est l'opium du peuple », alors que même pour
une seule religion, le christianisme, les choses sont beaucoup plus nuancées.